07 janvier 2021

Lu ce matin dans Le Journal de Montréal la phrase suivante :

‹‹ En entrevue avec Richard Martineau, le père récemment devenu monoparental a raconté avec plusieurs pointes d'humour comment il "gère" ses enfants seul durant la pandémie. ›› (Le Journal de Montréal, 06/01/2021).

Un père devenu monoparental...

Je ressors un billet sur le sujet écrit en 2014.

L'adjectif « monoparental » signifie « qui a un seul parent ». On ne peut donc pas dire « mère monoparentale ». Cela signifierait « une mère qui a un seul parent »... Idem pour « père monoparental ». C'est absurde et c'est une impropriété.

L'étymologie du mot est limpide : mono (= unique) + parent + al (= adjectif). Monoparental = parent unique. On peut donc dire une « famille monoparentale », c'est-à-dire une famille où il y a un seul parent (la mère ou le père), mais on ne peut pas dire « mère monoparentale ». On doit dire « mère célibataire » ou « mère seule » ou encore « mère isolée ».

Dans la presse francophone canadienne, le syntagme fautif « mère monoparentale » représente 56 % des occurrences… le syntagme « mère célibataire », 29 %; le syntagme « mère seule », 14 %; le syntagme « mère isolée » est pratiquement inexistant.

Dans la presse francophone européenne, le syntagme « mère célibataire » représente 65 % des occurrences; le syntagme « mère seule », 20 %; le syntagme « mère isolée », 14 %; le syntagme « mère monoparentale » est pratiquement inexistant.

Mots-clés : français; impropriété; monoparental; mère monoparentale; mère célibataire; mère seule; mère isolée; père monoparental; père célibataire; père seul; père isolé; Le Journal de Montréal.

 

06 janvier 2021

Un néologisme d'actualité : vaccinodrome.

Les scrabbleurs vont être contents. Un nouveau mot va s'ajouter aux noms en -drome. On connaissait déjà aérodrome, autodrome, boulodrome, cosmodrome, hippodrome, palindrome, patinodrome, prodrome, syndrome et vélodrome. Bienvenue au petit dernier, bien d'actualité, vaccinodrome !

Mais qu'est-ce qu'un vaccinodrome ? N'est-ce pas tout simplement un centre de vaccination comme on en connaît déjà ? Pas du tout si l'on en croit cette citation : "Les scientifiques et les élus qui pressent pour des vaccinodromes veulent en réalité que des hypermarchés de la vaccination voient le jour en France. Il en existe en Israël (300) et en Allemagne (440). Ce sont des hangars, halls d’exposition, gymnases, salles des fêtes transformées de manière éphémère pour accueillir massivement et à la chaîne les volontaires à la vaccination contre le Covid-19. Ce qui implique un changement de philosophie : pour que les vaccinodromes fonctionnent, il faudrait que d’autres personnels se joignent aux médecins pour faire l’injection." (Huffpost, 05/01/21).

Mots-clés : français; mots en -drome; néologisme; vaccinodrome.

 

04 janvier 2021

Un curieux emploi du mot éclosion.

Quand on lit la presse québécoise, on est frappé par la fréquence du syntagme éclosion de cas. Il est question, bien sûr, de la covid-19. Si l'on compare avec la presse française, on s'aperçoit que le choix des termes et leurs fréquences relatives sont très différents. Un rapide sondage grâce à Google Recherche avancée concernant les quatre syntagmes suivants : apparition(s) de cas, éclosion(s) de cas, éruption(s) de cas et explosion(s) de cas donne des résultats surprenants (voir tableau ci-dessous). Le terme le plus neutre – apparition(s) de cas - domine largement dans la presse française (80% des occurrences), mais n'arrive qu'en deuxième position dans la presse francophone canadienne (46% d'occurrences). En revanche, le syntagme éclosion(s) de cas, quasi absent de la presse française (2%), occupe la première place dans la presse francophone canadienne.

Une explication possible se trouve dans l'influence du terme anglais outbreak ("An eruption; the sudden appearance of a rashdisease, etc. Any epidemic outbreak causes understandable panic", selon Wiktionary). Cette hypothèse est appuyée par le fait que le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française, à la fiche outbreak, donne un seul équivalent : éclosion… Il y a fort à parier que les agences de presse et les journalistes se sont précipités sur cette fiche (de 2020). Le moins qu'on puisse dire est que choix n'est pas heureux... Au sens propre, le mot éclosion se rapporte à un œuf ou à un bouton de fleur. Au sens figuré, il se rapporte à un phénomène agréable, positif (l'éclosion du jour, du printemps, d'une idée, d'une personnalité, etc.). On ne peut pas dire que ce soit le cas des "éclosions" de covid-19.

