01 novembre 2019

Le dictionnaire québécois Usito, histoire d'un échec annoncé (1/2).



Usito n'a pas atteint l'objectif prévu au départ. L'écart au but est considérable. On ne peut pas le considérer comme un dictionnaire général et complet du français québécois. Censé se libérer de l'impérialisme des dictionnaires parisiens, en fait il reprend des pans entiers des articles du Trésor de la langue française (TLF), le meilleur des dictionnaires faits en France. Certes, pour se protéger contre d'éventuelles accusations de plagiat, Usito prévient qu'il a passé un accord avec les Français et utilisé « certaines définitions, certaines étymologies, certaines citations » du TLF et de Frantext. C'est difficilement conciliable avec l'autre affirmation, selon laquelle il serait « entièrement conçu et réalisé au Québec ». Il reconnaît aussi sa dette vis-à-vis du Trésor de la langue française au Québec et du Grand Dictionnaire terminologique, mais pas des autres ouvrages qu'il a utilisés comme le Dictionnaire québécois-français. C'est habile. Ce faisant, d'un côté, il désire se protéger contre toute accusation de plagiat; d'un autre, contre tout reproche de ne pas avoir produit, comme promis, un dictionnaire 100 % québécois. Mais ce mot « certaines » est clairement bien en deçà de la réalité (sauf pour les citations, puisqu'il a banni presque tous les écrivains français). C'est un euphémisme. L'ampleur des emprunts d'Usito au TLF dépasse, et de beaucoup, ces déclarations jésuitiques. S'il n'y a pas plagiat, puisqu'il y a accord, il y a recopiage. À la fin des articles, une icône TLFi, - très discrète -, nous informe : « Dans le cadre de cette collaboration scientifique [avec le Centre national de la recherche scientifique, l’ATILF et le Trésor de la langue française], l'équipe FRANQUS peut s'appuyer : sur des définitions du Trésor de la langue française concernant les mots ou sens très généraux de la francophonie, ne comportant pas de spécificité québécoise; sur la partie étymologique du Trésor de la langue française; sur des citations issues de Frantext pour les auteurs littéraires français. » Toujours ce flou. Quand c'est flou, c'est qu'il y a un loup, dit la sagesse populaire. Pour s'appuyer, certes il s'appuie, et même lourdement. Usito, qui devait libérer la lexicographie québécoise du colonialisme dictionnairique français, a fait la preuve qu'il n'a pas pu se passer d'utiliser massivement les travaux des lexicographes français.
Depuis le 3 octobre 2019, le dictionnaire québécois Usito est consultable en ligne gratuitement. Gratuitement, c'est la moindre des choses, vu qu'il a été généreusement subventionné par les contribuables québécois. Sans qu'ils le sachent, il leur a couté plusieurs millions de dollars. Au bas mot, 8 millions. La page d'accueil du site nous apprend qu'Usito a été « entièrement conçu et réalisé au Québec » (1), qu'il « est le premier dictionnaire électronique à décrire le français standard en usage au Québec ». Usito, usage… : On s'attend donc à ce que les usages réels du français québécois soient pleinement décrits dans ce dictionnaire. Nous verrons que c'est loin d'être le cas. Elle annonce aussi qu'Usito est « un dictionnaire conçu au Québec pour tous les francophones et francophiles intéressés par une description ouverte du français. » Un dictionnaire pour tous les francophones et les francophiles ? Voyons ce qu'il en est.
Un dictionnaire loin d'avoir atteint les objectifs du projet de départ.
Le dictionnaire Usito est le résultat du projet Franqus (Français standard en usage au Québec). Ce projet a été rédigé à partir du milieu des années 1990 par deux linguistes de l'Université de Sherbrooke, deux linguistes qui se situent dans la mouvance « endogéniste (2) ». Cette mouvance considère que le français des Québécois est une langue autonome, homogène, possédant tous les niveaux de langue (3) et sa propre norme (une norme endogène), le français québécois standard, différent du français international ou du français de référence (le français des dictionnaires comme Le Petit Larousse ou Le Petit Robert) (4). À leurs yeux, les dictionnaires de français rédigés en France ne correspondent ni à la réalité des Québécois, ni à leurs valeurs (sic), ni à leurs besoins.
Le projet ambitionnait de produire un dictionnaire entièrement nouveau : 1) sur la base d'un corpus de textes québécois, 2) décrivant tous les termes en usage au Québec et toutes leurs acceptions (leurs sens), 3) en les « hiérarchisant » par des marques d'usage, 4) en les illustrant d'exemples québécois (littérature, presse).
Il considérait que les particularismes québécois critiqués, voire condamnés relevaient simplement d'un niveau de langue, le niveau familier, et qu'il fallait les incorporer dans un seul dictionnaire, décrivant tous les usages québécois (y compris ceux généralement condamnés comme certains anglicismes).
Les critiques de ce projet (Diane Lamonde (5), Lionel Meney (6) et d'autres) considéraient qu'on ne pouvait pas décrire dans un seul et même dictionnaire tous les usages québécois, que les québécismes - critiqués ou non - relevaient non pas d'un simple niveau de langue dans le cadre d'un système linguistique autonome et homogène, mais d'une autre variété de langue, qu'il n'y avait pas au Québec une seule langue, un français québécois standard avec un niveau familier, mais deux variétés d'une même langue, un français vernaculaire québécois et le français international, que ces deux variétés coexistaient et se faisaient concurrence sur le marché linguistique québécois, bref que le Québec vivait une situation de diglossie, plus précisément d'endoglossie (7). Il était donc de mauvaise méthode de vouloir décrire ensemble ces deux variétés dans un même dictionnaire. Plutôt que de tenter de rédiger un utopique  dictionnaire général et complet du français québécois, il valait mieux s'orienter vers la rédaction de dictionnaires adaptés et de dictionnaires différentiels.
