21 novembre 2019

Doit-on dire astronaute, cosmonaute ou spationaute ?

Billet rédigé à l'occasion du séjour du Québécois David Saint-Jacques dans la SSI (Station spatiale internationale).
« Après plusieurs années de préparation, l'astronaute canadien David Saint-Jacques et ses collègues, l'Américaine Anne McClain et le Russe Oleg Kononenko, se sont envolés avec succès ce matin à 6 h 31 (heure de Montréal) à bord d'une capsule Soyouz en direction de la Station spatiale internationale. » C'est l'occasion d'observer un curieux problème de dénomination.
- Qui est Oleg Kononenko? C'est un cosmonaute russe.
- Qui est Anne McClain? C'est une astronaute américaine.
- Qui est David Saint-Jacques ? C'est un astronaute canadien.
Si David Saint-Jacques était français, il serait un spationaute français. S'il était chinois, il serait un taïkonaute chinois (c'est un pléonasme, du moins pour nous, non-Chinois). S'il était indien (indien de l'Inde), il serait un vyomanaute….
Cette profusion de termes est étonnante parce que tous ces gens font le même métier, seule les différencie leur nationalité. Normalement pour un référent unique (une chose désignée), on n'a qu'un terme. Dans ce cas, on en déjà 5… Si une autre nation poursuivait un même programme, on en aurait possiblement un de plus…
Parmi ces cinq termes, y en a-t-il de plus valables, de mieux formés ?
Tous ont comme radical un mot du grec ancien naute (ναύτης = marin, navigateur), bien implanté dans les langues d'origine européenne. On se souvient des Argonautes (Αργοναῦται), un groupe d'hommes dirigés par Jason parti à la recherche de la Toison d'or sur le navire Argo. Le mot grec a donné en français nautique et nautisme.
Mais ils diffèrent par le préfixe :
·      pour les Américains, c'est quelqu'un qui navigue dans les étoiles (grec ἄστρον = étoile)
·      pour les Russes, quelqu'un qui navigue dans l'univers (russe космос = univers).
·      pour les Français, quelqu'un qui navigue dans l'espace (latin spatium = espace).
·      taïkonaute est formé à partir du mot chinois 太空 (taìkōng = espace) et du suffixe -naute.
·      vyomanaute est formé à partir du sanskrit व्योमन् (vyoman = ciel) avec le suffixe -naute.

Les différences de désignation pour un même concept s'expliquent par l'importance de la course dans l'espace et la susceptibilité des nations qui y sont engagées. Chacune veut avoir son terme propre. Il serait bon de simplifier en adoptant l'un d'entre eux. Mais lequel choisir ? Pour nous francophones, le choix est clair. En français, on ne parle pas de la conquête des étoiles ou du cosmos, mais de la conquête de l'espace (spatium). Le terme spationaute est donc le plus adéquat.
Mots-clés : terminologie; conquête de l'espace; navigateur; étymologie; astronaute; cosmonaute; spationaute; taïkonaute; vyomanaute.

17 novembre 2019

Pique-bois : anglicisme ou régionalisme ?



Pic noir
Grand pic
Pic-bois, j'veux pus m'en aller/J'entends le pic-bois dans son arbre/J'me sens loin mais je me sens ben/Laisse-moi pas revenir en ville/Tape-moi sur ma tête de bois/Pic-bois, laisse-moi pas tranquille (Beau Dommage)
 
Le mot pique-bois, utilisé au Canada pour désigner un oiseau de la famille des pics, est-il un anglicisme, comme on l'entend souvent, ou un régionalisme comme le disent certains dictionnaires ?
Ceux qui avancent que pique-bois serait un anglicisme font valoir que sa formation est parallèle à l'anglais woodpecker. Ce n'est pas une raison suffisante. Une forme parallèle n'est pas forcément une forme importée. La même image peut se retrouver dans des langues différentes (on dit pica-pau en portugais), d'autant plus que, dans le cas de cet oiseau, cette image s'imposait.
Le Trésor de la langue française affirme que ce mot est synonyme de pic et le classe parmi les régionalismes du Canada et de la Louisiane. Il donne une citation de l'auteur québécois Victor-Lévy Beaulieu : « Un tronc d'arbre déchiqueté par les coups de bec tenaces des pics-bois qui le laisseront à moitié mort (V.-L. Beaulieu, La Nuitte).
Le Petit Robert reprend ce que dit le TLF, avec une nuance cependant : « pic-bois ou pique-bois rare ou régional (Canada, Louisiane) Oiseau de la famille du pic. » Ce dictionnaire n'écarte donc pas la possibilité qu'il se dise ailleurs qu'au Canada et en Louisiane. Et il n'a pas tort.
Le Dictionnaire de la langue française d'Émile Littré (1863-1872) donne « pique-bois pic noir, picus martius » sans aucune autre mention.
Mais surtout, on trouve chez Victor Hugo au moins deux citations dans deux ouvrages différents du mot pique-bois : « Les pique-bois grimpaient le long des marronniers en donnant de petits coups de bec dans les trous de l’écorce. » (Victor Hugo, Les Misérables, 1862). « C'était un doux parlage de tous à la fois, huppes, mésanges, pique-bois, chardonnerets, bouvreuils, moines et misses. » (Victor Hugo, Les Travailleurs de la mer, 1866).
On sait que Victor Hugo aimait utiliser des régionalismes. Mais il s'agit de deux citations dont la scène se passe dans deux régions différentes, ce qui donne à penser que le mot s'emploie ou s'est employé dans une aire large.
Au Canada, le mot pique-bois apparaît très tôt dans les relations de voyageurs. Le Trésor de la langue française au Québec donne cette citation de Chrestien Le Clecq datant de 1691 : « Les pic bois, que nous appellons de ce nom, parce qu'ils prennent leur nourriture en picotant les troncs des arbres qui sont pourris, se distinguent par deux sortes de plumage; les uns sont mouchetez de noir & blanc; les autres sont tout noirs, & portent sur la tête une huppe d'un rouge admirablement beau : ils ont la langue extrémement dure, & aiguë comme des éguilles, avec laquelle ils font dans les arbres, des trous à y mettre le poing. » (Chrestien Le Clercq, Nouvelle relation […], 1691).
C'est dire qu'on peut éliminer l'hypothèse de l'anglicisme. Et aussi celle du régionalisme strictement canadien et louisianais. Le pique-bois canadien (le Grand Pic) n'est pas de la même espèce que le pique-bois européen (le Pic Noir), mais le mot est bien français.
Mots-clés : pic-bois; pique-bois; Grand Pic; Pic Noir; origine; anglicisme; régionalisme.

15 novembre 2019

Doit-on dire courir la chance de gagner ou tenter de gagner ?


