28 janvier 2020

Devrait-on dire une auteure ou une autrice ?

Dans sa critique de l’article d’Anne-Marie Pilote et d’Arnaud Montreuil consacré à la forme autrice (Le Devoir du 23 janvier 2020), Céline Labrosse adopte un ton condescendant et péremptoire. Mais si l’on analyse son argumentation, on ne manque pas d’y observer plusieurs inexactitudes ou contradictions.
 
Ainsi elle prétend que le suffixe trice est « en voie d’obsolescence ». Elle le compare même au suffixe -esse (ou -eresse) qui, lui, serait devenu totalement obsolète. Certes, elle choisit les bons exemples pour sa défense. Les mots féminins en -esse ou -eresse sont de nos jours confinés aux titres nobiliaires (comtesse, princesse), religieux (abbesse, chanoinesse) ou aux désignations juridiques (défenderesse, demanderesse). Ce suffixe n’est plus productif, sauf dans la langue familière (cheffesse). Cela ne signifie pas que ces formes sont obsolètes. Elles s’emploient normalement dans les domaines précités. D’autres mots de la série sont très vivants comme, par exemple, contremaîtresse, hôtesse (d’accueil, de l’air, de caisse), maîtresse (d’école, de conférence), contremaîtresse. Au Québec, le terme mairesse sert couramment à désigner une femme exerçant les fonctions de maire (la mairesse de Montréal), autre preuve que ce suffixe n’est pas si obsolète que le prétend Céline Labrosse. Certes, ailleurs dans la Francophonie, on a préféré la forme épicène (la maire de Paris), forme qui s’inscrit dans la série des mots épicènes en -aire (un/une notaire, un/une secrétaire, etc.). Il ne faut donc pas confondre productivité et fréquence d’emploi.

Elle affirme même : « force est de constater la défection manifeste de ce suffixe [-trice] auprès des titulaires de titres ou fonctions plus récentes ». On se demande sur quelle étude se base cette affirmation. La productivité de ce suffixe s’observe non seulement dans la sphère des mots « ancrés de longue date » dans la langue (directrice, inspectrice, institutrice, etc.) - ce n'est pas une question de temps, mais de règle morphologique -, mais aussi dans de nombreux adjectifs substantivés (une novatrice, etc.) et dans des mots désignant des fonctions ou des professions auxquelles les femmes ont eu accès plus récemment. En voici quelques exemples : une amatrice (d’art), une apparitrice, une aviatrice, une compositrice, une conceptrice (de spectacle), une conductrice (de travaux), une conservatrice (de musée), une constructrice (de route), une dessinatrice (de bandes dessinées, de mode), une éditrice (de magazine), une enquêtrice (de police), une correctrice (d’épreuves), une décoratrice (d’intérieur, de théâtre), une exploratrice, une exportatrice (de produits agro-alimentaires), une factrice, une maricultrice, une modératrice (de communauté), une négociatrice (immobilière), une navigatrice, une observatrice (de l’ONU), une opératrice (de saisie), une préparatrice (de laboratoire), une productrice (de cinéma), une programmatrice (de spectacle), une promotrice (de vente), une réalisatrice (de cinéma), une rectrice (d’université), une rédactrice (en chef), une scrutatrice, une souscriptrice (de contrats), une supportrice, une utilisatrice, etc. L’Université Laval a eu autrefois une vice-recteure. De nos jours, elle a une rectrice. Un livre récent de Diane Ducret est intitulé La Dictatrice… Aurait-elle dû lui préférer La Dictateure ? Au total, ces formes « en voie d’obsolescence » et victimes de « défection manifeste » comptent pas moins de 700 unités.

Céline Labrosse condamne autrice au motif que cette forme n’a « jamais été popularisée [sic] dans le passé ». On peut dire exactement la même chose de la forme auteure. Mais cette règle ne semble pas s’appliquer à sa forme favorite… En effet la forme auteure n’a pas plus été « popularisée » dans le passé. Les formes relevées sont rares et ce sont toujours les mêmes qu’on cite.