L'expérience malheureuse du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (8),  qui avait soulevé contre lui une levée de bouclier parce que, justement, il mêlait dans un même ouvrage des mots du français standard international et des mots du français québécois, sans les distinguer, même ceux considérés comme relevant du joual, en avait apporté la preuve.
Les auteurs d'Usito ont d'ailleurs tenu compte, du moins en partie, de l'aventure du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui. Traumatisés par l'échec de ce dictionnaire, ils se sont sans cesse efforcés de s'en dissocier, en considérant, par exemple, que le lecteur avait le droit de savoir par des marques d'usage si tel mot était un québécisme ou un « francisme (9) ». Par ailleurs, ils ont renoncé à publier une version papier de leur dictionnaire, sachant qu'il est beaucoup plus facile de critiquer une telle version qu'une version électronique. Sans compter qu'on peut comptabiliser les ventes d'un dictionnaire papier québécois et les comparer avec celles de ses concurrents européens (Le Petit Larousse, Le Petit Robert) (10). En réalité, au résultat, comme il fallait s'y attendre, Usito ne correspond pas au projet endogéniste de départ sur plusieurs points essentiels, à savoir :
1)   Ce dictionnaire n'a pas été rédigé sur la seule base d'un corpus de textes québécois.
2)   Sa nomenclature (ou macrostructure, c'est-à-dire la liste des termes traités) du français international commun aux Français et aux Québécois reprend celle des dictionnaires français de France (le Trésor de la langue française (11) et Le Petit Robert en particulier).
3)   La structure des articles (ou microstructure) reprend celle de ces mêmes dictionnaires français de France. Les citations françaises sont en général supprimées. Des articles dépecés, il ne reste que le squelette agrémenté de syntagmes inventoriés par les dictionnaires français (certains syntagmes sont même tirés des citations françaises supprimées). Comparez, par exemple, le traitement de résidence dans Le Petit Larousse ou Le Petit Robert et dans Usito. On y trouve la même microstructure, les mêmes acceptions, les mêmes définitions, à quelques mots près. En revanche, il n'y est pas fait mention de l'emploi particulier de résidence en usage courant au Québec dans le sens de maison, demeure, villa, pavillon, sous l'influence de l'anglais residence.
« Les services de sécurité incendie de La Malbaie ont reçu un appel pour une résidence qui est la proie des flammes. Le propriétaire de la résidence était absent lorsque l’incendie s’est déclaré. Personne n’est donc blessé. » (Le Charlevoisien, 16 octobre 2019).
4)   Ses définitions des termes du français international reprennent celles des dictionnaires français, en particulier celles du Trésor de la langue française (12).
5)   S'il a éliminé la plupart des citations d'auteurs français, celles qu'il a conservées proviennent de la base française Frantext (13).
6)   Il est loin de décrire tous les québécismes. On note de nombreuses lacunes dans la nomenclature, en particulier – et c'est presque systématique - parmi les emprunts de mots à l'anglais (par exemple le vocabulaire de l'automobile), mais pas seulement.
7)   Les termes critiqués mais retenus, qui auraient dû être incorporés à la nomenclature et traités dans le corps des articles, étant considérés comme de simples différences de niveaux de langue, ont finalement été placés dans une rubrique spéciale, intitulée « Anglicisme critiqué », sorte de purgatoire pour mots pestiférés.
Dans ces cas-là, très nombreux, Usito quitte un traitement purement lexicographique, objectif et complet, des usages québécois pour des jugements de valeur subjectifs. On n'est plus dans la rédaction d'un dictionnaire général et complet de ces usages, mais dans celle d'un bon vieil ouvrage correctif, par ailleurs tant honni (14)…
Il y a pire encore, dans ces articles, le mot critiqué est souvent présenté sans exemples d'emploi. On les remplace par leurs équivalents standard ou censés tels… Curieuse exemplification en filigrane des usages de mots-zombies… Certainement une première mondiale en matière de lexicographie… Voici, par exemple, le traitement du mot chum, d'usage généralisé au Québec. Usito ne donne pas un seul exemple d'emploi de ce mot ; (pour l'illustrer ?), il donne seulement ceux de ses équivalents standard supposés (15). Supposés, parce toute personne ayant un tant soit peu connaissance du français québécois sent immédiatement la perte d'information dans le passage de chum à ami, à camarade, à conjoint et même à… cavalier (sic). Extrait d'Usito :
...
[chum [tʃɔm] n. inv. en genre et n. m.
· Q/C n. inv. en genre fam. L'emploi de chum est critiqué comme synonyme non standard de ami, camarade, copain.
Un bon ami, un grand copain, un vieux camarade. C'est ma grande amie, ma meilleure amie.
· Q/C fam. adjt L'emploi de chum est critiqué comme synonyme non standard de ami, camarade, copain.
Être ami avec qqn. Elles sont copines depuis 20 ans.
· Q/C n. m. fam. L'emploi de chum est critiqué comme synonyme non standard de ami de cœur, amoureux, cavalier, conjoint, copain, petit ami.
Elle sort toujours avec son premier amoureux.]
...
