Usito n'a pas atteint
l'objectif prévu au départ. L'écart au but est considérable. On ne peut pas le
considérer comme un dictionnaire général et complet du français québécois.
Censé se libérer de l'impérialisme des dictionnaires parisiens, en fait il
reprend des pans entiers des articles du Trésor de la langue française (TLF),
le meilleur des dictionnaires faits en France. Certes, pour se protéger contre
d'éventuelles accusations de plagiat, Usito prévient qu'il a passé un
accord avec les Français et utilisé « certaines définitions, certaines
étymologies, certaines citations » du TLF et de
Frantext. C'est difficilement conciliable avec l'autre affirmation, selon
laquelle il serait « entièrement conçu et réalisé au Québec ».
Il reconnaît aussi sa dette vis-à-vis du Trésor de la langue française au
Québec et du Grand Dictionnaire terminologique, mais pas des autres
ouvrages qu'il a utilisés comme le Dictionnaire québécois-français.
C'est habile. Ce faisant, d'un côté, il désire se protéger contre toute
accusation de plagiat; d'un autre, contre tout reproche de ne pas avoir
produit, comme promis, un dictionnaire 100 % québécois. Mais ce mot « certaines »
est clairement bien en deçà de la réalité (sauf pour les citations,
puisqu'il a banni presque tous les écrivains français). C'est un euphémisme.
L'ampleur des emprunts d'Usito au TLF dépasse, et de beaucoup,
ces déclarations jésuitiques. S'il n'y a pas plagiat, puisqu'il y a accord, il
y a recopiage. À la fin des articles, une icône TLFi, - très discrète -,
nous informe : « Dans
le cadre de cette collaboration scientifique [avec le Centre national de la
recherche scientifique, l’ATILF et le Trésor de la langue française],
l'équipe FRANQUS peut s'appuyer : sur des définitions du Trésor
de la langue française concernant les mots ou sens très généraux de la
francophonie, ne comportant pas de spécificité québécoise; sur la partie
étymologique du Trésor de la langue française; sur des
citations issues de Frantext pour les auteurs littéraires français. »
Toujours ce flou. Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup, dit la sagesse
populaire. Pour s'appuyer, certes il s'appuie, et même lourdement. Usito,
qui devait libérer la lexicographie québécoise du colonialisme dictionnairique
français, a fait la preuve qu'il n'a pas pu se passer d'utiliser massivement
les travaux des lexicographes français.
…
Depuis
le 3 octobre 2019, le dictionnaire québécois Usito est consultable en
ligne gratuitement. Gratuitement, c'est la moindre des choses, vu qu'il a été
généreusement subventionné par les contribuables québécois. Sans qu'ils le
sachent, il leur a couté plusieurs millions de dollars. Au bas mot, 8 millions. La page d'accueil du
site nous apprend qu'Usito a été « entièrement conçu et
réalisé au Québec » (1), qu'il « est le premier dictionnaire
électronique à décrire le français standard en usage au Québec ».
Usito, usage… : On s'attend donc à ce que les usages
réels du français québécois soient pleinement décrits dans ce dictionnaire.
Nous verrons que c'est loin d'être le cas. Elle annonce aussi qu'Usito
est « un dictionnaire conçu au Québec pour tous les francophones et
francophiles intéressés par une description ouverte du français. »
Un dictionnaire pour tous les francophones et les francophiles ? Voyons ce
qu'il en est.
Un
dictionnaire loin d'avoir atteint les objectifs du projet de départ.
Le
dictionnaire Usito est le résultat du projet Franqus (Français
standard en usage au Québec). Ce projet a été rédigé à partir
du milieu des années 1990 par deux linguistes de l'Université de Sherbrooke,
deux linguistes qui se situent dans la mouvance « endogéniste (2) ».
Cette mouvance considère que le français des Québécois est une langue autonome,
homogène, possédant tous les niveaux de langue (3) et sa
propre norme (une norme endogène), le français québécois
standard, différent du français international ou du français de
référence (le français des dictionnaires comme Le Petit
Larousse ou Le Petit Robert) (4).
À leurs yeux, les dictionnaires de français rédigés en France ne correspondent
ni à la réalité des Québécois, ni à leurs valeurs (sic), ni à leurs
besoins.
Le
projet ambitionnait de produire un dictionnaire entièrement nouveau : 1)
sur la base d'un corpus de textes québécois, 2) décrivant tous les termes
en usage au Québec et toutes leurs acceptions (leurs sens), 3) en
les « hiérarchisant » par des marques d'usage, 4) en les
illustrant d'exemples québécois (littérature, presse).
Il
considérait que les particularismes québécois critiqués, voire condamnés
relevaient simplement d'un niveau de langue, le niveau
familier, et qu'il fallait les incorporer dans un seul dictionnaire,
décrivant tous les usages québécois (y compris ceux généralement condamnés
comme certains anglicismes).
Les
critiques de ce projet (Diane Lamonde (5), Lionel Meney (6) et d'autres) considéraient qu'on ne pouvait pas décrire
dans un seul et même dictionnaire tous les usages québécois, que les
québécismes - critiqués ou non - relevaient non pas d'un simple niveau de
langue dans le cadre d'un système linguistique autonome et homogène, mais
d'une autre variété de langue, qu'il n'y avait pas au Québec une seule
langue, un français québécois standard avec un niveau familier, mais
deux variétés d'une même langue, un français vernaculaire québécois et
le français international, que ces deux variétés coexistaient et se
faisaient concurrence sur le marché linguistique québécois, bref que le Québec
vivait une situation de diglossie, plus précisément d'endoglossie (7).
Il était donc de mauvaise méthode de vouloir décrire ensemble ces deux
variétés dans un même dictionnaire. Plutôt que de tenter de rédiger un
utopique dictionnaire général et complet du français québécois, il
valait mieux s'orienter vers la rédaction de dictionnaires adaptés et de
dictionnaires différentiels.
L'expérience
malheureuse du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (8),
qui avait soulevé contre lui une levée de bouclier parce que, justement, il
mêlait dans un même ouvrage des mots du français standard international et des
mots du français québécois, sans les distinguer, même ceux considérés comme
relevant du joual, en avait apporté la preuve.