Elles sont rares parce, contrairement à autrice, elles ne sont pas régulières morphologiquement. Elles s’expliquent par un transfert de la morphologie des adjectifs comparatifs (inférieure, supérieure, meilleure) sur la morphologie de noms de titres et de fonctions. Curieusement les partisan(e)s des formes en -eure ne semblent pas avoir remarqué que le suffixe -eur est aussi un suffixe féminin. On écrit bien une candeur, une faveur, une grandeur. C’est pour cela que certain(e)s écrivent une auteur ou une professeur. Personne n’aurait l’idée d’écrire une candeure, une faveure ou une grandeure

La forme autrice, quant à elle, dérive directement de latin auctrix. Elle est irréprochable du point de vue morphologique, ce qui n’est pas le cas de la forme auteure, encore moins de la forme chercheure. Chercheur et chercheuse entrent dans la série des noms d’agent dérivés d’un verbe transitif direct. Personne n’aurait l’idée de dire une vendeure, alors pourquoi dire une chercheure, sinon pour créer une hiérarchie ridicule entre les professions ?

En choisissant autrice ou chercheuse au lieu d’auteure ou de chercheure, les locuteurs et les locutrices (encore un mot en -trice !) décident d’observer la règle normale de la morphologie française plutôt qu’une règle créée de toutes pièces à des fins idéologiques. Céline Labrosse le reconnaît implicitement quand elle dit : « Les titres féminins ont pris ancrage au Québec dans les années 1970 par la base, à savoir les groupes communautaires, féministes et syndicaux, pour se répandre ensuite doucement à l’échelle de la société ». A ses yeux, ces groupes étaient légitimes, tandis que ceux ou celles qui prônent autrice ne le sont pas. On se demande pourquoi. Curieuse conception de la démocratie. La langue est un bien collectif. Elle n’appartient à personne, pas même aux « groupes communautaires ». Si tout le monde en est possesseur, personne n’en est propriétaire.

On ne peut qu’être d’accord avec elle quand elle affirme (assez curieusement) « le caractère foncièrement évolutoire [sic] de toutes les langues du monde ». Effectivement toutes les langues évoluent, mais elle dit cela pour condamner la forme autrice, sans se douter qu’on peut également l’appliquer à la forme auteure. D’ailleurs elle oublie le caractère « évolutoire » de la langue quand elle critique le plaidoyer des partisans d’autrice au motif qu’il reposerait « sur des considérations et doléances passéistes pourtant réglées depuis nombre d’années ». Dans la langue, rien n’est « réglé », rien n’acquis définitivement, tout peut changer, comme tout peut changer dans la société. Qui peut prédire qu’auteure ne sera pas supplantée un jour par autrice ?

Il est étonnant qu’une féministe s’insurge contre la montée en puissance d’une forme féminine comme autrice. Celle-ci répond mieux qu’auteure aux objectifs légitimes des femmes qui veulent que leur participation à la société soit pleinement reconnue. 

La forme auteure est critiquable grammaticalement. A l’oral, elle ne se distingue pas du masculin auteur. A l’écrit, il lui faut l’artifice d’un -e adventice pour se distinguer du masculin… 

La forme autrice, dérivée directement du latin auctrix, où elle formait un couple avec le masculin auctor, est grammaticalement irréprochable. Comme actrice (faudrait-il dire une acteure ?), elle entre dans une série de noms de titres, de fonctions, de professions et de qualités très ancienne, nombreuse et productive. Elle se distingue du masculin et à l’oral et à l’écrit. Mieux qu’auteure, elle répond donc au double objectif de visibilité et d’audibilité (C’est là certainement la cause de son succès actuel).