 

 

France

ordre

Canada

ordre

apparition(s) de cas

80%

1

30%

2

éclosion(s) de cas

2%

3

46%

1

éruption(s) de cas

1%

4

0%

4

explosion(s) de cas

16%

2

23%

3

Source : Google Recherche avancée (04/01/2021).

 

Mots-clés : langue française; traduction; variation; Québec; France; covid-19; apparition de cas; éclosion de cas; éruption de cas; explosion de cas; outbreakGrand Dictionnaire terminologique; Office québécois de la langue française.

 

03 janvier 2021

Serais-je glottophobe ? À propos du français fédéral canadien.

De retour au Canada après un séjour à l'étranger (rassurez-vous, je n'étais pas allé me faire bronzer dans le Sud), je suis tenu de rester confiné à la maison pendant 14 jours. Chaque jour, je dois appeler un numéro de téléphone, "pointer" auprès d'un organisme du Gouvernement du Canada et déclarer si j'ai des symptômes liés à la covid-19.

Comme il s'agit d'un organisme fédéral, on vous donne le choix de communiquer en anglais ou en français. La voix (féminine) française qui vous accueille et vous guide présente un curieux mélange d'accent à couper au couteau, très particulier (certainement hors Québec) et archaïsant. Ses "r" roulent comme des battements de tambour. Certaines de ses voyelles internes sont amuïes. Certaines de ses voyelles finales, fortement diphtonguées. Curieux mélange parce que son accentuation et son intonation sont typiquement anglaises. Aucun locuteur natif, quel que soit son accent, ne parlerait comme cela. Et ce n'est pas toujours facile à comprendre. 

De plus, le contenu du message (ce n'est plus "la voix" qui est responsable) comprend plusieurs erreurs. Si vous ne pointez pas quotidiennement, on vous avertit qu'il s'agit d'une "effraction à la loi" (sic), alors qu'il faudrait dire bien évidemment "infraction"...  On vous prévient que vos renseignements personnels pourront être "divulgués" (sic) aux provinces ou territoires", ce qui est une autre impropriété. La version anglaise dit disclose. Soupçonnant une traduction littérale, je vérifie dans le dictionnaire bilingue Robert & Collins. Bingo ! sous disclose, je trouve comme premier équivalent... divulguer. Sauf que le dictionnaire précise bien : divulguer un secret... Il faut donc comprendre que les renseignements fournis seront "communiqués" aux provinces ou territoires, et non pas "divulgués". Si vous vous trompez, la voix vous demande de "garder la ligne", calque de l'anglais "to hold the line"... Elle vous demande de "déclarer tout symptôme potentiel" (on ne parle pas des symptômes réels...). Comme tout le monde, j'imagine que si j'attrapais la covid-19, je pourrais avoir de la fièvre, je pourrais tousser, etc... Est-ce que je dois déclarer tous les jours, pendant 14 jours, ces symptômes "potentiels" ? Parmi ces symptômes "potentiels", on vous demande "si vous avez une toux" plutôt que "de la toux"...

Accentuation et intonation anglaises, impropriétés, calques, ajoutez à cela le fait qu'on vous demande d'entrer sur votre clavier de téléphone vos dates d'arrivée au Canada et votre date de naissance selon le format anglais : mois, jour, année. Autre source de difficulté et d'erreur pour un francophone.

On se demande si les Canadiens anglophones accepteraient que leur gouvernement communique avec eux dans un anglais fortement marqué d'une intonation et d'un accent français et dans une langue véhiculant des calques et des impropriétés. Le choix de cette voix répond certainement à une intention politiquement correcte. Il s'agit de montrer que le français rayonne partout au Canada, peu importe ses accents, même s'ils révèlent malheureusement une forte acculturation à l'anglais.

Les francophones ne méritent-ils pas d'être servis par leur gouvernement dans un français qui corresponde à la norme majoritaire (comme on l'observe, par exemple, à TVA ou à Radio-Canada) ? Est-ce trop demander ? Mais en disant cela, je suis pris d'un doute. Serais-je glottophobe ?

Mots-clés : français; anglais; Gouvernement du Canada; ArrivCAN; qualité de la langue; articulation; amuïssement; diphtongaison; accent; intonation; acculturation; impropriété; calque; effraction vs infraction; divulguer vs communiquer; contrôle; auto-isolement; glottophobie.