On se demande quelle est la logique d'Usito quand on découvre que le mot gang, lui, a droit au traitement exactement contraire, à toute une flopée d'exemples, dont voici quelques spécimens : « Une gang de gars, de filles; Une gang de touristes, Une gang de politiciens; Une gang de fédéralistes, de séparatistes; Une gang de crottés (16), de frustrés, de moutons; Quelle gang de cochons !; Être (tout) seul de sa gang; Sortir seul ou en gang; Toute la gang ; On était une bonne gang à attendre l’ouverture du magasin »… Il n'y a pas autant d'exemples de gang dans le dico (17) de Léandre Bergeron ! Mais, puisque Usito s'appuie sur des exemples bien de chez nous, on s'étonne qu'il n'ait pas illustré cet article en citant Daniel Boucher : « Heille! / Ma gang de malades /Vous êtes donc où ? ».  Une belle occasion ratée… Qu'on se le tienne donc pour dit : chum est un « anglicisme critiqué », pas gang (nom féminin, qui s'écrit même parfois gagne, précise Usito)… Sûreté du « jugement sociolinguistique » ! Dure dure, la lutte entre le sociolinguiste et le puriste !
Quand on se penche en détail sur ce dictionnaire, on découvre beaucoup d'omissions, d'incohérences (nous venons d'en voir une) ou d'erreurs. En voici quelques exemples (18) :
·      Nomenclature :
Comme je l'ai dit plus haut, beaucoup de termes d'origine anglaise d'usage courant en français québécois sont absents de la nomenclature d'Usito, alors que les concepteurs du dictionnaire avaient promis de décrire et de « hiérarchiser » tous les usages québécois. Pour des mots aussi courants (peu importe le jugement de valeur qu'on porte sur eux) que bumper, cap de roue, choke (et choker), il n'y a pas de « porte d'entrée » dans le dictionnaire. Si vous voulez savoir s'il y a, en français, d'autres mots pour désigner ces concepts, vous n'avez aucun moyen de le faire. Seuls ceux qui les connaissent peuvent consulter les articles pare-chocs, enjoliveur, étrangleur (équivalent peu usité de starter ou volet de starter, quand il s'agit du moteur à combustion, lui aussi condamné par Usito). Il y a pire, sous pare-chocs, enjoliveur ou étrangleur, il n'est pas fait mention des anglicismes correspondant, pourtant d'usage courant au Québec, et pas seulement dans les ateliers de mécanique (19). Et pire encore, le fait de ne pas avoir traité ces mots a pour conséquence que des mots aussi fréquents que les verbes bumper (« Elle s'est fait bumper ») ou choker (« Il a choké ») ne sont pas traités non plus. Les conséquences en chaîne ne s'arrêtent pas là. À l'article supplanter, équivalent « officiel » de bumper, il n'est pas fait allusion à bumper, même pour le critiquer, et il n'est pas dit que supplanter dans cette acception est un québécisme… Curieuse décision pour un dictionnaire censé décrire et hiérarchiser tous les usages !
« "On est sur les nerfs. Ce n'est pas évident", a commenté un membre du personnel qui craint pour son emploi. "Même les personnes qui ont un poste sont nerveuses, parce qu'elles ne savent pas si elles vont se faire bumper". » (La Tribune, 1er septembre 2014).
« Quand notre enfant se drogue et qu’il vit dans la rue, on ne parle pas de ça. Un jour, lors d’une conférence, j’ai "choké". Une dame m’a dit que mon fils devait être bien heureux d’avoir vécu […] une belle vie avec moi. Je lui ai répondu tout bonnement : "Pas tellement. Il vit dans la rue." » (Francine Ruel dans Le Soleil, 29 septembre 2019).
Ces lacunes dans la nomenclature ne concernent pas seulement ces mots-tabous que sont, même pour Usito, les mots anglais, cela touche aussi des termes français employés de manière particulière au Québec. C'est le cas de mettre à pied, qui s'emploie au Québec la plupart du temps là où ailleurs dans la Francophonie, on dirait licencier. Les verbes licencier, congédier, remercier sont traités sans qu'on signale leurs différences d'emploi, tandis qu'il n'y a pas de trace de mettre à pied, malgré la confusion fréquente ici entre licencier un travailleur (mettre définitivement fin à son contrat) et le mettre à pied (suspendre provisoirement son contrat). Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (20).
« Aucun employé d'OC Transpo [société municipale de transport par autobus] ne sera finalement mis à pied en raison de l'arrivée du train léger à Ottawa […]. Des compressions avaient déjà été annoncées, il y a deux ans, par le transporteur public. À l'époque, OC Transpo prévoyait abolir [c'est à dire supprimer] entre 500 et 600 postes en raison de la transition des autobus vers le train léger. La Ville avait annoncé en juillet la mise à pied de 345 employés d'OC Transpo. » (CBC/Radio Canada, 4 octobre 2019).
Il est clair, dans ce contexte, qu'il n'était pas question de mettre à pied des employés, mais de les licencier. Les utilisateurs d'Usito ne le sauront pas.
·      Catégories grammaticales
Les problèmes de genre et de nombre, fréquents en français québécois, sont traités d'une manière peu conséquente. Tantôt on s'appuie sur l'usage oral ou sur l'usage écrit, tantôt on lui préfère les prescriptions d'organismes de normalisation comme l'Office québécois de la langue française (OQLF) ou d'ouvrages correctifs, même si celles-ci sont critiquables.
- C'est le cas d'une série de mots terminés par une voyelle, dont des emprunts à l'anglais, comme aréna, marqué masculin, parce que cette forme a été officialisée par l'OQLF, et de party (21), marqué lui aussi masculin (et terme critiqué), et toute une série de noms de fromages en –a : feta, « généralement masculin », avec une subtile distinction pour mozzarella, qui serait féminin quand le produit est fabriqué en Italie et masculin quand il l'est en Amérique du Nord… Ce n'est pas si évident : dans la presse francophone canadienne (désormais PFC), au cours des 10 dernières années, le syntagme de la feta (féminin) représente 64 % des occurrences, du feta (masculin), 36 % (22).
