Depuis quelque temps, on assiste à
une spectaculaire montée en puissance de la forme autrice pour désigner une femme auteur. Cela se manifeste tant dans la
presse écrite francophone européenne que dans celle du Canada. Un sondage dans
la base Eureka.cc, qui couvre toute
la presse francophone de ces deux régions du monde, le révèle clairement (voir
ci-dessous : Tableaux).
La
forme autrice est la forme féminine
régulière à côté de la forme masculine auteur.
Le bon vieux Dictionnaire latin-français
de Gaffiot (Hachette, Paris, 1934) donne : auctrix, -icis fém. (auctor) : celle qui produit, créatrice. Pourtant l'emploi de
cette forme régulière est resté extrêmement rare jusqu'il y a à peu près un an.
Rare peut-être du fait qu'elle peut sembler étrange. Mais toute forme nouvelle
peut sembler étrange… avant qu'on s'y habitue et se l'approprie. De toute façon,
elle n'est pas plus étrange qu'actrice
(mot bisyllabique lui aussi) qui, elle, n'a jamais posé aucun problème. Autrice a commencé à se répandre il y a
deux ans, puis a littéralement explosé au cours de la dernière année.
Qu'est-ce
qui peut expliquer ce phénomène ? On en est réduit aux conjectures.
Quand
est apparu le mouvement de féminisation de certains titres et noms de profession
(ceux qui, pour diverses raisons, dont des raisons morphologiques, n'étaient pas encore féminisés), les groupes de pression féministes ont imposé la forme auteure, d'abord au Québec, puis en
France. Cependant cette forme est un barbarisme puisqu'elle accole un suffixe féminin
d'adjectif comparatif (comme dans meilleure, supérieure, inférieure)
au radical d'un nom. Cela n'a pas
empêché la fortune qu'on lui connaît. Le même phénomène s'est produit avec réviseure et, dans une moindre mesure, chercheure, alors que les formes correctes
et disponibles sont réviseuse et chercheuse.
Aujourd'hui,
certaines femmes se rendent compte qu'à l'oral la forme féminine auteure ne se distingue pas de la forme
masculine auteur. Autrement dit, le
mot est épicène… Seul l'article (la
ou le) est porteur du genre. En
revanche, il n'y a pas d'équivoque en ce qui concerne autrice.
De
nos jours, on relève en français pas moins de quatre formes pour désigner une
femme auteur : un auteur (forme
traditionnelle, quasiment disparue de la presse québécoise, mais encore
présente en Europe francophone, même s'il est difficile d'en évaluer la
fréquence puisqu'elle peut désigner aussi bien un homme qu'une femme), une auteur (rare au Québec, présente
dans la presse européenne), une auteure (ultra-majoritaire
au Québec et en Europe) et une autrice
qui, en quelque mois, s'est hissée à un niveau remarquable (jusqu'à près de 25
% des occurrences dans la presse québécoise).
L'ascension
de cette forme se poursuivra-t-elle au point de détrôner auteure ? Il est hasardeux de faire des prédictions dans ce
domaine. Ce qui est sûr, c'est que cette forme ne prête à aucune critique du
point de vue linguistique. Deux principes devraient toujours présider à nos choix dans
le domaine de la féminisation des noms de titres et de professions : 1) le
respect légitime des femmes de voir leur présence affirmée dans et par la
langue; 2) le respect des règles de la morphologie du français. La forme autrice répond à ces deux principes.
Tableau
no 1 : Nombre d'occurrences du terme autrice au cours des dernières années.
Période
|
Presse
écrite
francophone
européenne
|
Presse
écrite
francophone
canadienne
|
nombre d'occurrences
|
||
2
derniers mois
|
1502
|
833
|
3
derniers mois
|
1258
|
652
|
6
derniers mois
|
1964
|
462
|
2019-2020
|
766
|
170
|
2018-2019
|
398
|
37
|
2017-2018
|
113
|
9
|
2016-2017
|
50
|
5
|
2015-2016
|
27
|
5
|
2014-2015
|
35
|
0
|
2013-2014
|
30
|
3
|
2012-2013
|
26
|
0
|
2011-2012
|
26
|
2
|
Source
: sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.