Sur le site de Loto-Québec, on peut lire : « Gros lot remporté. Il est encore temps de vous procurer un billet et de courir la chance de gagner 5 voyages de rêve + 75 000 $ en argent. » Dans ce contexte, l'expression courir la chance est-elle bien employée ?
On peut en douter. Le Trésor de la langue française en 16 volumes ne traite pas ce syntagme. Le Nouveau Dictionnaire universel de la langue française, publié en 1856, indique : « Courir la chance Fig. : S'exposer, être exposé à; Courir le hasard. Courir la fortune [c'est-à-dire le sort, le destin]. Courir la chance. Courir un risque, un péril, des périls, etc. » Il cite Jean de La Fontaine : « Tout en nageant, ils imploraient le dieu/De l'humide et vaste lieu,/Le priant d'être sensible/Au sort qu'ils allaient courir/Et faisaient tout leur possible/Afin de ne pas mourir. »
On trouve l'expression chez Victor Hugo (Histoire d'un crime), parlant de la résistance au coup d'État de Napoléon III : « tout allait en avant avec une sorte d'emportement [l'organisation de la résistance populaire]; fallait-il suivre ou s'arrêter ? Fallait-il courir la chance d'en finir d'un coup, qui serait le dernier, et qui laisserait évidemment sur le carreau soit l'empire soit la République ? ». Et chez Victor Hugo encore (Le Prophète) : « Ils ont préféré ne pas courir la chance [prendre le risque de perdre leurs troupeaux] et ils l'ont signifié à Jésus sans détour. Et pourtant, cet hôte était le fils de Dieu, le Sauveur du monde ! La perte d'un troupeau de pourceaux était, en outre, compensée par la disparition des deux démoniaques qui jetaient le trouble dans la région. »
Il est sûr que l'expression courir la chance de + verbe est rare de nos jours. Dans la presse francophone européenne, on en relève seulement une trentaine d'exemples, et un seul de courir la chance de gagner : « courir la chance de gagner un bon d'achat » (La Dépêche du Midi, 21 novembre 2014). Ce qu'on trouve le plus souvent, c'est tenter la chance de gagner ou, plus souvent, tenter de gagner.
Courir la chance de est plutôt associé à prendre le risque de. L'association de courir la chance (idée négative de risque) et de gagner (idée positive de gain) est rare et contradictoire. Quand on joue à un jeu de hasard, on n'évalue pas le risque de perdre, mais plutôt la chance de gagner. Le slogan de La Française des Jeux « 100 % des gagnants au Loto ont tenté leur chance » est connu, même s'il n'insiste pas sur le fait que 100 % des perdants ont aussi tenté leur chance…
Conclusion : Il est plus logique d'inciter les joueurs à tenter de gagner, même si, dans le même temps, en achetant leur billet, ils courent la chance de perdre.
« Gros lot remporté. Il est encore temps de vous procurer un billet et de tenter la/votre chance de gagner 5 voyages de rêve + 75 000 $ en argent. »
Voir sur le site http://scientistsofamerica.com/index.php?texte=16 : « 100 % des gagnants d’un jeu de hasard auraient tenté leur chance ? Pas si sûr ! Une réclame émanant de la Française des jeux affirme que 100 % des gagnants au Loto ont, je cite, "tenté leur chance". On ne peut gagner si l’on ne joue pas, ce chiffre semble donc raisonnable et on n’en veut pas à la Française des Jeux d’utiliser ce slogan sans nous expliquer comment l’étude statistique a été conduite, ni même, si une étude statistique a effectivement été menée. Le public doit cependant se voir rappeler quelques faits. Tout d’abord, si 100 % des gagnants ont tenté leur chance, il est tout aussi vrai que 100 % des perdants ont tenté leur chance aussi. La symétrie entre les perdants et les gagnants s’arrête à ce pourcentage, car en nombre absolu, les perdants sont nettement plus nombreux que les gagnants. »
Mots-clés : langue française; impropriété; courir la chance de; prendre le risque de; tenter la chance de; Loto-Québec; La Française des Jeux.

Une curieuse expression : « radio parlée »


Il est une curieuse expression : radio parlée. C'est un peu comme monter en haut ou descendre en bas. Cela ressemble fort à un pléonasme. En effet, alors que le moyen d'expression du journal est l'écrit, celui de la télévision, le son et l'image, celui de la radio est le son, la parole (si l'on excepte la musique). On a du mal à imaginer une radio qui ne parle pas.
Alors d'où vient cette curieuse expression ? Dans la presse française, on la trouve pour la première fois dans Le Monde en 1996 : « Bien connue aux États-Unis, la "radio parlée" ou "talk radio" s'implante progressivement en Europe. Ce format, composé d'informations et d'émissions d'échange avec les auditeurs, commence à faire ses preuves en Grande-Bretagne et en Allemagne et en France séduit Europe 1 Communication et la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT) » (Le Monde, 27 avril 1996).
On le voit, il s'agit d'une traduction, - d'un calque -, de l'anglais talk radio. Mais cette traduction est maladroite et redondante. Elle repose sur la confusion de deux sens de to talk. Un sens (en emploi transitif) de ce mot est bien parler : to talk business se traduit par parler affaires ou parler business. Mais to talk a aussi un autre sens (en emploi absolu), à savoir converser, discuter, bavarder.
Une talk radio est une radio où l'on met l'accent sur les conversations, les discussions, les entretiens entre les journalistes, les experts et les auditeurs. On rencontre parfois les termes radio interactive ou radio participative, mais cela ne recouvre qu'un aspect de ce qu'est une talk radio et s'applique surtout aux radios non commerciales. En fait c'est une sorte de radio d'opinion, de radio-conversation, de radio-discussion ou, si l'on veut être critique de ce genre de radio, de radio-bavardage. Au Québec, on dirait de radio-placotage

Mots-clés : langue française; traduction anglais-français; calque; pléonasme; talk radio; radio parlée; radio interactive; radio participative; radio d'opinion; radio-conversation; radio-discussion; radio-bavardage; radio-placotage.

14 novembre 2019

« Un exercice périlleux ». Remarques sur un livre de Diane Lamonde.


De 1998 à 2019, Diane Lamonde (par la suite DL) a publié trois livres : Le Maquignon et son joual… (1) (par la suite DL 1998), Anatomie d'un joual de parade… (2) (par la suite DL 2004) et Français québécois… (3) (par la suite DL 2019). Dans DL 2019, elle critique ce qu'elle défendait dans DL 1998 et DL 2004. Pire, parfois dans ce même DL 2019, d'une page à l'autre, elle se contredit elle-même. C'est un véritable festival de volte-face qui n'apporte rien au débat et décrédibilise son auteur. Plutôt que de renoter pendant 8 ans des accusations outrancières sur ce qu'elle appelle mon « obsession antinationaliste », elle aurait mieux fait de nous dire ce qu'elle propose pour améliorer la qualité de la langue au Québec. Après des pages et des pages de critiques tous azimuts, elle annonce qu'elle nous donnera la réponse dans son dernier chapitre. Chapitre judicieusement intitulé « Rien n'est simple ». Rien n'est simple en effet. On y apprend que personne dans l'élite québécoise ne maîtrise la français standard international (4), qu'il y a des « fautes », des « impropriétés », des « barbarismes ». Et puis c'est tout… Circulez, y rien à voir. Pour le modèle, les mesures à prendre, on repassera.
Un titre trompeur

DL a intitulé son dernier livre Français québécois. La politisation du débat. À la lecture, on découvre qu'en réalité il s'agit presque exclusivement d'une critique d'une partie d'un de mes livres, - publié il y a 9 ans déjà -, Main basse sur la langue (5).
À part quelques digressions, au cours desquelles elle me range « par association », - elle qui se plaint qu'on l'ait rangée « par association » du côté des « antinationalistes » -, dans la même catégorie « antinationaliste » qu'Annette Paquot et Monique Nemni. Elle ignore visiblement que je ne partageais pas nombre d'idées avec ces deux linguistes. Je n'ai jamais eu de contact avec la seconde, très engagée dans Cité libre. Quant à la première, qui fut ma collègue pendant des années, si nous avions des points communs sur la norme linguistique, nous avions aussi de profonds désaccords sur les droits individuels ou collectifs des Québécois et la « question nationale ». L'amalgame est un procédé courant sous la plume de DL.
À part aussi un autre excursus, plus développé, où elle me reproche de ne pas avoir critiqué dans mes publications le Multidictionnaire (6) de Marie-Éva De Villers, prétendant que j'aurais voulu ainsi « ménager l'icône du bon parler (7) », voire « épargner » cette auteur. (J'y reviendrai plus loin).
En réalité, un titre plus exact de l'ouvrage aurait dû être L'obsession antinationaliste (8) de Lionel Meney à la lumière de Main basse sur la langue… Pas très vendeur, bien sûr… Remarquez, je doute que, même avec son titre plus sexy, le livre ait fait un succès de librairie…