Les
auteurs d'Usito ont d'ailleurs tenu compte, du moins en partie, de
l'aventure du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui. Traumatisés par
l'échec de ce dictionnaire, ils se sont sans cesse efforcés de s'en dissocier,
en considérant, par exemple, que le lecteur avait le droit de savoir par des
marques d'usage si tel mot était un québécisme ou un « francisme (9) ».
Par ailleurs, ils ont renoncé à publier une version papier de leur
dictionnaire, sachant qu'il est beaucoup plus facile de critiquer une telle
version qu'une version électronique. Sans compter qu'on peut comptabiliser les
ventes d'un dictionnaire papier québécois et les comparer avec celles de ses
concurrents européens (Le Petit Larousse, Le Petit Robert) (10).
En réalité, au résultat, comme il fallait s'y attendre, Usito ne
correspond pas au projet endogéniste de départ sur plusieurs points essentiels,
à savoir :
1)
Ce dictionnaire n'a pas été rédigé sur la seule base d'un corpus de
textes québécois.
2)
Sa nomenclature (ou macrostructure, c'est-à-dire la liste des
termes traités) du français international commun aux Français et aux Québécois
reprend celle des dictionnaires français de France (le Trésor de la
langue française (11) et Le Petit Robert en particulier).
3)
La structure des articles (ou microstructure) reprend celle de ces
mêmes dictionnaires français de France. Les citations françaises sont en
général supprimées. Des articles dépecés, il ne reste que le squelette
agrémenté de syntagmes inventoriés par les dictionnaires français (certains
syntagmes sont même tirés des citations françaises supprimées). Comparez, par
exemple, le traitement de résidence dans Le Petit Larousse ou Le
Petit Robert et dans Usito. On y trouve la même microstructure,
les mêmes acceptions, les mêmes définitions, à quelques mots près. En revanche,
il n'y est pas fait mention de l'emploi particulier de résidence en
usage courant au Québec dans le sens de maison, demeure, villa,
pavillon, sous l'influence de l'anglais residence.
…
« Les
services de sécurité incendie de La Malbaie ont reçu un appel pour une résidence
qui est la proie des flammes. Le propriétaire de la résidence était
absent lorsque l’incendie s’est déclaré. Personne n’est donc blessé. » (Le
Charlevoisien, 16 octobre 2019).
…
4)
Ses définitions des termes du français international reprennent celles
des dictionnaires français, en particulier celles du Trésor de la langue
française (12).
5)
S'il a
éliminé la plupart des citations d'auteurs français, celles qu'il a
conservées proviennent de la base française Frantext (13).
6)
Il est loin
de décrire tous les québécismes. On note de nombreuses lacunes dans la
nomenclature, en particulier – et c'est presque systématique - parmi les
emprunts de mots à l'anglais (par exemple le vocabulaire de l'automobile),
mais pas seulement.
7) Les
termes critiqués mais retenus, qui auraient dû être incorporés à la
nomenclature et traités dans le corps des articles, étant considérés comme de simples
différences de niveaux de langue, ont finalement été placés dans une
rubrique spéciale, intitulée « Anglicisme critiqué », sorte de
purgatoire pour mots pestiférés.
Dans ces cas-là, très
nombreux, Usito quitte un traitement purement lexicographique, objectif
et complet, des usages québécois pour des jugements de valeur subjectifs. On
n'est plus dans la rédaction d'un dictionnaire général et complet de ces
usages, mais dans celle d'un bon vieil ouvrage correctif, par ailleurs
tant honni (14)…
Il y a pire encore, dans
ces articles, le mot critiqué est souvent présenté sans exemples d'emploi. On
les remplace par leurs équivalents standard ou censés tels… Curieuse
exemplification en filigrane des usages de mots-zombies… Certainement une
première mondiale en matière de lexicographie… Voici, par exemple, le
traitement du mot chum, d'usage généralisé au Québec. Usito ne
donne pas un seul exemple d'emploi de ce mot ; (pour l'illustrer ?),
il donne seulement ceux de ses équivalents standard supposés (15). Supposés,
parce toute personne ayant un tant soit peu connaissance du français québécois
sent immédiatement la perte d'information dans le passage de chum
à ami, à camarade, à conjoint et même à… cavalier (sic). Extrait d'Usito :
...
[chum [tʃɔm] n. inv. en genre et n. m.
· Q/C n. inv. en genre fam. L'emploi de chum est critiqué
comme synonyme non standard de ami, camarade, copain.
Un bon ami, un grand copain, un vieux camarade. C'est ma grande amie, ma
meilleure amie.
· Q/C fam. adjt L'emploi de chum est critiqué comme synonyme non
standard de ami, camarade, copain.
Être ami avec qqn. Elles sont copines depuis 20 ans.
· Q/C n. m. fam. L'emploi de chum est critiqué comme synonyme non
standard de ami de cœur, amoureux, cavalier, conjoint, copain, petit ami.
Elle sort toujours avec son premier amoureux.]
...
On se demande quelle est
la logique d'Usito quand on découvre que le mot gang, lui, a
droit au traitement exactement contraire, à toute une flopée d'exemples, dont
voici quelques spécimens : « Une gang de gars, de filles; Une gang
de touristes, Une gang de politiciens; Une gang de fédéralistes, de
séparatistes; Une gang de crottés (16), de frustrés, de moutons;
Quelle gang de cochons !; Être (tout) seul de sa gang; Sortir seul ou
en gang; Toute la gang ; On était une bonne gang à attendre l’ouverture du
magasin »… Il n'y a pas autant d'exemples de gang dans le dico (17) de Léandre Bergeron ! Mais, puisque Usito
s'appuie sur des exemples bien de chez nous, on s'étonne qu'il n'ait pas
illustré cet article en citant Daniel Boucher : « Heille! /
Ma gang de malades /Vous êtes donc où ? ». Une belle
occasion ratée… Qu'on se le tienne donc pour dit : chum est un « anglicisme
critiqué », pas gang (nom féminin, qui s'écrit même parfois gagne,
précise Usito)… Sûreté du « jugement sociolinguistique » !
Dure dure, la lutte entre le sociolinguiste et le puriste !
