21 février 2022

De l’importance de l’article en français.

Cher Mathieu Bock-Côté,

J’écoute avec beaucoup d’intérêt vos analyses politiques sur CNews. Même si je ne suis pas toujours d’accord avec certaines d’entre elles, j’admire votre connaissance de l’histoire et de la politique de la France et le brio avec lequel vous défendez vos idées.

Vous pourfendez, à juste titre, la malhonnêteté intellectuelle, la falsification des faits et la diabolisation de l’adversaire. Cependant un point me « chicote », c’est lorsque vous dites que, selon Emmanuel Macron, « il n’y a pas de culture française ». Si vous allez à la source, c’est-à-dire au discours du président de la République, qu’on peut écouter sur Youtube, on voit bien qu’il n’a jamais dit cela. En réalité, il a dit « il n’y a pas une culture française », « il y a des cultures françaises », en développant le fait indiscutable que la culture française a toujours été ouverte, accueillante, et s’est nourrie à toutes sortes de sources, y compris étrangères, que ce soit en littérature, en peinture, en musique, etc. Il cite l’exemple de Picasso. Participe-t-il de la culture française ? Sans aucun doute. Mais ne participe-t-il pas en même temps de la culture espagnole ? Et Chagall, ne participe-t-il pas et de la culture française et de la culture juive ?

J’ajouterais que chacun a sa culture française. Un catholique traditionnaliste n’a pas la même culture française qu’un communiste athée. Il en est de même pour la langue. La langue française d’un jeune des banlieues n’est pas la même que celle d’un prof de littérature en fac. Ils ont à la fois des choses en commun et d’autres qui leur sont propres. C’est une vérité d’évidence. Il est dommage que certains essaient de détourner ces propos à des fins bassement partisanes.

Vous serez certainement sensibles à ce que je vous dis, vous qui prônez sans cesse le débat plutôt que la caricature et l’anathème.

Bien cordiales salutations.

Lionel Meney

https://www.youtube.com/watch?v=xncCLi6EabU

Mots-clés: Emmanuel Macron; culture française; Mathieu Bock-Côté; vérification des faits.


 

 

 

13 février 2022

Un cas de variation linguistique : camionneur ou routier ?

Ces derniers jours, une fois n’est pas coutume, l’actualité canadienne s’est imposée à travers le monde avec le mouvement dit « des camionneurs ».

Dans la presse canadienne-anglaise, on parle des « truckers » : « It’s a new frontier of the COVID culture war and it may be coming soon to a city near you. The movement, started by a group of truckers opposed to a cross-border vaccine mandate, has spread to Europe, where lockdown opponents are trying a similar occupation in Paris. » (BuzzFeed News, 13/02/2022).

Dans la presse française, l’essayiste québécois Etienne-Alexandre Beauregard parle des « camionneurs » : « Depuis vendredi dernier, le centre-ville d'Ottawa, la capitale canadienne, est paralysé par des camionneurs et des manifestants qui réclament la levée des mesures sanitaires. » (Le Figaro, 01/02/2022).

Dans les médias québécois, c’est le terme « camionneur » qui est employé quasi-exclusivement pour désigner les participants à ce mouvement de protestation. En fait, même si ce mot est bien attesté en français, on peut le voir dans cet emploi comme un calque de l’anglais « trucker ». En effet, dans cette langue, « trucker », qui relève du style familier, désigne, aux Etats-Unis et au Canada, « a truck driver ». En Grande Bretagne, on dit « a lorry driver ».

Pour désigner ces personnes, les dictionnaires français propose plusieurs termes : chauffeur de poids lourd, chauffeur de camion, chauffeur routier, routier, mais aussi camionneur. Cependant ce dernier terme peut désigner soit un conducteur de camion, soit un propriétaire de camion(s) ou encore le gérant d’une entreprise de camionnage.

En France, pour désigner la personne qui conduit des camions sur de grandes distances, ce qui est le cas des protestataires canadiens, on utilise couramment les termes chauffeur routier ou routier tout court. Au Québec, ces termes sont rarement, sinon jamais employés.

Dans la presse française, le terme « camionneur » a vu sa fréquence d’emploi augmentée grâce aux nouvelles des agences de presse et aux témoignages en provenance du Canada. Cependant il est en général vite remplacé par « chauffeur routier » ou « routier ».

« La contestation canadienne, qui entre dans sa troisième semaine, est partie d’un mouvement de chauffeurs routiers protestant contre l’obligation d’être vacciné pour passer la frontière entre le Canada et les Etats-Unis. » (Le Monde, 13/02/2022).

Truck driver vs lorry driver. On connaît la remarque de George Bernard Shaw : « England and America are two countries divided by the same language. » Camionneur vs routier. Même dans les nuances, des variations s’observent entre le français du Québec et celui de France.

Mots-clés : variation linguistique ; français de France ; français du Québec ; conditions d’emploi ; anglicisme de sens ; anglicisme de fréquence ; trucker ; camionneur ; chauffeur de poids lourd ; chauffeur de camion ; chauffeur routier ; routier.