15 novembre 2019

Doit-on dire courir la chance de gagner ou tenter de gagner ?


Sur le site de Loto-Québec, on peut lire : « Gros lot remporté. Il est encore temps de vous procurer un billet et de courir la chance de gagner 5 voyages de rêve + 75 000 $ en argent. » Dans ce contexte, l'expression courir la chance est-elle bien employée ?
On peut en douter. Le Trésor de la langue française en 16 volumes ne traite pas ce syntagme. Le Nouveau Dictionnaire universel de la langue française, publié en 1856, indique : « Courir la chance Fig. : S'exposer, être exposé à; Courir le hasard. Courir la fortune [c'est-à-dire le sort, le destin]. Courir la chance. Courir un risque, un péril, des périls, etc. » Il cite Jean de La Fontaine : « Tout en nageant, ils imploraient le dieu/De l'humide et vaste lieu,/Le priant d'être sensible/Au sort qu'ils allaient courir/Et faisaient tout leur possible/Afin de ne pas mourir. »
On trouve l'expression chez Victor Hugo (Histoire d'un crime), parlant de la résistance au coup d'État de Napoléon III : « tout allait en avant avec une sorte d'emportement [l'organisation de la résistance populaire]; fallait-il suivre ou s'arrêter ? Fallait-il courir la chance d'en finir d'un coup, qui serait le dernier, et qui laisserait évidemment sur le carreau soit l'empire soit la République ? ». Et chez Victor Hugo encore (Le Prophète) : « Ils ont préféré ne pas courir la chance [prendre le risque de perdre leurs troupeaux] et ils l'ont signifié à Jésus sans détour. Et pourtant, cet hôte était le fils de Dieu, le Sauveur du monde ! La perte d'un troupeau de pourceaux était, en outre, compensée par la disparition des deux démoniaques qui jetaient le trouble dans la région. »
Il est sûr que l'expression courir la chance de + verbe est rare de nos jours. Dans la presse francophone européenne, on en relève seulement une trentaine d'exemples, et un seul de courir la chance de gagner : « courir la chance de gagner un bon d'achat » (La Dépêche du Midi, 21 novembre 2014). Ce qu'on trouve le plus souvent, c'est tenter la chance de gagner ou, plus souvent, tenter de gagner.
Courir la chance de est plutôt associé à prendre le risque de. L'association de courir la chance (idée négative de risque) et de gagner (idée positive de gain) est rare et contradictoire. Quand on joue à un jeu de hasard, on n'évalue pas le risque de perdre, mais plutôt la chance de gagner. Le slogan de La Française des Jeux « 100 % des gagnants au Loto ont tenté leur chance » est connu, même s'il n'insiste pas sur le fait que 100 % des perdants ont aussi tenté leur chance…
Conclusion : Il est plus logique d'inciter les joueurs à tenter de gagner, même si, dans le même temps, en achetant leur billet, ils courent la chance de perdre.
« Gros lot remporté. Il est encore temps de vous procurer un billet et de tenter la/votre chance de gagner 5 voyages de rêve + 75 000 $ en argent. »
Voir sur le site http://scientistsofamerica.com/index.php?texte=16 : « 100 % des gagnants d’un jeu de hasard auraient tenté leur chance ? Pas si sûr ! Une réclame émanant de la Française des jeux affirme que 100 % des gagnants au Loto ont, je cite, "tenté leur chance". On ne peut gagner si l’on ne joue pas, ce chiffre semble donc raisonnable et on n’en veut pas à la Française des Jeux d’utiliser ce slogan sans nous expliquer comment l’étude statistique a été conduite, ni même, si une étude statistique a effectivement été menée. Le public doit cependant se voir rappeler quelques faits. Tout d’abord, si 100 % des gagnants ont tenté leur chance, il est tout aussi vrai que 100 % des perdants ont tenté leur chance aussi. La symétrie entre les perdants et les gagnants s’arrête à ce pourcentage, car en nombre absolu, les perdants sont nettement plus nombreux que les gagnants. »
Mots-clés : langue française; impropriété; courir la chance de; prendre le risque de; tenter la chance de; Loto-Québec; La Française des Jeux.

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