Quand on se penche en
détail sur ce dictionnaire, on découvre beaucoup d'omissions, d'incohérences (nous
venons d'en voir une) ou d'erreurs. En voici quelques exemples (18) :
· Nomenclature :
Comme je l'ai dit plus
haut, beaucoup de termes d'origine anglaise d'usage courant en français
québécois sont absents de la nomenclature d'Usito, alors que les
concepteurs du dictionnaire avaient promis de décrire et de « hiérarchiser »
tous les usages québécois. Pour des mots aussi courants (peu importe
le jugement de valeur qu'on porte sur eux) que bumper, cap de roue,
choke (et choker), il n'y a pas de « porte d'entrée »
dans le dictionnaire. Si vous voulez savoir s'il y a, en français, d'autres
mots pour désigner ces concepts, vous n'avez aucun moyen de le faire. Seuls
ceux qui les connaissent peuvent consulter les articles pare-chocs, enjoliveur,
étrangleur (équivalent peu usité de starter ou volet de
starter, quand il s'agit du moteur à combustion, lui aussi condamné par Usito).
Il y a pire, sous pare-chocs, enjoliveur ou étrangleur, il
n'est pas fait mention des anglicismes correspondant, pourtant d'usage courant
au Québec, et pas seulement dans les ateliers de mécanique (19). Et pire
encore, le fait de ne pas avoir traité ces mots a pour conséquence que des mots
aussi fréquents que les verbes bumper (« Elle s'est fait
bumper ») ou choker (« Il a choké ») ne
sont pas traités non plus. Les conséquences en chaîne ne s'arrêtent pas là. À
l'article supplanter, équivalent « officiel » de bumper,
il n'est pas fait allusion à bumper, même pour le critiquer, et il n'est
pas dit que supplanter dans cette acception est un québécisme… Curieuse
décision pour un dictionnaire censé décrire et hiérarchiser tous les
usages !
…
« "On
est sur les nerfs. Ce n'est pas évident", a commenté un membre du
personnel qui craint pour son emploi. "Même les personnes qui ont un poste
sont nerveuses, parce qu'elles ne savent pas si elles vont se faire bumper". » (La
Tribune, 1er septembre 2014).
…
« Quand
notre enfant se drogue et qu’il vit dans la rue, on ne parle pas de ça. Un
jour, lors d’une conférence, j’ai "choké". Une dame m’a dit
que mon fils devait être bien heureux d’avoir vécu […] une belle vie avec moi.
Je lui ai répondu tout bonnement : "Pas tellement. Il vit dans la
rue." » (Francine Ruel dans Le Soleil, 29 septembre
2019).
…
Ces lacunes dans la
nomenclature ne concernent pas seulement ces mots-tabous que sont, même pour Usito,
les mots anglais, cela touche aussi des termes français employés de manière
particulière au Québec. C'est le cas de mettre à pied, qui s'emploie au
Québec la plupart du temps là où ailleurs dans la Francophonie, on dirait licencier.
Les verbes licencier, congédier, remercier sont traités
sans qu'on signale leurs différences d'emploi, tandis qu'il n'y a pas de trace
de mettre à pied, malgré la confusion fréquente ici entre licencier
un travailleur (mettre définitivement fin à son contrat) et le
mettre à pied (suspendre provisoirement son contrat). Pour plus de
détails, voir mon billet dans ce blog (20).
…
« Aucun
employé d'OC Transpo [société municipale de transport par autobus] ne sera
finalement mis à pied en raison de l'arrivée du train léger à Ottawa
[…]. Des compressions avaient déjà été annoncées, il y a deux ans, par le
transporteur public. À l'époque, OC Transpo prévoyait abolir [c'est
à dire supprimer] entre 500 et 600 postes en raison de la transition des
autobus vers le train léger. La Ville avait annoncé en juillet la mise
à pied de 345 employés d'OC Transpo. » (CBC/Radio Canada,
4 octobre 2019).
…
Il est
clair, dans ce contexte, qu'il n'était pas question de mettre à pied des
employés, mais de les licencier. Les utilisateurs d'Usito ne le
sauront pas.
·
Catégories
grammaticales
Les problèmes de genre
et de nombre, fréquents en français québécois, sont traités d'une manière peu
conséquente. Tantôt on s'appuie sur l'usage oral ou sur l'usage écrit, tantôt
on lui préfère les prescriptions d'organismes de normalisation comme l'Office
québécois de la langue française (OQLF) ou d'ouvrages correctifs, même si
celles-ci sont critiquables.
- C'est le cas d'une
série de mots terminés par une voyelle, dont des emprunts à l'anglais, comme aréna,
marqué masculin, parce que cette forme a été officialisée par l'OQLF, et de party (21),
marqué lui aussi masculin (et terme critiqué), et toute une série de noms
de fromages en –a : feta, « généralement masculin », avec
une subtile distinction pour mozzarella, qui serait féminin quand le
produit est fabriqué en Italie et masculin quand il l'est en Amérique du Nord…
Ce n'est pas si évident : dans la presse francophone canadienne (désormais
PFC), au cours des 10 dernières années, le syntagme de la feta (féminin)
représente 64 % des occurrences, du feta (masculin), 36 % (22).
- Les emprunts à
l'anglais terminés par une consonne, féminin dans l'usage québécois dominant et
masculin dans le reste de la Francophonie, sont traités différemment. Sandwich
est marqué masculin; business, féminin ou masculin; job, féminin
ou masculin (avec la mention « masculin en France », trop
restrictive parce que le masculin s'emploie partout ailleurs dans la
Francophonie, et donc féminin au Québec, ce qui n'est pas toujours le cas); toast (tranche
de pain grillé), féminin au Québec (23) (avec la mention elle aussi
trop restrictive « masculin en France »); van (ou vanne),
féminin (pas de mention sur son genre ni sa prononciation ailleurs dans la
Francophonie).
…
« Voir
mes enfants courir et aller au jardin se chercher une tomate, pis aller se
chercher deux tranches de pain, pis s’faire une sandwich toastée
mayonnaise tomates... Je regarde ça, et je vois mon enfance. » (Céline
Dion dans le Journal de Montréal, 19 septembre 2019).
…
- Sous autobus,
en revanche, pas un mot sur son emploi courant au féminin à l'oral. Usito
donne même comme exemple attendre le bus. Il n'a jamais entendu attendre
la bus. Les mots anglais ont droit aux deux genres, pas les mots français…
…
« Anglicismes,
syntaxe boiteuse, mauvaises conjugaisons et mauvais accords de genre, si
j'aurais, toé pis moé, toute le monde, une autobus... La langue
française passe un mauvais quart d'heure sur les ondes de la radio parlée de
Québec » (Le Soleil, 4 janvier 2015).