Cette attitude critique vis-à-vis d’autrice dénote le désir de certain(e)s non seulement de féminiser les noms de titres et de professions – ce avec quoi tout le monde (ou presque) est d’accord, d’autant plus que cette distinction est inscrite dans la langue –, mais encore de les féminiser à leur manière, à imposer à tout le monde leur conception de la féminisation. C’est une attitude idéologique profondément sectaire et antidémocratique.

PS1 Sur son blog (linguistiquement-correct.blogspot.com), Jacques Maurais s’est exprimé également sur le sujet.
PS2 Dans un article du Devoir publié le 10 février (après à ce billet), Michaël Lessard développe une argumentation similaire à la mienne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/572583/langue-francaise-le-feminin-merite-t-il-d-etre-entendu

Mots-clés : langue française, féminisation, auteure, autrice, Céline Labrosse, Anne-Marie Pilote, Arnaud Montreuil.

24 janvier 2020

Observe-t-on une "défection" vis-à-vis du suffixe -trice ?

Dans Le Devoir du 23 janvier 2020, en réponse à Anne-Marie Pilote et à Arnaud Montreuil, Céline Labrosse critique la forme autrice et se fait la défenseuse de la forme auteure. Celle-ci aurait une sorte de droit acquis par rapport à celle-là. Dans sa défense, elle affirme : « La finale –trice ... est exemplifiée dans l’article susmentionné par des féminins ancrés de longue date. Or, force est de constater la défection manifeste de ce suffixe auprès des titulaires de titres ou fonctions plus récentes : appariteure, constructeure de décors, programmateure, promoteure, scrutateure, souscripteure, etc. » 
Une telle affirmation est inexacte. Au contraire, ce suffixe est très vivant, tout simplement parce qu’il observe une règle de base de la morphologie du français. Et il s’applique aussi bien à des formes nouvelles qu’aux formes « ancrées de longue date ». Ainsi on dit couramment : une accusatrice, une amatrice (d’art), une apparitrice, une aviatrice, une compositrice, une conceptrice (de spectacle), une consommatrice, une conductrice (de travaux), une constructrice (de routes), une correctrice (d’épreuves), une décoratrice (de théâtre), une directrice (d’école), une dessinatrice (de bandes dessinées), une éditrice (de magazine), une éducatrice, une enquêtrice (de police), une exploratrice, une exportatrice (de produits alimentaires), une lectrice (de français), une maricultrice, une modératrice (de communauté), une monitrice, une négociatrice (immobilière), une narratrice, une navigatrice, une novatrice, une observatrice (de l’ONU), une opératrice (de saisie), une préparatrice (de laboratoire), une programmatrice (de spectacle), une promotrice (de vente), une réalisatrice (de cinéma), une rectrice (d’université), une rédactrice (en chef), une scrutatrice, une sénatrice, une souscriptrice (de contrats), etc. Un livre récent de Diane Ducret est intitulé La Dictatrice… 
On a la preuve que le suffixe féminin -trice, loin d’être désuet, est au contraire très vivant et productif.

Mots-clés : langue française, féminisation, auteure, autrice, suffixe -trice, productivité, Céline Labrosse, Anne-Marie Pilote, Arnaud Montreuil.

11 janvier 2020

L'odonyme rue Principale est-il un calque de l'anglais Main Street?


Au Québec, l'odonyme rue Principale est très courant. Si l'on interroge la base de la Commission de la toponymie du Québec, on apprend qu'il en existe 584 dans la province. Si l'on interroge la base pour savoir si l'odonyme Grande Rue est également présent, on constate son absence totale : 0 occurrence.

Si l'on compare avec la situation française, on note une grande différence. L'odonyme rue Principale est également présent en France, mais il est moins fréquent que l'odonyme Grande Rue (ou sa variante archaïsante Grand'Rue). On relève 3943 occurrences de Grande Rue et 2452, de rue Principale, c'est-à-dire que, si l'on compare la fréquence relative des deux membres du couple Grande Rue/rue Principale, Grande Rue apparaît dans 61 % des cas, rue Principale, dans 38 %.

