25 juillet 2025

Louis-Jean Calvet sur le débat entre science et idéologie

Dans Le français dans le monde[1], sous le titre La langue française au filtre d’un débat science et idéologie, Louis-Jean Calvet (LJC) fait une critique du livre de Médéric Gasquet-Cyrus (MGC), En finir avec les idées fausses sur la langue française[2], de celui des Linguistes atterrées (LA), Le français va très bien, merci[3], ainsi que de ma réponse aux LA , La sociolinguistique entre science et idéologie[4]. Voir ce lien :

https://www.fdlm.org/blog/2025/03/31/science-et-ideologie-la-langue-francaise-au-filtre-dun-debat/

Critique du livre de MGC

LJC dénonce l’affirmation de MGC selon laquelle « le français serait l’idiome maternel de centaines de millions d’humains dans le monde ». Il considère qu’une telle erreur « ne fait pas très sérieux dans un livre qui se propose d’en finir avec des idées fausses sur la langue française. »

Critique des chiffres de l’OIF

Au passage, LJC critique le chiffrage de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), selon lequel il y aurait « 321 millions de locuteurs du français[5] » et le français serait « la 5e langue la plus parlée dans le monde ». Il ne va pas aussi loin que moi dans sa critique, se bornant à dire qu’il s’agit d’« additions de situations différentes » (C’est aussi ce que je défends). Il avance cependant qu’il y aurait « environ 110 millions de gens ayant le français comme langue « maternelle », si bien que le français se situerait (seulement) « à la 14e place des idiomes maternels » dans le monde. (Donc, bien loin des proclamations triomphantes de l’OIF).

Dans Le naufrage du français (p. 179 et suiv.), j’ai montré que le flou de la définition par l’OIF de la notion même de « francophone », le peu de fiabilité des sources utilisées (absence de recensement solide des populations dans plusieurs pays « francophones », de recensements linguistiques, sauf au Canada et en Suisse, de données exactes sur la scolarisation des enfants dans des pays d’Afrique, etc.), ainsi que des méthodes de calcul « au doigt mouillé » font que les chiffres de l’OIF ne sont ni fiables ni crédibles.

Même le chiffre de 110 millions de francophones (langue maternelle) me paraît quelque peu exagéré. Les seuls pays où l’on peut évaluer d’une manière plus ou moins sûre le nombre de ces francophones sont ceux de l’hémisphère nord. La France compte(rait) 66 millions de francophones (langue maternelle) ; le Canada, 8 millions ; la Suisse, 2 millions ; la Belgique, 4,5 millions, soit un total approximatif de 80,5 millions. Il faut donc trouver 29,5 millions de francophones dans d’autres régions du monde pour arriver à 110 millions. Sont-ils en Afrique dite « francophone » ?

Banalité des thèmes et erreurs flagrantes

Revenant au livre de MGC, LJC souligne la banalité des thèmes retenus et de leur traitement : « On y apprend, note-t-il, des choses que tous les étudiants de première année de linguistique doivent savoir au bout de deux ou trois cours », et de conclure « parler d’idées fausses fait un peu dogmatique et donne l’impression d’un professeur déclarant je sais ce qui est vrai, pas vous ». (J’ai souligné que le livre des LA donne la même impression).

Critique du livre des LA

Passant à la critique du livre des LA, LJC remarque comme moi que plusieurs des « idées reçues » traitées dans le livre de MGC se retrouvent dans celui des LA. Il va même plus loin disant que c’est « au point qu’on [peut] se demander s’il n’avait pas en grande partie été rédigé par la même plume ». Si tel était le cas, le « Tract » des LA serait une sorte de pétition rédigée (à la hâte) et cosignée par un groupe de collègues et confrères de la même tendance. Pourquoi, en effet, l’ouvrage de MGC n’est-il jamais cité dans les bibliographies qui accompagnent chacun de 10 thèmes traités ? Alors que celui de Benoît Melançon, sur le même thème, l’est.

Comme moi également, LJC regrette l’absence de linguistes du Sud parmi les LA : « on pouvait être étonné que, faisant allusion aux francophonies des sud, leur ouvrage ne soit signé que par des linguistes de pays francophones du Nord. »

Il est dommage que LJC n’entre pas dans le détail des exposés des LA. Il aurait été très intéressant d’avoir son avis sur le traitement qu’ils font d’un certain nombre de sujets. C’est peut-être la revue (et son format) qui l’empêche d’élargir son propos, pour le ramener à des préoccupations plus proprement liées à l’enseignement du français.