- Les emprunts à l'anglais terminés par une consonne, féminin dans l'usage québécois dominant et masculin dans le reste de la Francophonie, sont traités différemment. Sandwich est marqué masculin; business, féminin ou masculin; job, féminin ou masculin (avec la mention « masculin en France », trop restrictive parce que le masculin s'emploie partout ailleurs dans la Francophonie, et donc féminin au Québec, ce qui n'est pas toujours le cas); toast (tranche de pain grillé), féminin au Québec (23) (avec la mention elle aussi trop restrictive « masculin en France »); van (ou vanne), féminin (pas de mention sur son genre ni sa prononciation ailleurs dans la Francophonie).
« Voir mes enfants courir et aller au jardin se chercher une tomate, pis aller se chercher deux tranches de pain, pis s’faire une sandwich toastée mayonnaise tomates... Je regarde ça, et je vois mon enfance. » (Céline Dion dans le Journal de Montréal, 19 septembre 2019).
- Sous autobus, en revanche, pas un mot sur son emploi courant au féminin à l'oral. Usito donne même comme exemple attendre le bus. Il n'a jamais entendu attendre la bus. Les mots anglais ont droit aux deux genres, pas les mots français…
« Anglicismes, syntaxe boiteuse, mauvaises conjugaisons et mauvais accords de genre, si j'aurais, toé pis moé, toute le monde, une autobus... La langue française passe un mauvais quart d'heure sur les ondes de la radio parlée de Québec » (Le Soleil, 4 janvier 2015).
- Sous chum, le mot est noté invariable en genre et nom masculin. C'est inexact. On l'emploie au masculin et au féminin. C'est un mot épicène.
« "Je fais une compétition avec ma chum. On pose avec les vedettes" », a indiqué en riant Vicky Dumulong, de Joliette. » (Le Journal de Québec, 14 septembre 2019).
- L'emploi courant de la série de noms de vêtements jeans, pantalons, shorts, employés au pluriel pour désigner un seul objet, est simplement noté « parfois critiqué ». En revanche, sous culotte, cette mention n'apparaît pas, comme si tout le monde au Québec disait mettre ses bobettes, mais mettre sa culotte, jamais mettre ses culottes (24) ! « Il faudrait que le ministre mette ses culottes  » : expression québécoise bien connue, sauf d'Usito. En revanche il consigne se faire prendre les culottes baissées sans signaler la variante les culottes à terre, ni qu'il s'agit d'un calque de l'anglais.
« Le fédéral a besoin de mettre ses culottes. On doit trouver des solutions. » (Metro, 15 octobre 2019).
On note aussi des problèmes de préposition.
- pare-chocs contre pare-chocs. Usito ne dit pas que, dans la majorité des cas, on entend et on lit pare-chocs à pare-chocs (dans 80 % des cas dans la PFC), ce qui représente un anglicisme de syntaxe, quand on ne dit pas carrément (à l'oral) bumper à bumper.
- Mettre la clé sous la porte. Usito ne signale pas l'emploi fréquent au Québec de mettre la clé dans la porte (dans 34 % des cas dans la PFC), qui correspond soit à une différence d'habitude, soit à une incompréhension de la situation… Usito ne signale pas non plus l'expression fautive chercher de midi à quatorze heures
·      Marques d'usage. On remarque :
- L'absence de la marque d'usage populaire (en abrégé pop.). Pourtant tous les dictionnaires l'utilisent. Elle aurait été bien utile aux auteurs d'Usito – certainement paralysés par le politiquement correct - qui ambitionnaient de décrire tous les usages québécois et de les « hiérarchiser (25) ». Selon le Dictionnaire de linguistique Larousse, le terme populaire « caractérise tout trait ou tout système linguistique exclu de l'usage des couches cultivées et qui […] se réfère aux particularités du parler utilisé dans les couches modestes de la population ». Selon Le Petit Robert, la marque « populaire qualifie un mot ou un sens courant dans des milieux populaires […], qui ne s'emploie pas dans un milieu social élevé. » Et ce dictionnaire de préciser un élément très important, qui a échappé aux auteurs d'Usito : « À distinguer de familier, qui concerne une situation de communication ». S'ils avaient tenu compte de cette distinction de base, cela leur aurait évité de faire de la marque familier un fourre-tout réunissant des mots vraiment familiers et d'autres en dehors du fameux français québécois standard.
- Le caractère arbitraire de la marque non standard. En réalité, il suffit qu'un mot soit un emprunt à l'anglais pour qu'Usito lui accole la marque non standard, peu importe qu'il soit rare ou fréquent, voire dominant dans l'usage réel. C'est le cas de week-end qualifié de « synonyme non standard de fin de semaine ». Or, l'usage réel de la PFC, au cours des 10 dernières années, montre qu'en fait il y a… deux usages. Fin de semaine (terme équivoque (26)) représente 51 % des occurrences, week-end, 49 %. Les deux termes sont donc aussi fréquents l'un que l'autre. Ici encore, Usito adopte un point de vue plus idéologique que lexicographique.
- Le caractère arbitraire et souvent erroné de la marque d'usage F/E (France/Europe). Cette marque, censée désigner des mots ou acceptions propres au français de France et d'Europe, est employée à tort et à travers. Elle remplace l'ancienne marque FF (pour « français de France ») qu'on trouvait, par exemple, dans le Dictionnaire du français québécois pour désigner ce qu'il appelait les « francismes ». En réalité, les véritables mots ou acceptions propres à la France sont plus rares que ne le pensent nos rédacteurs de dictionnaires. Le terme leur sert surtout à faire croire aux Québécois qu'il y a une sorte d'opposition dans la répartition des emplois entre le Québec et la France seulement (Québec vs France). En fait, cette répartition, ou cette opposition, dans l'immense majorité des cas, est une opposition Québec vs reste de la Francophonie. L'élargissement de la marque FF à l'ensemble de l'Europe francophone (F/E) ne change pas radicalement l'affaire (sans compter qu'elle fait bon marché des belgicismes et des helvétismes). Voici deux exemples d'inexactitudes dues à ce choix idéologique :
- gang « se prononce [gaɲ] et s'écrit parfois gagne au Québec », ce qui est exact, mais Usito se trompe quand il dit « En France, le mot se prononce [gɑ̃g]. » Ce n'est pas qu'en France, c'est partout dans tout le reste de la Francophonie hors Québec.