Cela montre que le simple fait qu'il y a parallélisme entre la forme québécoise rue Principale et la forme anglaise Main Street n'est pas suffisant pour prouver qu'on a affaire à un anglicisme. Où alors il faudrait considérer que tous les odonymes rue Principale de France sont aussi des anglicismes. Ce qui est peu probable.

Mais il est aussi un autre facteur à prendre en considération. C'est celui de la fréquence. L'absence totale de l'odonyme Grande Rue au Québec (du moins dans la langue officielle), associée à la seule présence de l'odonyme rue Principale, pourrait indiquer qu'on a affaire non pas à un calque de forme de l'anglais mais plutôt à un anglicisme de fréquence.

Tableau : Emplois de Grande Rue et de rue Principale en France et au Québec.


France1

Québec2


nombre de cas
pourcentage
nombre de cas
pourcentage
Grande Rue
3943
61
0
0
rue Principale
2452
38
584
100
1 source : La Poste. 2 source Commission de toponymie du Québec.

Mots-clés : langue française; anglicisme; odonyme; rue Principale; Grande Rue; Grand'Rue; Main Street; Québec; France.

10 janvier 2020

Autrice (suite)


La position de l'Académie française sur la forme autrice, telle qu'elle est énoncée dans son Rapport sur la féminisation des noms de métier et de fonction (2019). C'est moi qui souligne.


« Un cas épineux est celui de la forme féminine du substantif "auteur". Il existe ou il a existé des formes concurrentes, telles que "authoresse" ou "autoresse", "autrice" (assez faiblement usité) et plus souvent aujourd’hui "auteure". On observera que l’on parle couramment de "créatrice" et de "réalisatrice" : or la notion d’"auteur" n’est pas moins abstraite que celle de  "créateur" ou de "réalisateur". "Autrice", dont la formation est plus satisfaisante, n’est pas complètement sorti de l’usage, et semble même connaître une certaine faveur, notamment dans le monde universitaire, assez rétif à adopter la forme "auteure". Mais dans ce cas, le caractère tout à fait spécifique de la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour "poète" voire pour "médecin". L’étude de ce cas illustre l’ancrage dans la langue des formes anciennes en "-trice", ce mode de féminisation ayant toujours la faveur de l’usage.»

Mots-clés : langue française; féminisation des noms de métier et de fonction; Académie française; auteur; auteure, autrice.

09 janvier 2020

Doit-on dire obtenir (une offre gratuite) ou recevoir ?

Au Québec, dans la langue commerciale, on emploie couramment le verbe obtenir pour annoncer un avantage offert gratuitement par un commerçant à ses clients, dans certaines conditions. Ainsi l'entreprise de restauration rapide Tim Hortons propose dans une de ses publicités distribuées dans les boîtes aux lettres d'offrir gratuitement un « sandwich gratiné au fromage fondu » pour l'achat d'un sandwich : « Achetez-en un. Obtenez-en un Gratuitement », annonce le prospectus. 
Cet emploi du verbe obtenir est critiquable. En effet que signifie ce verbe ? Le dictionnaire Petit Robert nous le dit : « Obtenir : Parvenir à se faire accorder, à se faire donner (ce qu'on veut avoir). » On voit bien qu'il faut une intention du sujet, une volonté de faire des démarches, pour atteindre un but, l'obtention de quelque chose de désiré. Le Petit Robert cite en exemple : « Obtenir un laissez-passer, un visa. Obtenir la libération des otages. » 
Sans vouloir minimiser les qualités gustatives dudit « sandwich gratiné au fromage fondu », il semble peu probable que les consommateurs aient l'intention d'entreprendre des démarches, voire de faire des pieds et des mains, pour en « obtenir » deux, même au prix d'un seul...
Dans cette situation de communication, le terme adéquat, puisqu'il s'agit d'une offre de la part du commerçant, est recevoir. On dirait donc mieux : « Achetez-en un. Recevez-en un Gratuitement. »
Par ailleurs, il est intéressant de noter que le propectus parle de « sandwich au fromage fondu », expression qui a l'air très française, mais qui, en fait, est un calque de l'anglais grilled cheese sandwich. Dans la vraie vie, bien peu de gens commandent aux comptoirs de Tim Hortons un « sandwich au fromage fondu ». Tout le monde demande un grilled-cheese...
Même le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française, peu suspect d'anglomanie, reconnaît que « l'emprunt intégral à l'anglais grilled cheese s'inscrit dans la norme sociolinguistique du français au Québec. Grilled cheese est en usage au Québec depuis le milieu du XXe siècle. »
Voilà un bel exemple de purisme excessif, qui fait employer une expression artificielle, sans réelle diffusion, comme « sandwich au fromage fondu » pour éviter grilled-cheese, terme anglais d'usage courant, mais ne voit pas l'impropriété que représente l'emploi d'obtenir au lieu de recevoir. En réalité, dans ce contexte, obtenir est un calque sémantique de l'anglais to get... Voir par exemple :