Une bibliographie absente

On remarque l'absence de toute bibliographie et pour cause, comme l'essentiel du livre porte sur la critique d'un seul ouvrage, Main basse sur la langue, cela faisait un peu maigre comme références. Exit donc l'essentiel de l'environnement polémique du débat sur la norme linguistique. Reste pratiquement le seul face-à-face avec Meney. Qui pis est, avec un seul de ses livres, et pas le dernier. Comme si j'étais le premier et seul responsable de la « politisation » du débat sur la norme linguistique… Comme si la langue n'avait aucun rapport avec la politique… Comme si le choix d'une norme n'était pas en soi une prise de position politique…

Une information incomplète

Il est étonnant que DL ait pu écrire ce livre sans tenir compte de mon dernier ouvrage Le français québécois entre réalité et idéologie (9) comme s'il n'existait pas, et, surtout, sans l'utiliser dans ses démonstrations. Dans DL 2019, la seule mention de cet ouvrage apparaît dans une courte note au bas de la page 233 (sur 236 que compte le livre !). On comprend que cette note de dernière minute a pour seul objectif de tenter d'excuser l'auteur d'avoir fait l'impasse sur ce livre, d'essayer d'éviter qu'on l'accuse de ne pas le connaître (dans un jury, même de mémoire de maîtrise, une telle omission serait rédhibitoire). La ficelle est un peu grosse. Elle se dédouane à bon compte en expédiant la phrase suivante : « Le linguiste reprend dans cet ouvrage l'essentiel des idées développées dans Main basse… sur un ton nettement moins polémique. »
C'est tout ce que ses lecteurs - s'il y en a - sauront sur ce livre de 656 p., dans lequel je ne fais pas que « reprendre » mes idées, mais au contraire je les développe et les illustre en les appuyant sur des centaines d'exemples concrets. Exemples gênants pour DL.
J'y montre comment s'organise le marché linguistique québécois, comment s'exerce la concurrence entre le français vernaculaire québécois et le français international et quelles conséquences il faut en tirer pour le choix d'une norme ou la rédaction d'un dictionnaire. Tout cela aurait dû intéresser DL puisqu'elle prétend avoir été la première (du moins avant Jacques Maurais (10)) à parler de diglossie pour caractériser notre marché linguistique (elle aime bien affirmer qu'elle a été la première à dire ceci et à dire cela). (J'y reviendrai plus loin).
Elle aurait appris aussi où je me situe vraiment par rapport à la norme linguistique, car j'y analyse en détail les différentes positions sur la langue et la norme ayant cours au Québec (11). Elle aurait aussi vu que la « politisation » du débat remonte à beaucoup plus loin qu'elle ne l'imagine. Mais cela l'aurait amenée à réviser ses affirmations alors que la rédaction de son livre - en gestation depuis 8 ans - était trop avancée pour reculer…

Une thèse fantaisiste

Le mot qui fâche est lancé : antinationalisme. Selon DL 2019, toutes mes prises de position dans le débat sur la langue s'expliqueraient par une seule et unique raison : je serais animé d'une « obsession antinationaliste (12) ». DL, quant à elle se range donc du côté des « plus nationalistes », si l'on juge sur ses paroles : « On peut s'étonner que Lionel Meney ait consacré autant de pages à cette entreprise navrante de diabolisation du nationalisme et de déstructuration de l'identité québécoise [sic], au risque […] de braquer carrément les plus nationalistes d'entre eux (13) ». Car je l'ai « braquée », c'est évident… « Diabolisation du nationalisme », « déstructuration de l'identité québécoise », diantre ! Quel pouvoir elle me prête… Mais, bien sûr, sa position à elle, qui s'est donné comme mission de combattre mon « antinationalisme », est tout sauf politique…
À la lecture de DL 2019, je me suis rendu compte que je devais souffrir de cécité. À longueur de pages, DL m'apprend que je n'avais pas vu ceci ni vu cela, qui pourtant crevait les yeux… J'ai compris que DL, par contre, avait une vue remarquable, qui lui permettait même de voir des choses qui n'existent pas… DL a aussi une prodigieuse intuition grâce à laquelle, par exemple, elle peut affirmer que je ne suis certainement pas « un partisan de la social-démocratie (14) ». Pour un peu, elle révélait ubi et orbi comment j'ai voté aux referendums de 1980 et de 1995… DL a aussi l'art d'interpréter les citations. D'une goutte, elle fait un gallon. Interprétations abusives ou erronées, extrapolations, manipulations, insinuations, elle a plus d'une flèche dans son carquois. Elle parle avec assurance d'événements dont visiblement elle n'a pas eu une connaissance directe.
Oublié le temps où nous partagions les mêmes idées sur le projet aménagiste, la conception de la norme linguistique et la rédaction d'un dictionnaire général du français québécois, où elle me demandait de lire son manuscrit, me remerciait pour mes « précieux conseils et mes non moins précieux encouragements »
Il est cruel, mais éclairant, de juxtaposer des citations d'elle d'hier et d'aujourd'hui. Qu'est-ce qui peut bien expliquer de telles volte-face ? Une découverte qui chamboule tout (à part la révélation de mon « antinationalisme obsessionnel ») ? On se perd en conjectures. DL montre qu'elle est gênée aux entournures (mais pas plus qu'il ne faut) et, pour se dédouaner à bon compte, elle reconnaît : « Je suis consciente de me livrer à un exercice périlleux. On pourra en effet penser que j'ai changé de camp tant il m'a souvent fallu, pour faire pièce aux dérives de l'argumentation antinationaliste et recentrer le débat sur la question linguistique, défendre ceux que j'ai pourfendus dans mes essais précédents (15) ». Elle n'a pas « changé de camp », dont acte… Mais je l'avoue, avant son coming-out tardif, je n'avais pas remarqué son combat intérieur ni sa souffrance. Encore une fois, pour DL la question linguistique n'a rien à voir avec la question politique. Il faut les tenir séparées. À l'entendre, elle n'aurait jamais critiqué le projet aménagiste d'un point de vue politique, mais seulement linguistique. Nous ne devons pas avoir la même définition du politique.

Parmi les nombreuses volte-face faites par DL 2019 par rapport à DL 1998 et à DL 2004, examinons les plus importantes, c'est-à-dire les plus étonnantes, car elles concernent les questions fondamentales du débat sur la norme au Québec.

Volte-face numéro 1 : Nationalisme or not nationalisme ?

Petit résumé chronologique :
2019 : DL me reproche ma critique du « nationalisme ».
2004 : DL critique le nationalisme du projet aménagiste de dictionnaire québécois.
1998 : DL critique le nationalisme ambiant, celui des milieux culturels et d'enseignants, celui des linguistes endogénistes Jean-Denis Gendron, Jean-Claude Corbeil, Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière, etc.