- job n'est pas masculin uniquement en F/E, comme le prétend Usito, mais dans tout le reste de la Francophonie hors Québec.
- myrtille, pour désigner le bleuet, n'est pas non plus spécifique au F/E, mais se dit dans tout le reste de la Francophonie hors Québec.
« Kénitra fait partie du plus grand bassin de production des fruits rouges qui occupent, dans la région de Rabat-Salé-Kénitra, une superficie de 4.329 ha, dont 2.633 ha de fraisier, 1.036 ha de myrtille, 620 ha de framboisier et 40 ha de baies de goji » (Le Matin, Casablanca, Maroc, 28 mars 2019).
- Le caractère parfois erroné de la marque d'usage Q/C (Québec/Canada). Exemple :
- « raquetteur Q/C adepte de la raquette comme sport d'hiver », selon Usito. Cette affirmation est inexacte, Le même mot s'emploie dans le même sens en « français d'Europe ». Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (27).
À l'heure d'Internet, alors qu'on peut vérifier instantanément l'existence d'un terme partout dans le monde (Émile Littré et Pierre Larousse n'avaient pas cette chance) grâce à des bases de textes comme Eureka.cc, il est inexcusable de laisser passer de telles erreurs.
- L'absence de marque d'usage Q/C :
- balance du pouvoir n'est pas marqué Q/C. Le commentaire « Dans les pays de tradition parlementaire britannique » laisse croire qu'on désigne ce phénomène par ce terme partout dans la Francophonie, ce qui est faux. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (28).
- « famille recomposée ou Q/C famille reconstituée (de l’anglais reconstituted family). » L'origine anglaise de la tournure québécoise et l'existence d'un équivalent standard exact n'ont pas été suffisantes pour la classer dans la rubrique « Anglicisme critiqué ». On peut donc l'employer sans souci… Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (29).
- Les calques et les emprunts de sens ne sont pas traités aussi sévèrement que les emprunts de mots.
- sécuritaire au sens de sûr n'est pas marqué F/C, alors qu'il s'agit d'un québécisme (et d'un québécisme critiquable, même s'il a obtenu la bénédiction de l'OQLF). Il y a pis encore, l'article renvoie à sûr comme synonyme de sécuritaire et laisse entendre, par les exemples qu'il donne, qu'un « quartier sûr » et un « quartier sécuritaire », c'est la même chose, ou qu'on peut dire indifféremment « mettre en lieu sûr » et « mettre en lieu sécuritaire » (?)… Dans la PFC, lieu sécuritaire ne représente pas 1 % des occurrences, lieu sûr, plus de 99 %. Les usagers de la langue, eux, ont compris que ce n'est pas la même chose. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (30).
- Caractère erroné de la marque d'usage familier pour beaucoup de mots québécois :
- des mots comme balayeuse, poêle ou vidanges, dans leur acception courante au Québec, sont marqués Q/C familier et accompagnés de la remarque « parfois critiqué comme synonyme non standard d'aspirateur, de cuisinière, de déchets, d'ordures ». On a là un exemple du caractère arbitraire de l'application des marques d'usage du français standard international à des mots du français vernaculaire québécois. Croyez-vous un instant que les Québécoises et les Québécois, qui emploient ces mots tous les jours, aient voulu utiliser consciemment des termes de niveau familier ? Ma cuisinière neutre vs mon poêle fam., mon aspirateur neutre vs ma balayeuse fam., mes ordures neutre vs mes vidanges fam. comme ma voiture neutre vs ma bagnole fam?  Absolument pas. Ils emploient normalement, et sans états d'âme, les termes neutres de leur système linguistique. On voit à quelles absurdités conduit le refus de prendre en compte la situation de diglossie, la volonté de décrire dans un seul dictionnaire tous les usages québécois et de juger tous les « québécismes » à l'aune du français standard international.
- Caractère insuffisant de la marque « parfois critiqué » :
Curieusement, Usito, qui se veut un dictionnaire du français standard québécois, apparaît très timoré quand il s'agit de séparer le bon grain de l'ivraie. Il ne tranche pas, il ne condamne pas, il garde ses distances par rapport au « jugement sociolinguistique » des Québécois. On a vu des endogénistes plus hardis. Il ne fait qu'informer - au cas où -, s'en tenant à la mention « parfois critiqué »Critiqué, pas Condamné. Critiqué, adouci par parfois. Intéressant ce parfois : sur quoi se fonde-t-il ?
- « frapper un mur : l’emploi de l'expression frapper un mur (to hit a wall) est parfois critiqué comme synonyme non standard de se heurter à un mur ». Conclusion : on ne risque pas grand-chose à l'employer (31).
- balance du pouvoir : Ce calque de l'anglais balance of power n'a même pas droit à ce parfois critiqué. On peut donc l'employer sans souci…
- bénéfice dans la série soirée-bénéfice, souper-bénéfice, etc. n'est pas marqué calque de l'anglais (benefit-dinner, etc.), donc encore un calque de l'anglais (jamais critiqué ?) qui serait du français québécois standard. Usito, censé s'adresser à tous les « francophones et francophiles », ne fournit pas l'équivalent standard international, à savoir soirée caritative. À caritatif aucun signe non plus de côté-là. Les Québécois n'ont pas besoin de savoir… Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (32).