…
- Sous chum, le
mot est noté invariable en genre et nom masculin. C'est inexact. On
l'emploie au masculin et au féminin. C'est un mot épicène.
…
« "Je
fais une compétition avec ma chum. On pose avec les vedettes" »,
a indiqué en riant Vicky Dumulong, de Joliette. » (Le Journal
de Québec, 14 septembre 2019).
…
- L'emploi courant de la
série de noms de vêtements jeans, pantalons, shorts,
employés au pluriel pour désigner un seul objet, est simplement noté « parfois
critiqué ». En revanche, sous culotte, cette mention n'apparaît
pas, comme si tout le monde au Québec disait mettre ses bobettes, mais mettre
sa culotte, jamais mettre ses culottes (24) ! « Il
faudrait que le ministre mette ses culottes » : expression
québécoise bien connue, sauf d'Usito. En revanche il consigne se
faire prendre les culottes baissées sans signaler la variante les
culottes à terre, ni qu'il s'agit d'un calque de l'anglais.
…
« Le
fédéral a besoin de mettre ses culottes. On doit trouver des solutions. » (Metro,
15 octobre 2019).
…
On note aussi des
problèmes de préposition.
- pare-chocs contre
pare-chocs. Usito ne dit pas que, dans la majorité des cas, on
entend et on lit pare-chocs à pare-chocs (dans 80 % des
cas dans la PFC), ce qui représente un anglicisme de syntaxe, quand on ne dit
pas carrément (à l'oral) bumper à bumper.
- Mettre la clé sous
la porte. Usito ne signale pas l'emploi fréquent au Québec de mettre
la clé dans la porte (dans 34 % des cas dans la PFC), qui
correspond soit à une différence d'habitude, soit à une incompréhension de la
situation… Usito ne signale pas non plus l'expression fautive chercher
de midi à quatorze heures…
· Marques d'usage. On remarque :
- L'absence de la marque
d'usage populaire (en abrégé pop.). Pourtant tous les
dictionnaires l'utilisent. Elle aurait été bien utile aux auteurs d'Usito
– certainement paralysés par le politiquement correct - qui ambitionnaient de
décrire tous les usages québécois et de les « hiérarchiser (25) ».
Selon le Dictionnaire de linguistique Larousse, le terme populaire
« caractérise tout trait ou tout système linguistique exclu de l'usage
des couches cultivées et qui […] se réfère aux particularités du parler utilisé
dans les couches modestes de la population ». Selon Le Petit Robert,
la marque « populaire qualifie un mot ou un sens courant dans des
milieux populaires […], qui ne s'emploie pas dans un milieu social élevé. »
Et ce dictionnaire de préciser un élément très important, qui a échappé aux
auteurs d'Usito : « À distinguer de familier, qui
concerne une situation de communication ». S'ils avaient tenu
compte de cette distinction de base, cela leur aurait évité de faire de la
marque familier un fourre-tout réunissant des mots vraiment familiers et
d'autres en dehors du fameux français québécois standard.
- Le caractère
arbitraire de la marque non standard. En réalité, il suffit qu'un mot
soit un emprunt à l'anglais pour qu'Usito lui accole la marque non
standard, peu importe qu'il soit rare ou fréquent, voire dominant dans l'usage
réel. C'est le cas de week-end qualifié de « synonyme non standard
de fin de semaine ». Or, l'usage réel de la PFC, au cours
des 10 dernières années, montre qu'en fait il y a… deux usages. Fin de semaine (terme équivoque (26))
représente 51 % des occurrences, week-end, 49 %. Les deux
termes sont donc aussi fréquents l'un que l'autre. Ici encore, Usito
adopte un point de vue plus idéologique que lexicographique.
- Le caractère
arbitraire et souvent erroné de la marque d'usage F/E (France/Europe).
Cette marque, censée désigner des mots ou acceptions propres au français de
France et d'Europe, est employée à tort et à travers. Elle remplace l'ancienne
marque FF (pour « français de France ») qu'on trouvait, par
exemple, dans le Dictionnaire du français québécois pour désigner ce
qu'il appelait les « francismes ». En réalité, les véritables
mots ou acceptions propres à la France sont plus rares que ne le pensent nos
rédacteurs de dictionnaires. Le terme leur sert surtout à faire croire aux
Québécois qu'il y a une sorte d'opposition dans la répartition des emplois
entre le Québec et la France seulement (Québec vs France). En fait,
cette répartition, ou cette opposition, dans l'immense majorité des cas, est
une opposition Québec vs reste de la Francophonie. L'élargissement de la
marque FF à l'ensemble de l'Europe francophone (F/E) ne change pas
radicalement l'affaire (sans compter qu'elle fait bon marché des
belgicismes et des helvétismes). Voici deux exemples d'inexactitudes dues à ce
choix idéologique :
- gang « se
prononce [gaɲ] et s'écrit parfois gagne au Québec », ce qui est
exact, mais Usito se trompe quand il dit « En France, le mot se
prononce [gɑ̃g]. » Ce n'est pas qu'en France, c'est partout dans tout
le reste de la Francophonie hors Québec.
- job n'est pas
masculin uniquement en F/E, comme le prétend Usito, mais dans tout le
reste de la Francophonie hors Québec.
- myrtille, pour
désigner le bleuet, n'est pas non plus spécifique au F/E, mais se dit
dans tout le reste de la Francophonie hors Québec.
…
« Kénitra
fait partie du plus grand bassin de production des fruits rouges qui occupent,
dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, une superficie de 4.329 ha, dont 2.633 ha
de fraisier, 1.036 ha de myrtille, 620 ha de framboisier et 40 ha
de baies de goji » (Le Matin, Casablanca, Maroc, 28 mars
2019).
…
- Le caractère parfois
erroné de la marque d'usage Q/C (Québec/Canada). Exemple :
- « raquetteur
Q/C adepte de la raquette comme sport d'hiver », selon Usito.
Cette affirmation est inexacte, Le même mot s'emploie dans le même sens en « français
d'Europe ». Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (27).