Critiquant mon « antinationalisme crispé (16) », DL 2019 se souvient-elle de ce qu'elle disait du nationalisme des linguistes endogénistes (17) dans DL 1998 ? Elle a opéré à ce sujet un U-turn spectaculaire, un virage à 180 degrés.
Relisons DL 1998. Elle y critique le nationalisme linguistique et culturel ambiant; p. 30, elle cite un extrait du Rapport des femmes universitaires de Québec, présenté à la commission Parent en 1962, qui déclare : « Par un souci de patriotisme étriqué et mal compris […], on a voulu à tout prix rester dans le contexte canadien. Ne traiter que la réalité canadienne, comme si la langue française n'existait qu'au Canada ». Et DL 1998 de commenter : « Ne suffirait-il pas de remplacer patriotisme par nationalisme et canadien par québécois pour rendre compte de la réalité d'aujourd'hui ? »; p. 25, elle critique l'Association québécoise des professeurs de français dans ces termes : « l'AQPF, dont on sait qu'elle a bien souvent subordonné l'enseignement de la langue et de la littérature à des considérations nationalistes »; p. 119, elle reprend à son compte une citation de Jacques Pelletier, qui déclare « le nationalisme de Québec français est détestable »; sur les colloques des linguistes endogénistes : p. 149, « il est vrai qu'à ces grands-messes de la national-linguistique que sont ces colloques sur le français québécois, les mécréants n'étant pas invités, on ne risque pas d'entendre un couac dans le concerts des alléluias »; sur Jean-Denis Gendron, ancien président de la Commission d'enquête sur la situation de la langue française et des droits linguistiques au Québec, p. 77 : « Gendron est invité dans tous les colloques où son nationalisme grandiloquent rassure et fait contrepoids à l'égalitarisme gauchisant des néo-joualisants avec qui il a contracté une alliance contre-nature »; sur Pierre Martel, alors président du Conseil de la langue française (CLF), elle écrit, p. 121 : « Il est remarquable que Pierre Martel […] ait accordé plus d'importance à une résolution prise par une association d'enseignants [l'AQPF], dont à peu près tout le monde s'entend pour dénoncer le nationalisme étriqué »; p. 185, elle va même jusqu'à porter une accusation à peine voilée de racisme : « À moins que ces Normands ambivalents [que sont à ses yeux les Québécois], comme ils rêvent d'un Québec indépendant dans un Canada fort, ne conçoivent leur langue comme un joual fringant, très à cheval sur la pureté de la race ! »; p. 194, elle ironise sur le terme « Laurentie », affectionné des linguistes endogénistes… À de nombreuses reprises, elle se moque de l'emploi fréquent par ces mêmes linguistes de l'adverbe ici (« la réalité d'ici », « la langue d'ici », « le bon français d'ici », « la pédagogie d'ici », etc.; p. 29, « Irène Belleau se fait lyrique pour exalter les vertus enivrantes de l'ici »). N'en jetez plus, la cour est pleine ! DL me reproche à longueur de pages mon « antinationalisme obsessionnel », alors qu'elle a consacré deux ouvrages à critiquer l'endogénisme dans le domaine de la langue. Et c'est moi qu'elle accuse de politiser indument le débat, pas les propagandistes de cette idéologie… Meney « politise » le débat, DL le « recentre ». Nuance ! A-t-elle oublié ses propres écrits ? Amnésie ou résipiscence ?

Volte-face numéro 2 : Francophobie or not francophobie ?

Petit résumé chronologique :
2019 : DL me reproche d'avoir parler d'une « francophobie » qui, à ses yeux, n'aurait pas existé.
1998 : DL critique la francophobie d'Henri Bourassa, des linguistes endogénistes, de Léandre Bergeron, Gilles Bibeau, Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière, Jean-Claude Corbeil…

DL 2019 me reproche d'avoir critiqué la francophobie des milieux endogénistes. Je cite : « La francophobie jouerait un rôle obscur mais non négligeable, selon Meney, dans la volonté de définir une norme québécoise (18) » Elle en nie l'existence. Il convient d'abord de replacer mes propos dans leur contexte historique, ce que garde bien de faire DL. Je parlais de la fin des années 60 et du début des années 70  (19).  Ceux qui ont vécu cette époque et ses débats s'en souviendront. DL 2019 a oublié ce qu'elle a écrit dans DL 1998 sur l'attitude des linguistes endogénistes vis-à-vis de la France et des Français, de Paris et des Parisiens, de la bourgeoisie parisienne, de leur impérialisme culturel et linguistique, de leur accent, de leur snobisme, de leur laxisme, de leur anglomanie, de leurs dictionnaires, de leurs grammaires… Elle a même oublié ce que les linguistes endogénistes disaient des Québécois partisans d'une norme internationale, qu'ils traitaient régulièrement de « colonisés de l'intérieur »…
Relisons DL 1998. Elle dénonce à maintes reprises la francophobie présente dans le débat sur la langue. Voici un petit florilège de ses attaques. Sur Henri Bourassa, p. 177 : « chez nous même, au début du siècle déjà Henri Bourassa se réjouissait de notre "salutaire séparation de la France impie, blasphématoire, et trop facilement accueillante de mots anglais". » Sur les linguistes endogénistes et l'ambiance générale de l'époque, p. 78 : « Le sentiment d'"autonomie linguistique" qui a brutalement freiné les progrès accomplis par la Révolution tranquille en matière de langue n'aura jamais été qu'un amalgame de romantisme linguistique et de francophobie frottée d'idéologie de la décolonisation »; p. 50, « la supercherie culmine quand on tente de nous persuader que, pour ce qui est de la prononciation, si "le modèle [est] radio-canadien" il n'est tout de même pas français !... En ressortant un vieux hochet de la panoplie du parfait petit francophobe, le parler pointu »; Sur Pierre Martel, p. 49, elle critique le titre d'un des chapitres d'une publication de cet auteur : « Non au français de France »; p. 178, « Il ne s'agit pas pour l'aménagiste [Pierre Martel] d'expliquer, mais essentiellement de jouer le Québec contre la France sur une des rares questions à propos desquelles il a quelque espoir d'être pris au sérieux quand il affirme que les Québécois "ne veulent pas parler comme les Français" »; p. 191, « Mais qu'à cela ne tienne, le président du CLF poursuit opiniâtrement sa charge francophobe en s'attaquant au travail des lexicographes français »; p. 193, « Depuis Léandre Bergeron, on n'était jamais allé aussi loin dans la francophobie tous azimuts. Il faut vraiment faire un effort pour se persuader que ce ramassis de clichés et d'affirmations gratuites est tiré d'un avis du CLF » Sur Léandre Bergeron, p. 196 : « "Le Français emprunte très difficilement parce qu'il est pogné avec l'idée de 'pureté' de la langue". "Et il en souffre" d'ajouter Bergeron, francophobe mais compatissant. », p. 69 : « Sans doute faut-il […] voir à l'œuvre, dans la pensée des deux hommes [Léandre Bergeron et Bruno Roy], ce vieil esprit de ressentiment à l'égard de la France dont est si souvent empreint les discours des défenseurs de la langue québécois. »; p. 81 : « on s'en apercevra pour peu qu'on sache lire la Charte de la langue québécoise en faisant abstraction de la francophobie bête et méchante de l'auteur. »
DL a aussi oublié avoir critiqué ceux qui parlent de l'« impérialisme » culturel et linguistique de la France. Dans DL 1998, p. 69, elle épingle Bruno Roy « qui disait craindre qu'avec la réforme mise en œuvre au collégial l'enseignement de la littérature québécoise ne soit "enveloppé par les anciennes odeurs d'une littérature impériale française". »; p. 174 : « [Hélène Cajolet-Laganière ] cita ces deux fins observateurs de nos pratiques langagières [deux Québécois parmi d'autres interrogés par un sondeur sur la norme] sur le ton parfaitement satisfait de celle qui assiste à l'affranchissement de ses compatriotes à l'égard de l'impérialisme culturel de la France »; p. 154 : « Jean Claude Corbeil qui prétend sonner la récréation pour le locuteur québécois enfin libéré des grammairiens du passé, veules courroies de transmission de la "norme externe venue de France.
Corollaire obligé de l'impérialisme français chez les endogénistes, DL critique l'image du « colonisé de l'intérieur » accolée à ceux qui prônent une norme internationale plutôt qu'une norme québécoise. Dans DL 1998, on lit p. 130 : « notre aménagiste [Pierre Martel] revient à ses bonnes vieilles méthodes et impute à une "certaine élite" - entendons la francisée, la colonisée de l'intérieur - l'insuccès de son dictionnaire fétiche »; p. 154, elle fustige « Jean-Denis Gendron qui ne veut voir dans les campagne de bon parler d'avant la Révolution tranquille qu'une "attitude à-plat-ventriste" résultant d'une "perversion du jugement sociolinguistique" ».
La francophobie se manifeste aussi par le dénigrement de la langue des Français, ce que DL ne manquait pas de critiquer. Elle ironise, p. 102 : « [Pierre] Martel consacrait plus de temps à dénigrer la langue qu'on parle en France, affirmant que les Québécois "ne veulent pas parler […] comme les Français (en parlant avec un accent pointu à la parisienne), en utilisant leurs mots d'argot […] et leurs anglicismes", qu'à expliquer ce qu'on recenserait dans un dictionnaire général du français québécois ». Autre tarte à le crème des endogénistes, l'anglomanie des Français, argument également critiqué par DL 1998, p. 161 : « Une fois l'anglicisme québécois occulté sous un pudique voile de brume, on peut en toute tranquillité s'adonner à la récitation des poncifs sur l'anglomanie des Français, dont le québécisant trouve en toute circonstance à faire son miel »; p. 189 « Pierre Martel est cependant fort prolixe quand il s'agit d'entretenir le ministre de l'indécrottable anglomanie des Français
DL 1998 avait également bien vu le bouquet final de ce feu d'artifice, à savoir la critique des dictionnaires « parisiens »; p. 43 : « Gilles Bibeau n'est pas en reste. Les dictionnaires français sont décrits par le professeur […] comme des "instruments de domination culturelle, éducative et sociale", qui servent à "étendre la culture laeticienne [sic]" »; p. 166, « afin, bien sûr, de leur éviter d'être sournoisement anglicisés par les dictionnaires parisiens. »
Tout cela sous la plume de DL 1998, alors que DL 2019 me reproche d'avoir parlé d'une francophobie… qui n'existerait pas.