·      Acceptions québécoise absentes
On note l'absence d'acceptions québécoises courantes. En voici quelques exemples parmi bien d'autres :
- bord au sens québécois de côté, de direction. À part l'expression prendre le bord, qui est traitée, on s'étonne de l'absence d'expressions aussi courantes que de bord en bord ou de tous bords de tous côtés.
- cueillette (calque de sens de l'anglais pickup). Si cueillette des ordures ménagères et cueillette des données sont traités, on ne parle pas de cueillette des marchandises, pourtant courant (Ikea avait naguère encore un centre de cueillette à Québec, c'est-à-dire un point de retrait. On n'y cueillait pas des fleurs, des cerises, des pommes, etc., mais des fauteuils, des lampes, des matelas, etc.). Cet emploi a échappé à Usito. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (33).
- ramasser, ramassage (des marchandises). Cet emploi, présent sur des panneaux dans tous les grands magasins du Québec, correspond à ce qu'on désigne ailleurs dans la Francophonie par les mots retirer et retrait (retrait des marchandises). Il n'est pas connu d'Usito. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (34).
- matériel. Les sens courants de tissu (anglicisme sémantique) et de matériaux, matière (idem, pour un auteur-compositeur-interprète, etc., en anglais text written for a specific purpose) ne sont pas mentionnés dans Usito.
« "Ce sont de nouvelles chansons. Je suis content, ça faisait longtemps que je n'avais pas fait du nouveau matériel. Je suis très heureux de l'album, les chansons sont très bonnes", a affirmé Paul Daraîche. » (Beauce Média, 17 octobre 2018).
- signaler (un numéro de téléphone) dans le sens de composer n'est pas mentionné.
·      Équivalents « standard » absents ou inexacts ou sans diffusion.
- surprise-partie : « L'emploi de surprise-partie est parfois critiqué comme synonyme non standard de fête-surprise. Cet équivalent est peu attesté dans l'usage. » Un équivalent sans existence réelle, alors pourquoi signaler ce mot ?
- balance du pouvoir : Usito ne connaît pas d'équivalent standard et pourtant il y en a (voir dans mon blog).
- circulaire est classé correctement dans la rubrique « Anglicisme critiqué dans le sens de cahier publicitaire, feuillet publicitaire, prospectus. » En réalité, aucun de ces termes n'est l'équivalent exact de circular dans ce contexte commercial. C'est catalogue. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (35).
- fake news est critiqué comme « synonyme non standard de fausse nouvelle ». Cet équivalent équivoque est contestable. Usito ne donne pas les autres équivalents : fausse information, fausse info, ni surtout infox, plus exact. Dans la PFC, on relève fausse nouvelle, 42 % des occurrences; fausse information, 33 %; fake news, 25 %. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (36).
- monoparental : Usito dit bien que « l'adjectif monoparental se dit d'une famille, mais non d'une personne », mais ne dit pas explicitement qu'une « mère de famille monoparentale » n'est pas une « mère monoparentale » (usage dominant au Québec), mais une « mère célibataire » ou une « mère seule ». Or, dans la PFC, le syntagme « mère monoparentale » représente 70 % des occurrences; la forme standard, « mère célibataire », 21 % seulement; « mère seule » est très rare (moins de 1 %). De quoi se poser des questions sur la vraie nature du français québécois standard. Dans ce cas, est-ce « mère célibataire » ou « mère monoparentale » ? Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (37).
- navet, défini comme nom usuel du rutabaga et marqué seulement parfois critiqué, me donne l'occasion de signaler les problèmes que pose la dénomination de certains fruits et légumes en français québécois. Pour plus de détails, voir mon billet dans ce blog (38).
- rectitude politique F/C : Il n'est pas fait mention que rectitude politique ne couvre que l'aspect positif de cette attitude, mais pas l'aspect négatif, excessif. Les autres équivalents, le politiquement correct (syntagme adjectival employé comme nom), la bien-pensance, etc., n'intéressent pas Usito.
- vente de garage : Usito affirme « On emploie vente-débarras au Québec et vide-grenier(s) en France ». En réalité, vide-grenier(s) n'est pas l'équivalent tout à fait exact de vente de garage. Un vide-grenier(s) est une activité collective (39), une vente de garage est le fait d'un particulier. Par ailleurs, en Europe francophone, on emploie, selon le contexte, les expressions vide-maison, vide-appartement, vide-garage, vide-dressing, etc. Au Québec, vide-garage remplacerait donc avantageusement vente de garage. Les « francophones et les francophiles » non québécois sont souvent étonnés par le nombre de garages qui se vendent au Québec…
- Vente de trottoir. Cette expression pose encore à plus de problèmes de compréhension à ces « francophones et francophiles » que vente de garage… Qu'on vende des garages, soit, mais des trottoirs… Usito ne donne que l'équivalent proposé par l'OQLF, vente-débarras, qui n'est pas très bon, d'abord parce que c'est une création inutile, ensuite parce qu'il n'évoque pas ce qu'est une vente de trottoir. Il aurait dû mentionner l'équivalent F/E, déballage.
·      Exemples
Dans le projet d'origine, le dictionnaire général et complet du français québécois devait s'appuyer sur un vaste corpus d'exemples d'auteurs québécois. C'était logique. Malheureusement, comme l'a fait remarquer Jean-Claude Corbeil (40), il est difficile de trouver des auteurs québécois qui écrivent en français québécois standard. On trouve toujours chez les Michel Tremblay et autres auteurs québécois des « scories » gênantes sous forme de mots non linguistiquement corrects. C'est pourquoi les exemples retenus sont en général d'une platitude navrante. À l'article ramasser, un exemple de Jean-Paul Sartre cité par le TLF est remplacé par cet exemple d'Alice Parizeau : « Il faut qu'on ramasse les salades et les navets et qu'on les livre aujourd'hui même à la coopérative ». Le Québec serait la seule nation qui ne pourrait décrire sa langue standard sur la base des écrits de ses écrivains… Cela devrait faire réfléchir sur la nature du marché linguistique québécois.