À l'heure d'Internet,
alors qu'on peut vérifier instantanément l'existence d'un terme partout dans le
monde (Émile Littré et Pierre Larousse n'avaient pas cette chance) grâce à
des bases de textes comme Eureka.cc, il est inexcusable de laisser
passer de telles erreurs.
- L'absence
de marque d'usage Q/C :
- balance
du pouvoir n'est pas marqué Q/C. Le commentaire « Dans les pays de
tradition parlementaire britannique » laisse croire qu'on désigne ce
phénomène par ce terme partout dans la Francophonie, ce qui est faux. Pour plus
de détails, voir mon billet dans ce blog (28).
- « famille
recomposée ou Q/C famille reconstituée (de l’anglais reconstituted
family). » L'origine anglaise de la tournure québécoise et l'existence
d'un équivalent standard exact n'ont pas été suffisantes pour la classer dans
la rubrique « Anglicisme critiqué ». On peut donc l'employer sans
souci… Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (29).
- Les calques et les
emprunts de sens ne sont pas traités aussi sévèrement que les emprunts de mots.
- sécuritaire au
sens de sûr n'est pas marqué F/C, alors qu'il s'agit d'un québécisme (et
d'un québécisme critiquable, même s'il a obtenu la bénédiction de l'OQLF). Il y
a pis encore, l'article renvoie à sûr comme synonyme de sécuritaire
et laisse entendre, par les exemples qu'il donne, qu'un « quartier sûr »
et un « quartier sécuritaire », c'est la même chose, ou qu'on
peut dire indifféremment « mettre en lieu sûr » et « mettre
en lieu sécuritaire » (?)… Dans la PFC, lieu sécuritaire
ne représente pas 1 % des occurrences, lieu sûr, plus de 99 %.
Les usagers de la langue, eux, ont compris que ce n'est pas la même chose. Pour
plus de détails, voir mon billet dans ce blog (30).
- Caractère erroné de la
marque d'usage familier pour beaucoup de mots québécois :
- des mots comme balayeuse,
poêle ou vidanges, dans leur acception courante au Québec, sont
marqués Q/C familier et accompagnés de la remarque « parfois
critiqué comme synonyme non standard d'aspirateur, de cuisinière, de déchets,
d'ordures ». On a là un exemple du caractère arbitraire de
l'application des marques d'usage du français standard international à des mots
du français vernaculaire québécois. Croyez-vous un instant que les Québécoises
et les Québécois, qui emploient ces mots tous les jours, aient voulu utiliser
consciemment des termes de niveau familier ? Ma cuisinière neutre
vs mon poêle fam., mon aspirateur neutre vs ma balayeuse fam.,
mes ordures neutre vs mes vidanges fam. comme ma voiture neutre
vs ma bagnole fam. ?
Absolument pas. Ils emploient normalement, et sans états d'âme, les termes
neutres de leur système linguistique. On voit à quelles absurdités conduit
le refus de prendre en compte la situation de diglossie, la volonté de décrire
dans un seul dictionnaire tous les usages québécois et de juger tous les « québécismes »
à l'aune du français standard international.
- Caractère insuffisant
de la marque « parfois critiqué » :
Curieusement, Usito,
qui se veut un dictionnaire du français standard québécois, apparaît
très timoré quand il s'agit de séparer le bon grain de l'ivraie. Il ne tranche
pas, il ne condamne pas, il garde ses distances par rapport au « jugement
sociolinguistique » des Québécois. On a vu des endogénistes plus hardis.
Il ne fait qu'informer - au cas où -, s'en tenant à la mention « parfois
critiqué ». Critiqué, pas Condamné. Critiqué, adouci
par parfois. Intéressant ce parfois : sur quoi se fonde-t-il ?
- « frapper un
mur : l’emploi de l'expression frapper un mur (to
hit a wall) est parfois critiqué comme synonyme non standard de se
heurter à un mur ». Conclusion : on ne risque pas grand-chose à
l'employer (31).
- balance du pouvoir :
Ce calque de l'anglais balance of power n'a même pas droit à ce parfois
critiqué. On peut donc l'employer sans souci…
- bénéfice dans
la série soirée-bénéfice, souper-bénéfice, etc. n'est pas marqué calque
de l'anglais (benefit-dinner, etc.), donc encore un calque de
l'anglais (jamais critiqué ?) qui serait du français québécois
standard. Usito, censé s'adresser à tous les « francophones et
francophiles », ne fournit pas l'équivalent standard international, à
savoir soirée caritative. À caritatif aucun signe non plus de
côté-là. Les Québécois n'ont pas besoin de savoir… Pour plus de détails, voir
mon billet dans ce blog (32).
· Acceptions québécoise absentes
On note l'absence
d'acceptions québécoises courantes. En voici quelques exemples parmi bien
d'autres :
- bord au sens
québécois de côté, de direction. À part l'expression prendre
le bord, qui est traitée, on s'étonne de l'absence d'expressions aussi
courantes que de bord en bord ou de tous bords de tous côtés.
- cueillette (calque
de sens de l'anglais pickup). Si cueillette des ordures ménagères
et cueillette des données sont traités, on ne parle pas de cueillette
des marchandises, pourtant courant (Ikea avait naguère encore
un centre de cueillette à Québec, c'est-à-dire un point de retrait. On
n'y cueillait pas des fleurs, des cerises, des pommes, etc., mais des
fauteuils, des lampes, des matelas, etc.). Cet emploi a échappé à Usito.
Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (33).
- ramasser, ramassage (des
marchandises). Cet emploi, présent sur des panneaux dans tous les grands
magasins du Québec, correspond à ce qu'on désigne ailleurs dans la Francophonie
par les mots retirer et retrait (retrait des marchandises).
Il n'est pas connu d'Usito. Pour plus de détails, voir mon billet dans
ce blog (34).
- matériel. Les
sens courants de tissu (anglicisme sémantique) et de matériaux,
matière (idem, pour un auteur-compositeur-interprète, etc., en
anglais text
written for a specific purpose) ne sont pas mentionnés dans Usito.
…
« "Ce
sont de nouvelles chansons. Je suis content, ça faisait longtemps que je
n'avais pas fait du nouveau matériel. Je suis très heureux de l'album,
les chansons sont très bonnes", a affirmé Paul Daraîche. » (Beauce
Média, 17 octobre 2018).