Volte-face numéro 3 : Critiquer or not critiquer les endogénistes ?

Petit résumé chronologique :
2019 : DL me reproche de ne pas avoir critiqué le Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers.
2019 : DL me reproche d'avoir porté atteinte à la crédibilité des aménagistes, dont Marie-Éva De Villers, en les critiquant.
2019 : DL critique à nouveau le Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers.
2004 : DL critique la langue des mêmes aménagistes et le Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers.
1998 : DL attaque le projet de dictionnaire des mêmes aménagistes.

DL 2019 me reproche de ne pas avoir critiqué le Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers. On croit rêver quand on a lu plus haut dans ce même livre la citation suivante : « L'approche adoptée par Meney est non seulement injuste, mais elle est également contre-productive. Il est en effet risqué d'attaquer ainsi la crédibilité de linguistes dont bon nombre jouissent d'une solide réputation auprès du grand public et des organismes subventionnaires (20). Faut-il rappeler que la mouvance aménagiste compte dans ses rangs l'auteure des premières éditions du Français au bureau (21), l'auteure du Multidictionnaire (22) et l'auteur du Dictionnaire visuel (23) ». Ce qui ne la gêne pas d'avoir proclamé : « Anatomie[c'est-à-dire DL 2004] ratisse suffisamment large, et assez en profondeur  […] pour que la réputation de l'élite québécoise ressorte écorchée de l'exercice de correction (24) »
Essayons de débrouiller, si possible, les idées un peu bousculées de DL. Elle me reproche de ne pas avoir critiqué le Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers, quand, dans le même ouvrage, dans une longue digression hors de propos (25), elle continue de critiquer la langue cette auteur comme elle l'avait fait dans ses ouvrages précédents, ne ratant pas l'occasion d'ajouter de nouveaux exemples à son tableau de chasse… Mais, en même temps, elle nous dit que ce n'est pas bien de la critiquer… Elle me reproche d'avoir risqué d'attaquer la crédibilité de linguistes « jouissant d'une solide réputation » comme Marie-Éva De Villers, Hélène Cajolet-Laganière, Pierre Martel, Jean-Claude Corbeil, alors qu'elle les a elle-même attaqués durement dans deux ouvrages, DL 1998 et DL 2004 ! A-t-elle oublié ce qu'elle a dit du livre d'Hélène Cajolet-Laganière dans le chapitre 3 (« Le français de nos langagiers ») de DL 2004 ? A-t-elle oublié ce qu'elle a dit de celui de Marie-Éva De Villers dans les chapitres 4 et 5 (« Subtilités et non-dits du nouveau discours normatif » et « Les difficultés du Multi ») ? Pire encore, DL 2019 a-t-elle oublié ce qu'elle écrit p. 167 : « les lacunes du français de ces locuteurs modèles que sont censés être les auteurs de guides de rédaction et d'ouvrages correctifs est un révélateurs de l'état de la langue de l'élite dans son ensemble » ? Pas facile à piger la logique de DL !
Elle doit reconnaître cependant que j'ai « déconstruit » « avec une remarquable efficacité » les thèses de Marie-Éva De Villers exposées dans un autre ouvrage Le Vif Désir de durer (26). Ouf ! Seul petit point positif à mon égard dans l'ensemble de son livre… Alors, si j'ai « déconstruit » ces thèses avec « une remarquable efficacité », c'était donc pour en « ménager » l'auteur ? Le raisonnement de DL est obscur, tortueux, alambiqué et plein de contradictions.

Volte-face numéro 4 : Diglossie or not diglossie ?

Petit résumé chronologique :
2019 : DL critique la notion de registre de langue avancée par les aménagistes pour caractériser les particularismes québécois.
2019 : DL critique de la notion de diglossie comme ne s'appliquant pas au Québec.
2019 : DL affirme l'existence d'une situation de quasi-diglossie au Québec.
1998 : DL affirme l'existence d'une situation de diglossie au Québec.

Quelle DL faut-il croire ? Celle de DL 2019 ou celle de DL 1998 ? Celle qui réfute l'idée de diglossie appliquée à la situation linguistique du Québec ou celle qui la défend ? En effet, entre ces deux dates, elle a totalement viré capot. Dans DL 2019, alors qu'il s'agit pour elle de critiquer mes thèses à tout prix, elle affirme d'une manière péremptoire : « Ces exemples montrent que la thèse de la diglossie ne tient pas la route, que la singularité de l'usage québécois n'est pas réductible à une distinction entre vernaculaire et langue standard (27) ».
Relisons DL 1998. Comparant la langue de Michel Tremblay et celle de Pierre Vadeboncœur, elle s'interroge : « S'agit-il vraiment là de la même langue ? Il faut plutôt voir, à mon sens, dans ce qu'on appelle le français québécois un état de diglossie (28) ». Plus tôt, elle s'était interrogée sur « les problèmes d'apprentissage que peut entraîner la cohabitation à l'école de deux systèmes linguistiques, québécois et français, à la fois différents et semblables – deux états d'une même langue entre lesquels il y a osmose (29) ». Fière de sa trouvaille (qu'elle devait à Pierre Chantefort (30), mais en 1998 elle ne reconnaissait pas encore sa dette), elle va plus loin dans sa description de la diglossie québécoise : « Sur le plan lexical, par exemple, l'usage québécois se caractérise par l'existence d'un double vocabulaire "concurrentiel" : sacoche/sac à main, vidanges/ordures, poêle/cuisinière (31) » [suit une liste de 25 de ce qu'elle appelle « doublets concurrentiels » et de ce que j'appelle « paires diglossiques (32) »]. Dans son exposé de la diglossie appliquée au Québec, elle poursuit : « Tous ces doublets relèvent de la concurrence, justement, du parler régional et de la langue standard, qui est toujours considérée comme la langue de prestige. Le lexicographe aménagiste aura quelque mal à indiquer honnêtement le cours des usages québécois sur le marché des valeurs local sans donner du français d'ici l'image d'une langue de seconde classe (33) ». Finalement, elle conclut : « Aussi est-il à craindre que le projet d'aménagement du français québécois, en affirmant l'égalité de toutes les variétés de langue, n'ait pour résultat que de nous enliser dans la diglossie (34). »
La théorie complète de la diglossie, dans sa définition classique, se trouve donc défendue sous la plume de DL 1998, appliquée au Québec : coexistence de deux systèmes linguistiques sur un même marché, distinction entre une variété dite « haute » et une variété dite « basse », le vernaculaire québécois étant considéré comme la variété « basse », le français standard comme variété « de prestige », osmose et concurrence entre les deux…
C'est justement ce que j'ai développé et illustré en détail dans Le français québécois entre réalité et idéologie, livre que, décidément, elle aurait eu intérêt à lire avant de publier DL 2019. Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre 1998 et 2019 pour que DL opère un tel revirement ? pour que ce qu'elle trouvait génial en 1998 lui apparaisse « simpliste » en 2019, sans qu'elle présente quelque argument, quelque preuve que ce soit ? Ce rejet de la diglossie relève-t-il de son désir de « recentrer le débat sur la question linguistique » ? Absurde. On pourrait bien en effet « penser qu'elle a changé du camp ». Mais, non, elle nous l'assure, ce n'est pas le cas. Exercice vraiment périlleux…

Volte-face numéro 5 : Une commission Larose (35) « paquetée » or not « paquetée » ?