Avant
2017, la forme autrice était
pratiquement inexistante dans la presse francophone européenne et encore plus dans la presse québécoise. On observe un
« frémissement » à partir de 2017 et une véritable « explosion » en 2019.
Le même phénomène est observable dans la presse québécoise avec un léger
décalage dans le temps.
Tableau
no 2 : Pourcentage des syntagmes une
auteur, une auteure, une autrice au cours des deux dernières
années.
Période
|
Presse
écrite francophone européenne
|
Presse
écrite francophone canadienne
|
||
6
derniers mois
|
occurrences
|
%
|
occurrences
|
%
|
un
auteur
|
impossible
à évaluer : le syntagme peut désigner un homme ou une femme
|
|||
une
auteur
|
61
|
7,3
|
5
|
0,9
|
une
auteure
|
600
|
72,4
|
393
|
74,8
|
une
autrice
|
167
|
20,1
|
127
|
24,1
|
total
|
828
|
525
|
||
12
derniers mois
|
||||
une
auteur
|
132
|
7,7
|
6
|
0,75
|
une
auteure
|
1301
|
76,4
|
625
|
79,1
|
une
autrice
|
268
|
15,7
|
159
|
20,1
|
total
|
1701
|
790
|
||
24
derniers mois
|
||||
une
auteur
|
272
|
9,2
|
14
|
1,0
|
une
auteure
|
2359
|
80,5
|
1183
|
86.7
|
une
autrice
|
299
|
10,2
|
166
|
12,1
|
total
|
2930
|
1363
|
Source
: sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.
En
l'espace de deux ans, on note la progression spectaculaire de la fréquence de
la forme autrice de 10,2 % des
occurrences à 20,1 % dans la presse européenne, de 12,2 % à 24,1 % dans la
presse canadienne. Une progression quasi parallèle, mais plus marquée au
Québec.
Autrice et
autrice-compositrice viennent
rejoindre la longue liste des formes féminines en –trice, comme :
acteur/actrice
|
inspecteur/inspectrice
|
administrateur/administratrice
|
instituteur/institutrice
|
animateur/animatrice
|
interlocuteur/interlocutrice
|
amateur/amatrice
|
lecteur/lectrice
|
collaborateur/collaboratrice
|
locuteur/locutrice
|
compositeur/compositrice
|
moniteur/monitrice
|
correcteur/correctrice
|
producteur/productrice
|
créateur/créatrice
|
réalisateur/réalisatrice
|
cultivateur/cultivatrice
|
recteur/rectrice
|
directeur/directrice
|
scripteur/scriptrice
|
éditeur/éditrice
|
scrutateur/scrutatrice
|
examinateur/examinatrice
|
sculpteur/sculptrice
|
facteur/factrice
|
supporteur/supportrice
|
empereur/impératrice
|
vérificateur/vérificatrice
|
Mots-clés
: langue française; féminisation; auteur; auteure; autrice; France; Québec.
C'est vrai que c'est spectaculaire. Dans mon travail de traduction et de révision, je suis plutôt conservatrice, je mets du temps à accepter ce qui est nouveau ou différent. Pourtant, j'ai adopté autrice immédiatement. Enfin presque: au départ, il agaçait mon oreille. Mais j'ai été convaincue à la lecture de ceci http://siefar.org/wp-content/uploads/2009/01/Histoire-d-autrice-AEvain.pdf et je l'utilise depuis. Je le propose aussi à mes clients. Mais ce qui en dit plus long encore sur la montée d'autrice, c'est que l'été dernier, un beau jour que j'arrivais à la minuscule bibliothèque publique de mon village, les trois bénévoles présentes m'ont demandé de trancher: l'une affirmait qu'on disait et entendait de plus en plus autrice, alors que les autres disaient que la forme n'était pas acceptée. Quand un mot déclenche des discussions dans les villages...!
RépondreSupprimerMerci pour ce commentaire et cette expérience vécue très intéressante.
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