·      Purisme
On l'aura compris, malgré sa volonté de décrire tous les usages québécois, quitte à les « hiérarchiser », Usito n'a pas échappé au péché mignon des auteurs d'ouvrages correctifs, le purisme. Ce purisme fait condamner des mots d'usage courant et mettre en avant des créations sans réelle diffusion. Parfois cela mène à un cul-de-sac comme le montre l'exemple de briefing. Ce nom, attesté en français depuis 1945, est placé dans la rubrique Anglicisme critiqué et qualifié de non standard. Selon Usito, le mot « standard », bien français, serait breffage (41). Un petit sondage dans la base Eureka.cc montre que briefing est employé dans la PFC dans 71 % des cas, breffage, dans 28 %. Quel est le véritable mot standard ? Si l'on consulte le verbe briefer, on apprend que ce mot est critiqué comme non standard et que les équivalents sont « donner des consignes, informer, instruire, mettre au courant ». Mais on ne trouve pas trace dans Usito de breffer, la forme verbale attendue, et pour cause, quand on consulte Eureka.cc, on découvre que ce mot n'apparaît que dans 31 documents de la PFC au cours des 10 dernières années. Une misère ! Comme c'était prévisible, debriefer est classé « anglicisme critiqué ». Il aurait ses équivalents exacts en « faire le bilan, faire le compte rendu » et « interroger quelqu'un, questionner une personne ». Comme c'est bête, le français avait le moyen de désigner ces concepts, et on ne le savait même pas ! Remarquez, on ne nous parle pas d'un quelconque débreffer. Effectivement dans Eureka.cc ce mot n'apparaît que 16 fois pour les 10 dernières années. Cela n'empêche pas Usito de donner débreffage comme équivalent standard de débriefing. Or, dans Eureka.cc, débreffage n'est employé que dans 17 % des cas (encore un mot confidentiel), alors que debriefing l'est dans 82 %.
Résumons, si je veux « bien parler ou bien écrire », disons en français québécois standard, selon Usito, je dois employer le nom breffage, au lieu de briefing, ou les verbes donner des consignes ou informer ou instruire, au lieu de briefer. De même je dois dire débreffage, au lieu de debriefing, mais faire le bilan ou interroger quelqu'un, au lieu de débriefer. Pas facile. Breffage et débreffage sont des déverbaux… pratiquement sans verbe correspondant. Tout francophone, un peu sensible aux différences de situations de communication, comprend que ça ne marche pas. Il y a compte rendu et compte rendu (un débriefing est un compte rendu de mission), de même qu'il y a interrogatoire et interrogatoire (un débriefing est l'interrogatoire d'un otage). Ce genre de parti-pris idéologique mène au flou, à l'à-peu-près, à l'impropriété ou au barbarisme.
Cela pose la question fondamentale de savoir ce qui définit une forme standard pour Usito. Normalement, pour toutes les langues, ce doit être l'usage dominant. Or, on voit bien qu'Usito, trop souvent, ne tient pas compte de l'usage dominant quand il ne lui plaît pas. Des critères idéologiques interviennent à tort et à travers en vue d'orienter l'usage dans le sens des convictions de leurs auteurs.
En conclusion, que vaut le dictionnaire Usito ?
Pour la partie français international, il ne présente pas d'intérêt. On n'y trouve que les squelettes des ouvrages de référence français, avec une nomenclature réduite dans le nombre de ses acceptions et expurgé des citations d'auteurs français. Les ouvrages papier bien connus le surpassent, et de loin, et il y a sur Internet d'autres dictionnaires en ligne plus complets, plus sérieux (42).
Pour la partie québécoise, on ne trouve pas tous les termes ni toutes les acceptions, encore moins tous les usages du français d'ici. La nomenclature est étonnamment lacunaire. Usito n'a pas réussi à tenir la gageure de rédiger un dictionnaire général et complet du français québécois. Il s'est heurté aux obstacles insurmontables de la nature même du marché linguistique québécois. Comme c'était prévisible, il n'a pas réussi à traiter dans un même article pour un même signifiant tous les signifiés du français international et tous ceux du français québécois. Les termes « critiqués » ou « parfois critiqués » sont en général sortis du corps de l'article pour être traités dans une rubrique à part. Cet ouvrage, qui devait représenter les usages réels du français québécois, s'est transformé tantôt en dictionnaire différentiel, tantôt en dictionnaire correctif avec sa longue liste de termes critiqués et ses icônes de mise en garde. Longue tradition au Québec depuis le Bélisle (43) jusqu'au Multidictionnaire (44). On n'y trouvera donc pas une description fidèle de ce qu'est réellement le français québécois. Qui voudra lire les principales œuvres du patrimoine littéraire québécois n'y trouvera pas ce qu'on est en droit de savoir de sa littérature et de ses mots.
En conclusion, je ne peux que citer l'opinion de l'ancien directeur du Trésor de la langue française au Québec, Claude Poirier : « Les diverses observations qui précèdent, dit-il,  m’amènent finalement à conclure que, dans l’état actuel des choses, on ne peut pas se passer complètement de ces derniers [les dictionnaires français de France] non seulement pour une connaissance approfondie du français, mais même pour les québécismes (45). »
Mots-clés : français international; français québécois; lexicographie; dictionnaire; diglossie; niveau de langue; Usito.
Notes
(2) Pour cette notion, voir Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Endog%C3%A9nisme.
(3) Traditionnellement, on distingue les niveaux soutenu, neutre ou courant, familier, vulgaire et populaire.