Petit rappel chronologique :
DL 2019 :
Lionel Meney critique injustement la ministre Louise Beaudoin pour avoir nommé Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière membres de la commission Larose et Pierre Martel chargé du colloque sur la qualité de la  langue.
Il n'y avait aucune intention de favoriser les aménagistes dans ces nominations.
On ne pouvait pas prévoir que la question de la norme linguistique s'imposerait devant cette commission.
On pouvait encore moins prévoir qu'elle recommanderait la rédaction d'un dictionnaire du français québécois.
DL 2004 :
Dès que Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière ont été nommé, il était clair que les dès étaient jetés.
On pouvait déjà être sûr qu'on y ferait la promotion du français québécois standard.
On pouvait déjà être sûr que la commission recommanderait la rédaction d'un dictionnaire du français québécois.
Comme par hasard, Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel avaient déjà un projet de dictionnaire dans leurs cartons.

DL 2019 n'est pas à une contradiction près quand il s'agit pour elle de critiquer mes affirmations au sujet de la composition de la commission Larose et du rapport qu'elle a produit. Son interprétation de la signification de la nomination par la ministre Louise Beaudouin de Jean-Claude Corbeil, son sous-ministre, et d'Hélène Cajolet-Laganière, coauteur du projet de dictionnaire québécois Franqus, comme membres de la commission change du tout au tout de DL 2004 à DL 2019. Visiblement, elle a oublié ses propres suspicions. Je cite DL 2019 : « Le reproche [que Meney fait à Louise Beaudouin d'avoir nommé Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière] est injuste. Bien malin qui aurait pu prédire qu'on allait y accorder une telle place à la question de la norme, et surtout que l'exercice allait aboutir à une recommandation relative à la rédaction d'un dictionnaire du français québécois (36). »
Relisons DL 2004 : « Dès le moment où la composition de la Commission a été rendue publique et où l'on a su que les deux linguistes qui y siégeraient étaient les aménagistes Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière, il était clair que les dés étaient jetés. Il ne restait plus qu'à attendre la publication du rapport pour compter le nombre de fois qu'y figurerait l'expression français québécois standard (37). »; « La mainmise des aménagistes sur la Commission Larose méritait d'ailleurs à double titre d'être dénoncée. Outre le fait qu'ils monopolisaient le discours sur la norme, ces linguistes étaient juge et partie sur la question. Depuis des années, Hélène Cajolet-Laganière et son collègue Pierre Martel étaient à la recherche d'une source de financement public pour mener à bien leur projet lexicographique. Il va sans dire que quelques recommandations idoines dans le rapport de la commission Larose ne pouvaient pas faire tort dans une demande de subvention […]. Comme le hasard fait bien les choses : nous avons justement un projet de dictionnaire du québécois dans nos cartons ! (38)» Est-ce vraiment la même personne qui a écrit ces citations ? C'est difficile à croire. Le « recentrage sur la question linguistique » nécessitait-il un tel retournement de veste ? À croire qu'il y a peut-être deux DL, une pour, l'autre contre ?

Volte-face numéro 6 : Le dictionnaire aménagiste, échec or not échec ?

Petit rappel chronologique :
DL 2019 :
Le dictionnaire est loin de la rupture avec la France et la Francophonie annoncée par Lionel Meney.
Le dictionnaire ne donne guère prise aux critiques grâce à ses marques d'usage.
Le dictionnaire facilite l'acquisition du français standard
DL 1998 :
Le dictionnaire se propose de résoudre un cas de diglossie, ce qui est impossible.
Le dictionnaire va nous enliser dans la diglossie et perpétuer les formes dialectales.
Le dictionnaire sera un « amalgame de français trafiqué et de joual toiletté ».
Le dictionnaire aura des effets pernicieux.
Le simple recensement des mots dans un dictionnaire constitue une forme de légitimation.
Il ne faut pas s'illusionner sur l'efficacité des marques d'usage.

Une des volte-face les plus spectaculaires de DL (et Dieu sait s'il y en a !) concerne le dictionnaire aménagiste issu du projet Franqus. Spectaculaire quand on sait que toute l'énergie déployée par DL au moins jusqu'en 2004 a été consacrée à la critique des aménagistes, de la langue de leurs écrits, de leur norme - le français québécois standard - et du dictionnaire qui devait l'illustrer. D'ailleurs DL 2019 ne manque pas encore de me critiquer pour ne pas m'être intéressé, selon elle, « au fait qu'un dictionnaire du français québécois risquerait de contribuer à la reproduction de ces formes, qui toutes sont carrément fautives au regard du français standard (39).  ». Accusation difficilement compréhensible, car en même temps DL 2019 est littéralement tombée en amour avec Usito, le dictionnaire québécois en ligne issu du projet Franqus : « L'ouvrage ne donne guère prise à l'argumentaire antinationaliste développé dans Main basse… On est en effet bien loin de la rupture avec la France et la francophonie annoncée et dénoncée par Lionel Meney. Non seulement un système de marquage assez rigoureux permet de distinguer les usages québécois (UQ), mais le cas échéant ceux-ci sont accompagnés de leur équivalent en français de référence, ou de France (UF). […] On peut donc dire que loin de priver les Québécois des mots de la langue standard, dans certains cas il leur en facilite l'acquisition (40). » DL de se réjouir : « L'aventure lexicographique québécoise est donc maintenant bien engagée (41). » Cerise sur le gâteau/sundae : « À terme il faudrait en arriver […] à enregistrer "l'usage réel", conformément au principe selon lequel l'usage fait la loi (42).  » On doit donc comprendre qu'elle se range désormais derrière les québécisants, partisans de la légitimation de mots comme vidanges ou sloche. Mais non, elle n'a pas « changé de camp »... Étonnante déclaration de la part de quelqu'un qui n'a de cesse de décrier la langue des Québécois, dont pratiquement aucun ne « maîtriserait le français standard »… En toute honnêteté, DL 2019 devrait s'excuser de tout le mal qu'elle a dit antérieurement  des auteurs du dictionnaire (DL 1998 et DL 2004). Devant un tel retournement de veste, on se demande si elle a analysé sérieusement Usito, ou simplement jeté sur lui un coup d'œil hâtif, avant de communiquer son enthousiasme pour le produit aménagiste. Je lui conseille vivement de lire mes analyses sur le sujet dans ce blog. Elle a tout simplement zappé ses critiques du « pseudo-dictionnaire général qu'on finira vraisemblablement par publier (43). », critiques auxquelles elle a consacré deux livres entiers. Il faudrait les citer pratiquement dans leur intégralité pour lui rappeler tout le mal qu'elle pensait, à l'époque, de ce projet et de leurs auteurs.
Relisons DL 1998. Elle n'a de cesse de rappeler que « les aménagistes ne sont pas près d'accepter l'idée que les Québécois ne veulent tout simplement pas de dictionnaire du français d'ici. Et qu'ils se satisferaient sans doute de dictionnaires adaptés (44). ». À l'époque, elle défendait l'idée de l'impossibilité de rédiger un dictionnaire du français québécois du fait de la situation de diglossie : « Mais la véritable nouveauté […] ne réside-t-elle pas dans le principe même de ce dictionnaire qui se propose de résoudre un cas de diglossie ? Un dictionnaire de langue… diglossique (45). » Elle faisait part de ses craintes dans ces termes : « Qui d'ailleurs se reconnaîtra dans l'idiome composite qu'on devra nous y proposer, amalgame de français trafiqué et de joual toiletté ? (46) ». Elle pronostiquait que le dictionnaire général québécois virerait au dictionnaire des difficultés, ce qui s'est effectivement produit avec Usito, mais ce qu'elle n'a pas vu : « Signaler systématiquement tous les emplois abusifs et les barbarismes qui caractérisent notre langue reviendrait à faire du dictionnaire de l'usage québécois un dictionnaire des difficultés au Québec (47) » Si DL 2019 place toute sa confiance dans l'efficacité des marques d'usage, DL 1998 disait tout le contraire : « Il ne faut pas s'illusionner sur l'utilisation des marques d'usage pour maintenir le cap sur la norme internationale (48) »; « la plupart de ceux qui s'intéressent à la lexicographie du point de vue de la norme s'entendent pour dire que le recensement d'un mot dans le dictionnaire constitue en soi une forme de légitimation, même lorsqu'il est accompagné d'une marque normative, emploi critiqué, anglicisme, vulgaire, etc. (49) ». Si DL 2019 pousse l'enthousiasme jusqu'à affirmer qu'Usito favorisera l'acquisition du français standard, DL 1998 pensait exactement le contraire : « À plus ou moins long terme, c'est une foule d'usage fautifs qui devraient être légitimés par le dictionnaire, parce qu'ils sont courants dans la langue, même soignée de la "nouvelle classe moyenne" québécoise (50). » C'était d'ailleurs sa principale crainte, crainte aujourd'hui balayée d'un revers de la main par la révélation des charmes d'Usito