Sa conclusion ménage un peu la chèvre et le chou : « ces deux livres ont des défauts (informations non vérifiées, confusion entre passion et raison, propositions guère originales) et des qualités (faire réfléchir les lecteurs sur la langue, souligner certains incohérences) ». Quoique, si on les soupèse, les défauts ont l’air plus lourds que les qualités…

Critique de mon livre

LJC qualifie mon livre de « véritable brûlot ». C’est aussi comme cela que l’ont perçu un certain nombre de mes confrères en Europe. Il explique que j’examine « point par point les dix affirmations des LA » et que je souligne « qu’on sait depuis longtemps que Molière n’écrivait pas en français d’aujourd’hui, que le français n’appartient pas à la France ou que le français n’a pas une orthographe parfaite ». Il note que je « [m]’attache à relever des erreurs ou les approximations des LA ». Comme moi, il note que les LA traitent avec une méconnaissance et une légèreté étonnantes de la part de « scientifiques du langage » la question de la pression de l’anglais sur le corpus et le statut du français. Je cite : «  |LM] met le doigt sur un point important. Leur livre s’attache en effet essentiellement à minimiser les emprunts à l’anglais et le franglais, mais ils semblent totalement ignorer la géopolitique linguistique : dans l’enseignement (et les professeurs de FLE le savent bien) comme dans la diplomatie, l’anglais réduit le français à la portion congrue. Le plus bel exemple en est l’Union Européenne dans laquelle il est la langue largement dominante alors même que depuis le Brexit aucun pays membre ne l’a choisi comme langue officielle[6]. »

Enfin LJC cite ma conclusion : « Se proposant de réfuter les idées reçues sur la langue, les LA alignent en réalité poncifs, contradictions, fausses vérités et vraies faussetés », avant d’ajouter sa propre conclusion : « L’ennui est qu’il [LM] n’a pas tout à fait tort. » J’apprécie ce qui me semble être un euphémisme…

Cependant je ne suis pas d’accord avec son affirmation selon laquelle, « le but de son livre, affiché dès le titre, est de dénoncer les confusions entre science et idéologie, la sociolinguistique étant pour lui marquée à gauche, voire à l’extrême gauche, même s’il ressort de son texte que lui-même serait plutôt marqué à droite. »

Le but principal de mon livre est de dénoncer l’utilisation des acquis de la sociolinguistique pour défendre une idéologie. Je ne pense pas que c’est la sociolinguistique qui est « marquée à gauche ». En elle-même, elle n’est marquée ni à gauche ni à droite. Je critique son utilisation politique par des sociolinguistes qui défendent une idéologie, dans le cas des LA, une idéologie de gauche, voire d’extrême gauche. D’ailleurs, comme repoussoirs, ils illustrent leurs idées de citations (caricaturales) de gens de droite (Bernard Accoyer, Christian Combaz, Maurice Druon, Alain Finkielkraut), voire d’extrême droite (Renaud Camus). J’aurais la même position critique s’il se trouvait (rarae aves !) des sociolinguistes prônant une idéologie de droite, voire d’extrême droite.

En conclusion, LJC affirme que mon livre « pose une vraie question, celle des rapports entre la passion et la raison, ou si l’on préfère entre la politique et la science. »

 

Mots-clés : science vs idéologie, débat, sociolinguistique, langue française, compte rendu, Louis-Jean Calvet, Médéric Gasquet-Cyrus, Les linguistes atterrées, Lionel Meney.



[1] Louis-Jean Calvet, « La langue française au filtre d’un débat science et idéologie », Le français dans le monde, n°457, mars-avril 2025.

[2] Médéric Gasquet-Cyrus, En finir avec les idées fausses sur la langue française, Ivry sur Seine, Les éditions de l’atelier, 2023.

[3] Les Linguistes atterrées, Le français va très bien, merci, Paris, coll. Tracts, n°49, Gallimard, 2023.

[4] Lionel Meney, La sociolinguistique entre science et idéologie. Une réponse aux Linguistes atterrées, Limoges, Lambert-Lucas, 2024.

[5] Je reproduis les gras et les italiques du texte original.

[6] En réalité, l’anglais est la seconde langue officielle de l’Irlande et de Malte. Mais cela ne change rien au fait qu’il est devenu de facto la langue de travail de l’Union européenne alors qu’il n’est la langue maternelle que d’une infime minorité d’Européens.

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