https://koit.com/get-free-grilled-cheese-sandwich-today/ 

En fait, l'annonce de Tim Hortons devrait se lire comme ceci : « Deux grilled-cheeses pour le prix d'un »...

Mots-clés : langue française; français québécois; langue commerciale; purisme; impropriété; anglicisme de sens; obtenir; recevoir; sandwich au fromage fondu; grilled cheese sandwich; to get; Tim Hortons.

05 janvier 2020

La spectaculaire montée en puissance d'autrice.


Depuis quelque temps, on assiste à une spectaculaire montée en puissance de la forme autrice pour désigner une femme auteur. Cela se manifeste tant dans la presse écrite francophone européenne que dans celle du Canada. Un sondage dans la base Eureka.cc, qui couvre toute la presse francophone de ces deux régions du monde, le révèle clairement (voir ci-dessous : Tableaux).
La forme autrice est la forme féminine régulière à côté de la forme masculine auteur. Le bon vieux Dictionnaire latin-français de Gaffiot (Hachette, Paris, 1934) donne : auctrix, -icis fém. (auctor) : celle qui produit, créatrice. Pourtant l'emploi de cette forme régulière est resté extrêmement rare jusqu'il y a à peu près un an. Rare peut-être du fait qu'elle peut sembler étrange. Mais toute forme nouvelle peut sembler étrange… avant qu'on s'y habitue et se l'approprie. De toute façon, elle n'est pas plus étrange qu'actrice (mot bisyllabique lui aussi) qui, elle, n'a jamais posé aucun problème. Autrice a commencé à se répandre il y a deux ans, puis a littéralement explosé au cours de la dernière année.
Qu'est-ce qui peut expliquer ce phénomène ? On en est réduit aux conjectures.
Quand est apparu le mouvement de féminisation de certains titres et noms de profession (ceux qui, pour diverses raisons, dont des raisons morphologiques, n'étaient pas encore féminisés), les groupes de pression féministes ont imposé la forme auteure, d'abord au Québec, puis en France. Cependant cette forme est un barbarisme puisqu'elle accole un suffixe féminin d'adjectif comparatif (comme dans meilleure, supérieure, inférieure) au radical d'un nom. Cela n'a pas empêché la fortune qu'on lui connaît. Le même phénomène s'est produit avec réviseure et, dans une moindre mesure, chercheure, alors que les formes correctes et disponibles sont réviseuse et chercheuse.
Aujourd'hui, certaines femmes se rendent compte qu'à l'oral la forme féminine auteure ne se distingue pas de la forme masculine auteur. Autrement dit, le mot est épicène… Seul l'article (la ou le) est porteur du genre. En revanche, il n'y a pas d'équivoque en ce qui concerne autrice.
De nos jours, on relève en français pas moins de quatre formes pour désigner une femme auteur : un auteur (forme traditionnelle, quasiment disparue de la presse québécoise, mais encore présente en Europe francophone, même s'il est difficile d'en évaluer la fréquence puisqu'elle peut désigner aussi bien un homme qu'une femme), une auteur (rare au Québec, présente dans la presse européenne), une auteure (ultra-majoritaire au Québec et en Europe) et une autrice qui, en quelque mois, s'est hissée à un niveau remarquable (jusqu'à près de 25 % des occurrences dans la presse québécoise).
L'ascension de cette forme se poursuivra-t-elle au point de détrôner auteure ? Il est hasardeux de faire des prédictions dans ce domaine. Ce qui est sûr, c'est que cette forme ne prête à aucune critique du point de vue linguistique. Deux principes devraient toujours présider à nos choix dans le domaine de la féminisation des noms de titres et de professions : 1) le respect légitime des femmes de voir leur présence affirmée dans et par la langue; 2) le respect des règles de la morphologie du français. La forme autrice répond à ces deux principes.