…
- signaler (un
numéro de téléphone) dans le sens de composer n'est pas mentionné.
· Équivalents « standard »
absents ou inexacts ou sans diffusion.
-
surprise-partie :
« L'emploi de surprise-partie est parfois critiqué comme synonyme non
standard de fête-surprise. Cet équivalent est peu attesté dans l'usage. »
Un équivalent sans existence réelle, alors pourquoi signaler ce mot ?
- balance du pouvoir : Usito ne
connaît pas d'équivalent standard et pourtant il y en a (voir dans mon
blog).
- circulaire est classé correctement
dans la rubrique « Anglicisme critiqué dans le sens de cahier
publicitaire, feuillet publicitaire, prospectus. » En
réalité, aucun de ces termes n'est l'équivalent exact de circular dans
ce contexte commercial. C'est catalogue. Pour plus de détails, voir mon
billet dans ce blog (35).
- fake news est critiqué comme « synonyme non standard de fausse
nouvelle ». Cet équivalent équivoque est contestable. Usito ne
donne pas les autres équivalents : fausse information, fausse
info, ni surtout infox, plus exact. Dans la PFC, on relève fausse
nouvelle, 42 % des occurrences; fausse information, 33 %; fake
news, 25 %. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (36).
- monoparental : Usito dit
bien que « l'adjectif monoparental se dit d'une famille, mais non d'une
personne », mais ne dit pas explicitement qu'une « mère de
famille monoparentale » n'est pas une « mère monoparentale » (usage
dominant au Québec), mais une « mère célibataire » ou une « mère
seule ». Or, dans la PFC, le syntagme « mère monoparentale »
représente 70 % des occurrences; la forme standard, « mère
célibataire », 21 % seulement; « mère seule » est très rare (moins
de 1 %). De quoi se poser des questions sur la vraie nature du français
québécois standard. Dans ce cas, est-ce « mère célibataire » ou « mère
monoparentale » ? Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (37).
- navet, défini comme nom
usuel du rutabaga et marqué seulement parfois critiqué, me
donne l'occasion de signaler les problèmes que pose la dénomination de certains
fruits et légumes en français québécois. Pour plus de détails, voir mon billet
dans ce blog (38).
- rectitude politique F/C : Il n'est
pas fait mention que rectitude politique ne couvre que l'aspect positif
de cette attitude, mais pas l'aspect négatif, excessif. Les autres équivalents, le
politiquement correct (syntagme adjectival employé comme nom), la bien-pensance,
etc., n'intéressent pas Usito.
- vente de garage : Usito
affirme « On emploie vente-débarras au Québec et vide-grenier(s) en
France ». En réalité, vide-grenier(s) n'est pas l'équivalent
tout à fait exact de vente de garage. Un vide-grenier(s) est une
activité collective (39), une vente de garage est le fait d'un
particulier. Par ailleurs, en Europe francophone, on emploie, selon le
contexte, les expressions vide-maison, vide-appartement, vide-garage,
vide-dressing, etc. Au Québec, vide-garage remplacerait donc
avantageusement vente de garage. Les « francophones et les
francophiles » non québécois sont souvent étonnés par le nombre de garages
qui se vendent au Québec…
- Vente de trottoir. Cette expression pose
encore à plus de problèmes de compréhension à ces « francophones et
francophiles » que vente de garage… Qu'on vende des garages, soit,
mais des trottoirs… Usito ne donne que l'équivalent proposé par l'OQLF, vente-débarras,
qui n'est pas très bon, d'abord parce que c'est une création inutile, ensuite
parce qu'il n'évoque pas ce qu'est une vente de trottoir. Il aurait dû
mentionner l'équivalent F/E, déballage.
· Exemples
Dans le projet
d'origine, le dictionnaire général et complet du français québécois
devait s'appuyer sur un vaste corpus d'exemples d'auteurs québécois. C'était
logique. Malheureusement, comme l'a fait remarquer Jean-Claude Corbeil (40),
il est difficile de trouver des auteurs québécois qui écrivent en français
québécois standard. On trouve toujours chez les Michel Tremblay et autres
auteurs québécois des « scories » gênantes sous forme de mots non
linguistiquement corrects. C'est pourquoi les exemples retenus sont en général
d'une platitude navrante. À l'article ramasser, un exemple de Jean-Paul
Sartre cité par le TLF est remplacé par cet exemple d'Alice Parizeau : « Il
faut qu'on ramasse les salades et les navets et qu'on les livre aujourd'hui
même à la coopérative ». Le Québec serait la seule nation qui ne
pourrait décrire sa langue standard sur la base des écrits de ses écrivains…
Cela devrait faire réfléchir sur la nature du marché linguistique québécois.
· Purisme
On l'aura compris,
malgré sa volonté de décrire tous les usages québécois, quitte à les « hiérarchiser »,
Usito n'a pas échappé au péché mignon des auteurs d'ouvrages correctifs,
le purisme. Ce purisme fait condamner des mots d'usage courant et mettre en
avant des créations sans réelle diffusion. Parfois cela mène à un cul-de-sac
comme le montre l'exemple de briefing. Ce nom, attesté en français
depuis 1945, est placé dans la rubrique Anglicisme critiqué et qualifié
de non standard. Selon Usito, le mot « standard », bien
français, serait breffage (41). Un petit sondage dans la base Eureka.cc
montre que briefing est employé dans la PFC dans 71 % des cas, breffage,
dans 28 %. Quel est le véritable mot standard ? Si l'on consulte le
verbe briefer, on apprend que ce mot est critiqué comme non standard et
que les équivalents sont « donner des consignes, informer, instruire,
mettre au courant ». Mais on ne trouve pas trace dans Usito de breffer,
la forme verbale attendue, et pour cause, quand on consulte Eureka.cc,
on découvre que ce mot n'apparaît que dans 31 documents de la PFC au cours des
10 dernières années. Une misère ! Comme c'était prévisible, debriefer est
classé « anglicisme critiqué ». Il aurait ses équivalents exacts en « faire
le bilan, faire le compte rendu » et « interroger quelqu'un,
questionner une personne ». Comme c'est bête, le français avait le
moyen de désigner ces concepts, et on ne le savait même pas ! Remarquez,
on ne nous parle pas d'un quelconque débreffer. Effectivement dans Eureka.cc
ce mot n'apparaît que 16 fois pour les 10 dernières années. Cela n'empêche pas Usito
de donner débreffage comme équivalent standard de débriefing. Or,
dans Eureka.cc, débreffage n'est employé que dans 17 % des
cas (encore un mot confidentiel), alors que debriefing l'est dans
82 %.