Une autre accusation infondée

Autre trouvaille de la championne de la « dépolitisation » et du « recentrage » du débat, DL me reproche de ne pas me préoccuper de la qualité de la langue, d'avoir sur ce sujet un « discours lénifiant (51) ». DL semble ne pas comprendre le rapport (pourtant évident) entre la défense d'une norme et le souci de la qualité de la langue. Comment peut-on défendre la qualité d'une langue sans s'appuyer sur un modèle linguistique, sans le défendre, sans critiquer tout autre modèle ? Et, au Québec, à quoi se résume le choix d'un modèle linguistique ? C'est tout l'objet de nos débats récurrents. Dans toutes mes interventions, j'ai défendu une norme à laquelle est associée une conception de la qualité de la langue. Selon votre choix normatif, tout un tas de décisions en découlent.
En prétendant cela, DL fait tout simplement l'impasse sur toutes mes analyses et mes critiques de plusieurs ouvrages québécois. Pour rappel, mentionnons plusieurs chapitres dans Main basse sur la langue (qu'elle dit avoir lu) sur le français des aménagistes (chapitre XVI. La qualité de la langue des commissaires; chapitre XVIII. Le français standard en usage au Québec par l'exemple); un chapitre sur le Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (52) (chapitre XIX); un chapitre sur le Grand Dictionnaire terminologique (53) de l'Office québécois de la langue française (chapitre XXI). En fait cela ressemble pas mal à ce DL elle-même a écrit dans DL 1998 et dans DL 2004. Si elle avait lu mon dernier ouvrage, Le français québécois entre réalité et idéologie, elle aurait certainement été intéressée par le chapitre V intitulé Typologie des anglicismes en français québécois; le chapitre VI. Mécanismes de formation d'une interlangue; le chapitre VII. Le rôle de la traduction dans la formation d'une interlangue. Elle aurait aussi vu que je critique les choix linguistiques d'Henri Bélanger et de Marcel Boudreault en particulier pour des questions de qualité de la langue, tandis que je réhabilite en bonne partie ceux de Gérard Dagenais, grand pourfendeur d'anglicismes et d'impropriétés, ce qui aurait dû lui plaire (chapitre IX. Réalité et idéologies linguistiques). DL a oublié que j'ai enseigné le français dans les programmes de traduction de l'Université Laval pendant près de 25 ans. Je ne sais pas comment j'aurais pu le faire sans me préoccuper de la qualité de la langue ! que j'ai analysé le fond et la forme (la qualité de la langue) d'ouvrages scolaires pour le Ministère de l'Éducation; établi une typologie des anglicismes pour l'Office de la langue française… Enfin DL ne mentionne pas non plus mon blog (54), dans lequel je traite justement de la correction de la langue à partir d'exemples québécois (en particulier de nombreux anglicismes et impropriétés, ce qui devrait aussi lui faire plaisir). Pas mal pour quelqu'un qui néglige la qualité de la langue !
En fait DL 2019 me reproche, sur un ton mielleux et passablement hypocrite, de considérer que le vernaculaire fait partie du patrimoine linguistique des Québécois au côté du français standard international : « Si l'on peut comprendre le désir de Lionel Meney, qui est d'origine française (55), de ne pas prêter flanc aux accusations de mépris, il nous semble qu'il n'est pas nécessaire d'aller aussi loin que de faire du parler populaire, ce français exsangue et anglicisé, un "élément fondamental du patrimoine culturel québécois" (56) »; « sa thèse […] passe par la banalisation, voire par une forme de légitimation du vernaculaire (57). »
Dire ce que j'ai dit ne signifie pas qu'on veuille ériger le vernaculaire en modèle linguistique. C'est simplement reconnaître un état de fait, reconnaître aussi que cela ajoute aux possibilités de communication des Québécois, en particulier sous l'aspect identitaire (et dire que DL me reproche mon « obsession antinationaliste »…). La littérature, le théâtre, le cinéma et la chanson en apportent la preuve. Peut-on exclure du patrimoine culturel des Québécois les Michel Tremblay, Richard Desjardins et autres Xavier Dolan, sans compter Gilles Vigneault, malgré ses « archaïsmes » ? Et l'essentiel de leurs œuvres aurait-il pu être écrit en français standard international ?
On pourrait continuer de lister les contradictions de DL 2019, mais à quoi bon? Que penser de quelqu'un capable de défendre d'un livre à l'autre avec la même conviction des thèses opposées ? On aurait pu s'attendre à ce qu'elle nous fournisse quelques perspectives, vu qu'elle ambitionnait de « recentrer le débat sur la question linguistique », débat que j'aurais dévoyé par mon « obsession antinationaliste ». On aurait pu s'attendre à ce qu'elle nous indique, dans un magnifique raisonnement dialectique à la Hegel, comment elle comptait dépasser ses propres contradictions (nationalisme ou antinationalisme ? francophobie ou absence de francophobie ? diglossie ou absence de diglossie ? norme endogène ou norme internationale ? dictionnaire national ou dictionnaire « parisien » ? norme réelle ou norme construite ? etc.). On aimerait savoir où elle se situe finalement par rapport à toutes ces questions; qu'elle nous présente sa conception du modèle linguistique qu'il conviendrait d'adopter pour le Québec. Dans le cours de sa diatribe, elle annonce plusieurs fois qu'on aura la réponse à la fin. On attend avec impatience d'arriver à la fin et de découvrir, après son travail de démolition, quelque chose de constructif. Malheureusement le dernier chapitre, intitulé « Rien n'est simple », ne nous éclaire pas davantage. On y apprend seulement que les Québécois, même parmi l'élite ne maîtrisent pas le français standard international, qu'il y a des « fautes », des « anglicismes », des « archaïsmes », des « impropriétés », des « barbarismes », des « maladresses », tout cela est très nouveau..., mais on attend toujours une déclaration explicite sur le modèle, la norme, les mesures concrètes qu'elle prône. Where's the beef ? est-on tenté de dire. À l'évidence, il n'y rien. Rien n'est simple pour/avec DL.
Arroseur arrosé. Correctrice corrigée