Tableau no 1 : Nombre d'occurrences du terme autrice au cours des dernières années.

Période
Presse écrite
francophone européenne
Presse écrite
francophone canadienne

nombre d'occurrences
2 derniers mois
1502
833
3 derniers mois
1258
652
6 derniers mois
1964
462
2019-2020
766
170
2018-2019
398
37
2017-2018
113
9
2016-2017
50
5
2015-2016
27
5
2014-2015
35
0
2013-2014
30
3
2012-2013
26
0
2011-2012
26
2
Source : sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.

Avant 2017, la forme autrice était pratiquement inexistante dans la presse francophone européenne et encore plus dans la presse québécoise. On observe un « frémissement » à partir de 2017 et une véritable « explosion » en 2019. Le même phénomène est observable dans la presse québécoise avec un léger décalage dans le temps.

Tableau no 2 : Pourcentage des syntagmes une auteur, une auteure, une autrice au cours des deux dernières années.

Période
Presse écrite francophone européenne

Presse écrite francophone canadienne

6 derniers mois
occurrences
%
occurrences
%
un auteur
impossible à évaluer : le syntagme peut désigner un homme ou une femme
une auteur
61
7,3
5
0,9
une auteure
600
72,4
393
74,8
une autrice
167
20,1
127
24,1
total
828

525

12 derniers mois




une auteur
132
7,7
6
0,75
une auteure
1301
76,4
625
79,1
une autrice
268
15,7
159
20,1
total
1701

790

24 derniers mois




une auteur
272
9,2
14
1,0
une auteure
2359
80,5
1183
86.7
une autrice
299
10,2
166
12,1
total
2930

1363

Source : sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.

En l'espace de deux ans, on note la progression spectaculaire de la fréquence de la forme autrice de 10,2 % des occurrences à 20,1 % dans la presse européenne, de 12,2 % à 24,1 % dans la presse canadienne. Une progression quasi parallèle, mais plus marquée au Québec.

Autrice et  autrice-compositrice viennent rejoindre la longue liste des formes féminines en –trice, comme :

acteur/actrice
inspecteur/inspectrice
administrateur/administratrice
instituteur/institutrice
animateur/animatrice
interlocuteur/interlocutrice
amateur/amatrice
lecteur/lectrice
collaborateur/collaboratrice
locuteur/locutrice
compositeur/compositrice
moniteur/monitrice
correcteur/correctrice
producteur/productrice
créateur/créatrice
réalisateur/réalisatrice
cultivateur/cultivatrice
recteur/rectrice
directeur/directrice
scripteur/scriptrice
éditeur/éditrice
scrutateur/scrutatrice
examinateur/examinatrice
sculpteur/sculptrice
facteur/factrice
supporteur/supportrice
empereur/impératrice
vérificateur/vérificatrice

Mots-clés : langue française; féminisation; auteur; auteure; autrice; France; Québec.