Résumons, si je veux « bien
parler ou bien écrire », disons en français québécois standard, selon
Usito, je dois employer le nom breffage,
au lieu de briefing, ou les verbes donner des consignes ou informer
ou instruire, au lieu de briefer. De même je dois dire débreffage,
au lieu de debriefing, mais faire le bilan ou interroger
quelqu'un, au lieu de débriefer. Pas facile. Breffage et débreffage
sont des déverbaux… pratiquement sans verbe correspondant. Tout francophone, un
peu sensible aux différences de situations de communication, comprend que ça ne
marche pas. Il y a compte rendu et compte rendu (un débriefing est
un compte rendu de mission), de même qu'il y a interrogatoire et
interrogatoire (un débriefing est l'interrogatoire d'un otage).
Ce genre de parti-pris idéologique mène au flou, à l'à-peu-près, à
l'impropriété ou au barbarisme.
Cela pose la question
fondamentale de savoir ce qui définit une forme standard pour Usito.
Normalement, pour toutes les langues, ce doit être l'usage dominant. Or,
on voit bien qu'Usito, trop souvent, ne tient pas compte de l'usage
dominant quand il ne lui plaît pas. Des critères idéologiques interviennent à
tort et à travers en vue d'orienter l'usage dans le sens des convictions
de leurs auteurs.
En conclusion, que vaut
le dictionnaire Usito ?
Pour la partie français
international, il ne présente pas d'intérêt. On n'y trouve que les squelettes
des ouvrages de référence français, avec une nomenclature réduite dans le nombre
de ses acceptions et expurgé des citations d'auteurs français. Les ouvrages
papier bien connus le surpassent, et de loin, et il y a sur Internet d'autres
dictionnaires en ligne plus complets, plus sérieux (42).
Pour la partie
québécoise, on ne trouve pas tous les termes ni toutes les acceptions, encore
moins tous les usages du français d'ici. La nomenclature est étonnamment
lacunaire. Usito n'a pas réussi à tenir la gageure de rédiger un
dictionnaire général et complet du français québécois. Il s'est heurté aux
obstacles insurmontables de la nature même du marché linguistique québécois.
Comme c'était prévisible, il n'a pas réussi à traiter dans un même article pour
un même signifiant tous les signifiés du français international et tous ceux du
français québécois. Les termes « critiqués » ou « parfois
critiqués » sont en général sortis du corps de l'article pour être traités
dans une rubrique à part. Cet ouvrage, qui devait représenter les usages réels
du français québécois, s'est transformé tantôt en dictionnaire différentiel,
tantôt en dictionnaire correctif avec sa longue liste de termes critiqués et
ses icônes de mise en garde. Longue tradition au Québec depuis le Bélisle (43) jusqu'au Multidictionnaire (44).
On n'y trouvera donc pas une description fidèle de ce qu'est réellement le
français québécois. Qui voudra lire les principales œuvres du patrimoine
littéraire québécois n'y trouvera pas ce qu'on est en droit de savoir de sa
littérature et de ses mots.
En conclusion, je ne
peux que citer l'opinion de l'ancien directeur du Trésor de la langue française
au Québec, Claude Poirier : « Les diverses observations qui précèdent, dit-il,
m’amènent finalement à conclure que, dans l’état actuel des choses, on ne
peut pas se passer complètement de ces derniers [les dictionnaires français de
France] non seulement pour une connaissance approfondie du français, mais même
pour les québécismes (45). »
Mots-clés :
français international; français québécois; lexicographie; dictionnaire;
diglossie; niveau de langue; Usito.
…
Notes
(1)
https://www.usherbrooke.ca/actualites/nouvelles/sur-les-campus/sur-les-campus-details/article/21501/.
(2) Pour cette notion,
voir Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Endog%C3%A9nisme.
(3) Traditionnellement,
on distingue les niveaux soutenu, neutre ou courant, familier,
vulgaire et populaire.
(4) Ces idées sont
développées dans les publications suivantes : Hélène Cajolet-Laganière et
Pierre Martel, La qualité de la langue au Québec, Sainte-Foy, Institut
québécois de recherche sur la culture, 1995; Pierre Martel et Hélène
Cajolet-Laganière, Le français québécois. Usage, standard et aménagement,
Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1996.
(5) Voir Diane Lamonde, Le
Maquignon et son joual. L'aménagement du français québécois, Montréal,
Liber, 1998 et Anatomie d'un joual de parade. Le bon français d'ici par
l'exemple, Montréal, Varia, 2004.
(6) Voir Lionel Meney, Main
basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec,
Montréal, Liber, 2010 et Le français québécois entre réalité et idéologie.
Un autre regard sur la langue, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017.
(7) Endoglossie :
diglossie constituée de deux variétés d'une même langue. J'ai décrit dans le
détail le fonctionnement de ce marché dans Le français québécois entre
réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue, Québec, Presses de
l'Université Laval, 2017.
(8) Dictionnaire
québécois d'aujourd'hui, rédaction dirigée par Jean-Claude Boulanger,
supervisée par Alain Rey, Montréal, Dicorobert, 1992.
(10) Malgré ce qu'on en
dit, les éditions papier se vendent toujours très bien. Bon an mal an, Le
Petit Larousse se vend à 800 000 exemplaires dans le monde, Le Petit
Robert, à 200 000.
(11) Trésor de la
langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe
siècles, sous la direction de Paul Imbs, puis de Bernard Quemada, Paris,
Centre national de la recherche scientifique, 1971-1990, 16 tomes. Ce
dictionnaire est consultable en ligne à l'adresse : http://atilf.atilf.fr/.
(12) L'équipe de
rédaction d'Usito déclare avoir passé un accord avec l'ATILF, une unité
de recherche du Centre national de la recherche scientifique français, lui
permettant d'exploiter « certaines définitions et rubriques
étymologiques du Trésor de la langue française informatisé ».
Ce que représente l'adjectif certaines n'est pas précisé dans la
présentation d'Usito. Une étude du dictionnaire montre que ses auteurs
ont utilisé bien plus que « certaines définitions » du TLF.