DL ne rate pas une occasion de critiquer le français des autres. À l'entendre, personne dans les élites québécoises ne maîtrise le français standard (à part elle, bien sûr). Elle les accuse, entre autres, de ne pas savoir éviter les anglicismes masqués. Ironiquement, à la page 192 de son livre, un de ces anglicismes masqués lui a joué un mauvais tour : « À première lecture, on peut ne rien remarquer : unité et diversité du français québécois, cela paraît faire sens ». Elle n'a pas vu que « faire sens » est un calque de l'anglais « to make sense ».
DL n'a pas seulement des difficultés à démasquer les anglicismes masqués, mais aussi certains anglicismes sans masque. On apprend p. 231 que windschield [sic] a été « sorti de la nomenclature » d'Usito. Peut-être l'y a-t-on réintroduit sous la forme windshield ? Dans ce cas, il s'agit certainement de la faute commune de la correctrice de la correctrice et de la correctrice elle-même…
À propos de la correctrice, DL s'est fait jouer un tour. Son choix est d'écrire une auteur. La correctrice lui a imposé une auteure. « Je suis de la vieille école, et je préfère une auteur à une auteure. Mais voilà, l'auteur(e) n'a pas toujours le dernier mot (58)… ». Elle n'a pas vu d'entrave à sa liberté d'expression dans le fait qu'une correctrice, travaillant pour une entreprise privée, lui impose, à elle auteur et correctrice de profession, une manière d'écrire. « La notion de liberté d'expression est en l'occurrence utilisée abusivement : qu'est-ce que la normalisation des féminins en -eure - dont il est essentiellement question ici -, fût-elle imposée dans les textes officiels, a à voir avec la liberté d'expression ? La liberté d'expression, c'est le droit de protester contre une telle obligation. Et cette liberté, tout le  monde l'a au Québec ! (59)». Elle avait le droit de protester, puisqu'on est au Québec. Elle a peut-être protesté, mais en fin de compte, elle a dû « prendre son trou ». Curieuse liberté. Derrière ce choix entre une auteure et une auteur, il n'y a pas bien sûr d'arrière-plan politique, idéologique (faiblesse de l'analyse de DL : ce n'est pas qu'une question de « vieille école »). De même, entre réviseure, réviseuse ou correctrice, il n'y a pas de choix politique…
Notes
(1) Diane Lamonde, Le maquignon et son joual. L'aménagement du français québécois, Montréal, Liber, 1998.
(2) Diane Lamonde, Anatomie d'un joual de parade. Le bon français d'ici par l'exemple, Montréal, Varia, 2004.
(3) Diane Lamonde, Français québécois. La politisation du débat, Montréal, Del Busso Éditeur, 2019, 236 p.
(4) DL 2019, p. 148 : « Je prétends quant à moi qu'à de rares exceptions près les Québécois ne maîtrisent par le français international ». J'imagine que DL se range modestement parmi ces rares exceptions…
(5) Lionel Meney, Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec, Montréal, Liber, 2010, 510 p.
(6) Marie-Éva De Villers, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec-Amérique, plusieurs éditions.
(7) DL 2019, p.191.
(8) DL 2019, p. 10.
(9) Lionel Meney, Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue. Étude sociolinguistique, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017, 635 p.
(10) Jacques Maurais, Les Québécois et la norme. L'évaluation par les Québécois de leurs usages linguistiques, Québec, Office québécois de la langue française, 2008, p. 26.
(11) Je définis 5 courants : joualisant, québécisant, aménagiste, du côté des « endogénistes » (partisans d'une norme nationale, endogène), internationalisant et francisant, du côté des partisans d'une norme internationale.
(12) DL 2019, p. 10.
(13) DL 2019, p. 121
(14) DL 2019, p. 87.
(15) DL 2019, p. 10.
(16) DL 2019, p. 126
(17) Linguistes partisans d'une norme endogène québécoise par opposition à une norme internationale.
(18) DL 2019, p. 68.
(19) Un article récent me fait penser qu'il existe encore des vestiges de cette francophobie ordinaire : « Depuis au moins deux générations, l’évolution naturelle du français est bloquée à la fois par les excès de purisme parigocentriste, mais aussi par l’"anglolâtrie" des cercles de pouvoir à Paris, faisant le jeu de tous les détracteurs du français comme langue moderne et internationale. »
(Jean-Benoit Nadeau, Le Devoir, 30 septembre 2019).
(20) C'est moi qui souligne.
(21) Hélène Cajolet-Laganière, codirectrice du projet Franqus à l'origine du dictionnaire Usito.
(22) Marie-Éva De Villers.
(23) Jean-Claude Corbeil. Sans crainte de l'outrance ni du ridicule, DL a écrit à son sujet : « Les Martel et Corbeil n'ont rien inventé : tout était déjà chez Léandre [Bergeron, l'auteur du Dictionnaire de la langue québécoise]. Ils ont tout simplement apporté la caution de leur science et le tour savant de l'énoncé » (DL 1998, p. 83).
(24) DL 2019, p. 166.
(25) DL 2019, p. 181 à 201.
(26) Marie-Éva De Villers, Le Vif Désir de durer. Illustration de la norme réelle du français québécois, Montréal, Québec Amérique, 2005.
(27) DL 2019, p. 153.
(28) DL 1998, p. 96. C'est moi qui souligne.
(29) DL 1998, p. 94.
(30) Pierre Chantefort, Diglossie au Québec : limites et tendances actuelles, Québec, Presses de l'Université Laval, 1970.
(31) DL 1998, p. 96.
(32) Lionel Meney, Le français québécois..., p. 387
(33) DL 1998, p. 97.
(34) DL 1998, p. 103.
(35) Nom courant des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au Québec, présidés par le syndicaliste Gérald Larose (2000-2001).
(36) DL 209, p. 221.
(37) DL 2004, p. 10.
(38) DL 2004, p. 11.
(39) DL 2019, p. 154.
(40) DL 2019, p. 233.
(41) DL 2019, p. 234.
(42) DL 2019, p. 235.
(43) DL 1998, p. 206.
(44) DL 1998, p. 136.
(45) DL 1998, p. 206.
(46) DL 1998, p. 212.
(47) DL 1998, p. 65.
(48) DL 1998, p. 65.
(49) DL 1998, p. 135.
(50) DL 1998, p. 65.
(51) DL 2019, p. 203.
(52) Dictionnaire québécois d'aujourd'hui sous la direction de Jean-Claude Boulanger (et Alain Rey), Saint-Laurent, Dicorobert, 1992 et 1993.
(53) Office québécois de la langue française, Grand Dictionnaire terminologique, consultable en ligne à l'adresse http://www.granddictionnaire.com/.
(54) Carnet d'un linguiste à l'adresse : carnetdunlinguiste.blogspot.com.
(55) Notation intéressante de la part de quelqu'un qui nie l'existence de quelle que francophobie que ce soit dans les milieux aménagistes.
(56) DL 2019, p. 151.
(57) DL 2016, p. 155.
(58) DL 2019, p. 92.
(59) DL 2019, p. 65.
Mots-clés : langue française; français québécois; idéologie linguistique; débat sur la norme linguistique; Diane Lamonde; "Français québécois. La politisation du débat"; Del Busso éditeur; Lionel Meney; "Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec"; Liber éditeur; "Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue"; Presses de l'Université Laval".