05 janvier 2020

La spectaculaire montée en puissance d'autrice.


Depuis quelque temps, on assiste à une spectaculaire montée en puissance de la forme autrice pour désigner une femme auteur. Cela se manifeste tant dans la presse écrite francophone européenne que dans celle du Canada. Un sondage dans la base Eureka.cc, qui couvre toute la presse francophone de ces deux régions du monde, le révèle clairement (voir ci-dessous : Tableaux).
La forme autrice est la forme féminine régulière à côté de la forme masculine auteur. Le bon vieux Dictionnaire latin-français de Gaffiot (Hachette, Paris, 1934) donne : auctrix, -icis fém. (auctor) : celle qui produit, créatrice. Pourtant l'emploi de cette forme régulière est resté extrêmement rare jusqu'il y a à peu près un an. Rare peut-être du fait qu'elle peut sembler étrange. Mais toute forme nouvelle peut sembler étrange… avant qu'on s'y habitue et se l'approprie. De toute façon, elle n'est pas plus étrange qu'actrice (mot bisyllabique lui aussi) qui, elle, n'a jamais posé aucun problème. Autrice a commencé à se répandre il y a deux ans, puis a littéralement explosé au cours de la dernière année.
Qu'est-ce qui peut expliquer ce phénomène ? On en est réduit aux conjectures.
Quand est apparu le mouvement de féminisation de certains titres et noms de profession (ceux qui, pour diverses raisons, dont des raisons morphologiques, n'étaient pas encore féminisés), les groupes de pression féministes ont imposé la forme auteure, d'abord au Québec, puis en France. Cependant cette forme est un barbarisme puisqu'elle accole un suffixe féminin d'adjectif comparatif (comme dans meilleure, supérieure, inférieure) au radical d'un nom. Cela n'a pas empêché la fortune qu'on lui connaît. Le même phénomène s'est produit avec réviseure et, dans une moindre mesure, chercheure, alors que les formes correctes et disponibles sont réviseuse et chercheuse.
Aujourd'hui, certaines femmes se rendent compte qu'à l'oral la forme féminine auteure ne se distingue pas de la forme masculine auteur. Autrement dit, le mot est épicène… Seul l'article (la ou le) est porteur du genre. En revanche, il n'y a pas d'équivoque en ce qui concerne autrice.
De nos jours, on relève en français pas moins de quatre formes pour désigner une femme auteur : un auteur (forme traditionnelle, quasiment disparue de la presse québécoise, mais encore présente en Europe francophone, même s'il est difficile d'en évaluer la fréquence puisqu'elle peut désigner aussi bien un homme qu'une femme), une auteur (rare au Québec, présente dans la presse européenne), une auteure (ultra-majoritaire au Québec et en Europe) et une autrice qui, en quelque mois, s'est hissée à un niveau remarquable (jusqu'à près de 25 % des occurrences dans la presse québécoise).
L'ascension de cette forme se poursuivra-t-elle au point de détrôner auteure ? Il est hasardeux de faire des prédictions dans ce domaine. Ce qui est sûr, c'est que cette forme ne prête à aucune critique du point de vue linguistique. Deux principes devraient toujours présider à nos choix dans le domaine de la féminisation des noms de titres et de professions : 1) le respect légitime des femmes de voir leur présence affirmée dans et par la langue; 2) le respect des règles de la morphologie du français. La forme autrice répond à ces deux principes.

Tableau no 1 : Nombre d'occurrences du terme autrice au cours des dernières années.

Période
Presse écrite
francophone européenne
Presse écrite
francophone canadienne

nombre d'occurrences
2 derniers mois
1502
833
3 derniers mois
1258
652
6 derniers mois
1964
462
2019-2020
766
170
2018-2019
398
37
2017-2018
113
9
2016-2017
50
5
2015-2016
27
5
2014-2015
35
0
2013-2014
30
3
2012-2013
26
0
2011-2012
26
2
Source : sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.

Avant 2017, la forme autrice était pratiquement inexistante dans la presse francophone européenne et encore plus dans la presse québécoise. On observe un « frémissement » à partir de 2017 et une véritable « explosion » en 2019. Le même phénomène est observable dans la presse québécoise avec un léger décalage dans le temps.

Tableau no 2 : Pourcentage des syntagmes une auteur, une auteure, une autrice au cours des deux dernières années.

Période
Presse écrite francophone européenne

Presse écrite francophone canadienne

6 derniers mois
occurrences
%
occurrences
%
un auteur
impossible à évaluer : le syntagme peut désigner un homme ou une femme
une auteur
61
7,3
5
0,9
une auteure
600
72,4
393
74,8
une autrice
167
20,1
127
24,1
total
828

525

12 derniers mois




une auteur
132
7,7
6
0,75
une auteure
1301
76,4
625
79,1
une autrice
268
15,7
159
20,1
total
1701

790

24 derniers mois




une auteur
272
9,2
14
1,0
une auteure
2359
80,5
1183
86.7
une autrice
299
10,2
166
12,1
total
2930

1363

Source : sondage dans Eureka.cc. État au 4 janvier 2020.

En l'espace de deux ans, on note la progression spectaculaire de la fréquence de la forme autrice de 10,2 % des occurrences à 20,1 % dans la presse européenne, de 12,2 % à 24,1 % dans la presse canadienne. Une progression quasi parallèle, mais plus marquée au Québec.

Autrice et  autrice-compositrice viennent rejoindre la longue liste des formes féminines en –trice, comme :

acteur/actrice
inspecteur/inspectrice
administrateur/administratrice
instituteur/institutrice
animateur/animatrice
interlocuteur/interlocutrice
amateur/amatrice
lecteur/lectrice
collaborateur/collaboratrice
locuteur/locutrice
compositeur/compositrice
moniteur/monitrice
correcteur/correctrice
producteur/productrice
créateur/créatrice
réalisateur/réalisatrice
cultivateur/cultivatrice
recteur/rectrice
directeur/directrice
scripteur/scriptrice
éditeur/éditrice
scrutateur/scrutatrice
examinateur/examinatrice
sculpteur/sculptrice
facteur/factrice
supporteur/supportrice
empereur/impératrice
vérificateur/vérificatrice

Mots-clés : langue française; féminisation; auteur; auteure; autrice; France; Québec.

2 commentaires:

  1. C'est vrai que c'est spectaculaire. Dans mon travail de traduction et de révision, je suis plutôt conservatrice, je mets du temps à accepter ce qui est nouveau ou différent. Pourtant, j'ai adopté autrice immédiatement. Enfin presque: au départ, il agaçait mon oreille. Mais j'ai été convaincue à la lecture de ceci http://siefar.org/wp-content/uploads/2009/01/Histoire-d-autrice-AEvain.pdf et je l'utilise depuis. Je le propose aussi à mes clients. Mais ce qui en dit plus long encore sur la montée d'autrice, c'est que l'été dernier, un beau jour que j'arrivais à la minuscule bibliothèque publique de mon village, les trois bénévoles présentes m'ont demandé de trancher: l'une affirmait qu'on disait et entendait de plus en plus autrice, alors que les autres disaient que la forme n'était pas acceptée. Quand un mot déclenche des discussions dans les villages...!

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  2. Merci pour ce commentaire et cette expérience vécue très intéressante.

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