(13) Frantext est
le nom d’une base de données française de textes français (textes
littéraires, philosophiques, scientifiques et techniques) créée en vue de la
rédaction du TLF (voir
ci-dessus). L'équipe d'Usito déclare avoir passé un accord lui
permettant d'exploiter cette base « pour certaines citations d’auteurs
français ». Toujours et encore « certaines »…
(14) À ce propos,
l'ancien directeur du Trésor de la langue française au Québec, Claude Poirier,
interroge : « Comment un grand dictionnaire, qui s’est donné pour
mission de proposer une représentation québécoise de la langue française,
pourrait-il occulter cette dimension de l’identité collective [les
anglicismes] ? », « Usito : Un pas en avant, un pas en
arrière. Analyse du dictionnaire de l’Équipe FRANQUS un an après sa mise en ligne. ».
Texte consultable en ligne sur le site du Trésor de la langue française au
Québec. http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
(17) Léandre Bergeron, Dictionnaire
de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980 [réédition Montréal,
Typo, 1997].
(18) Dans le cadre de
cet article, il n'est pas possible de faire un relevé systématique et complet
des points critiquables d'Usito. Il y en a trop. Je m'en tiendrai à
quelques exemples éclairants. Ils correspondent à l'état d'Usito au 15
octobre 2019. Depuis il est possible que certains exemples aient été modifiés.
Cela ne change rien à l'affaire.
(19) Voir à ce sujet
l'étude instructive de Jacques Maurais, Le vocabulaire au travail. Le cas de
la terminologie de l'automobile, Québec, Office québécois de la langue
française, 2008 [consultable sur le site de l'OQLF].
(20) Doit-on dire
mettre à pied, congédier ou licencier ? https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2014/02/doit-on-dire-mettre-pied-congedier-ou.html.
(21) Il y aurait beaucoup
à dire sur les transcriptions phonétiques. La prononciation québécoise de party
n'est pas notée. Les autres « francophones et francophiles »
penseront naïvement qu'au pays de Québec, on prononce \paʁti\...
(22) Sondage effectué
dans la base de textes Eureka.cc. Pour les 10 dernières années, Eureka.cc
comprend 18 000 000 de documents (articles) de la presse francophone
canadienne (PFC); 129 000 000 de la presse francophone européenne (PFE) (état
à la mi-octobre 2019).
(24) Dans la PFC, au
cours des 10 dernières années, on ne relève que 3 cas d'emploi de mettre sa
culotte au singulier. Il est alors question de culotte… d'incontinence.
Tous les autres cas d'emploi sont au pluriel.
(25) Jean-Claude Corbeil
distingue 4 niveaux de langue dans le parler des Québécois : langue
soignée, langue familière, langue populaire et langue triviale (sic) (L'embarras
des langues, Montréal, Québec Amérique, 2007, p. 320). La « langue
triviale » est celle « des locuteurs les moins scolarisés, la plus
éloignée de la norme standard ».
(26) Fin de semaine
ou week-end ? Usito est encore à coté de la plaque.
(27) Le dictionnaire Usito
est-il fiable ? L'exemple de raquetteur.
(28)
Doit-on dire détenir la balance du pouvoir ? https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2018/09/doit-on-dire-detenir-la-balance-du.html.
(29) Doit-on dire famille reconstituée ou famille
recomposée ?
(30) Doit-on dire
sécuritaire ou sûr ?
(31) Dans la PFC, au
cours de 10 dernières années, frapper un mur représente 92 % des
occurrences, se heurter à un mur, 8 %.
(32) Doit-on dire
soirée-bénéfice ou soirée caritative ?
(33) Doit-on dire
cueillir ou collecter ? cueillette ou collecte ?
(39)
« Vide-greniers : rassemblement populaire au cours duquel
des particuliers exposent les objets dont ils n'ont plus l'usage, afin de s'en
départir en les vendant aux visiteurs » (Wikipédia).
(40) Jean-Claude Corbeil
déplore que : « la référence aux textes littéraires comme critère
de la norme québécoise est plus délicate ici qu'en France, à cause de
l'existence de la littérature joualisante » (L'embarras des
langues, Montréal, Québec Amérique, 2007, p. 307.)
(41) Breffage (bref
+ age) n'est rien d'autre qu'un calque morphologique de l'anglais briefing,
avec en plus cette différence que le mot est motivé en anglais par l'existence
du verbe to brief, ce qui n'est pas le cas en français.
(42) Le Trésor de la
langue française informatisé (TLF), le site du Centre national de
ressources textuelles et lexicales, qui met aussi en ligne le TLF et la
base Frantext, Le Larousse, Le Grand Robert, Le Petit
Robert…
(43) Louis-Alexandre
Bélisle, Dictionnaire général de la langue française au Canada, Québec,
Bélisle éditeur, 1944.
(44) Marie-Éva De
Villers, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec
Amérique, nombreuses éditions.
(45) Claude Poirier, « Usito :
Un pas en avant, un pas en arrière. Analyse du dictionnaire de l’Équipe FRANQUS
un an après sa mise en ligne », 2014. Consultable en ligne sur les
site du Trésor de la langue française au Québec. http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
…
· Je signale les nombreux
billets consacrés par Jacques Maurais au dictionnaire Usito sur son blog Linguistiquement correct : http://linguistiquement-correct.blogspot.com/.
En voici quelques-uns :
- La chaise-Dieu [sur le vocabulaire
religieux dans Usito].
- De la prétention de
décrire l'usage du français au Québec.
- En deçà des
promesses 7.
- En deçà des
promesses 8.
Pour le patrimoine
québécois, vous pourrez repasser.
· Je signale aussi la
critique d'Usito par Claude Poirier, ancien directeur du Trésor de la
langue française au Québec, en ligne sur le site du TLFQ : http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
Malgré des prémisses
différentes, les critiques sont globalement convergentes.
…
Cet article rend compte de l'état d'Usito en date du 1er novembre 2019.
...
Cet article rend compte de l'état d'Usito en date du 1er novembre 2019.
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Mots-clés : langue
française; français québécois; dictionnaire; Usito; Trésor de la langue
française; ATILF; Le Petit Robert;
endogénisme linguistique; nationalisme linguistique.
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