(4) Ces idées sont développées dans les publications suivantes : Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel, La qualité de la langue au Québec, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1995; Pierre Martel et Hélène Cajolet-Laganière, Le français québécois. Usage, standard et aménagement, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, 1996.
(5) Voir Diane Lamonde, Le Maquignon et son joual. L'aménagement du français québécois, Montréal, Liber, 1998 et Anatomie d'un joual de parade. Le bon français d'ici par l'exemple, Montréal, Varia, 2004.
(6) Voir Lionel Meney, Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec, Montréal, Liber, 2010 et Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017.
(7) Endoglossie : diglossie constituée de deux variétés d'une même langue. J'ai décrit dans le détail le fonctionnement de ce marché dans Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017.
(8) Dictionnaire québécois d'aujourd'hui, rédaction dirigée par Jean-Claude Boulanger, supervisée par Alain Rey, Montréal, Dicorobert, 1992.
(9) Terme propre au français de France.
(10) Malgré ce qu'on en dit, les éditions papier se vendent toujours très bien. Bon an mal an, Le Petit Larousse se vend à 800 000 exemplaires dans le monde, Le Petit Robert, à 200 000.
(11) Trésor de la langue française. Dictionnaire de la langue du XIXe et du XXe siècles, sous la direction de Paul Imbs, puis de Bernard Quemada, Paris, Centre national de la recherche scientifique, 1971-1990, 16 tomes. Ce dictionnaire est consultable en ligne à l'adresse : http://atilf.atilf.fr/.
(12) L'équipe de rédaction d'Usito déclare avoir passé un accord avec l'ATILF, une unité de recherche du Centre national de la recherche scientifique français, lui permettant d'exploiter « certaines définitions et rubriques étymologiques du Trésor de la langue française informatisé ». Ce que représente l'adjectif certaines n'est pas précisé dans la présentation d'Usito. Une étude du dictionnaire montre que ses auteurs ont utilisé bien plus que « certaines définitions » du TLF.
(13) Frantext est le nom d’une base de données française de textes français (textes littéraires, philosophiques, scientifiques et techniques) créée en vue de la rédaction du TLF (voir ci-dessus). L'équipe d'Usito déclare avoir passé un accord lui permettant d'exploiter cette base « pour certaines citations d’auteurs français ». Toujours et encore « certaines »…
(14) À ce propos, l'ancien directeur du Trésor de la langue française au Québec, Claude Poirier, interroge : « Comment un grand dictionnaire, qui s’est donné pour mission de proposer une représentation québécoise de la langue française, pourrait-il occulter cette  dimension de l’identité collective [les anglicismes] ? », « Usito : Un pas en avant, un pas en arrière. Analyse du dictionnaire de l’Équipe FRANQUS un an après sa mise en ligne. ». Texte consultable en ligne sur le site du Trésor de la langue française au Québec. http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
(15) Même traitement pour fun, job, party, patch.
(16) Exemple de lacune, ce québécisme courant n'est pas traité par Usito.
(17) Léandre Bergeron, Dictionnaire de la langue québécoise, Montréal, VLB éditeur, 1980 [réédition Montréal, Typo, 1997].
(18) Dans le cadre de cet article, il n'est pas possible de faire un relevé systématique et complet des points critiquables d'Usito. Il y en a trop. Je m'en tiendrai à quelques exemples éclairants. Ils correspondent à l'état d'Usito au 15 octobre 2019. Depuis il est possible que certains exemples aient été modifiés. Cela ne change rien à l'affaire.
(19) Voir à ce sujet l'étude instructive de Jacques Maurais, Le vocabulaire au travail. Le cas de la terminologie de l'automobile, Québec, Office québécois de la langue française, 2008 [consultable sur le site de l'OQLF].
(20) Doit-on dire mettre à pied, congédier ou licencier ? https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2014/02/doit-on-dire-mettre-pied-congedier-ou.html.
(21) Il y aurait beaucoup à dire sur les transcriptions phonétiques. La prononciation québécoise de party n'est pas notée. Les autres « francophones et francophiles » penseront naïvement qu'au pays de Québec, on prononce \paʁti\...
(22) Sondage effectué dans la base de textes Eureka.cc. Pour les 10 dernières années, Eureka.cc comprend 18 000 000 de documents (articles) de la presse francophone canadienne (PFC); 129 000 000 de la presse francophone européenne (PFE) (état à la mi-octobre 2019).
(23) À l'écrit, dans la PFC, au cours des 10 dernières années, on relève les deux genres.
(24) Dans la PFC, au cours des 10 dernières années, on ne relève que 3 cas d'emploi de mettre sa culotte au singulier. Il est alors question de culotte… d'incontinence. Tous les autres cas d'emploi sont au pluriel.
(25) Jean-Claude Corbeil distingue 4 niveaux de langue dans le parler des Québécois : langue soignée, langue familière, langue populaire et langue triviale (sic) (L'embarras des langues, Montréal, Québec Amérique, 2007, p. 320). La « langue triviale » est celle « des locuteurs les moins scolarisés, la plus éloignée de la norme standard ».
(26) Fin de semaine ou week-end ? Usito est encore à coté de la plaque.
(27) Le dictionnaire Usito est-il fiable ? L'exemple de raquetteur.
(29) Doit-on dire famille reconstituée ou famille recomposée ?
(30) Doit-on dire sécuritaire ou sûr ?
(31) Dans la PFC, au cours de 10 dernières années, frapper un mur représente 92 % des occurrences, se heurter à un mur, 8 %.
(32) Doit-on dire soirée-bénéfice ou soirée caritative ?
(33) Doit-on dire cueillir ou collecter ? cueillette ou collecte ?
(34) Doit-on dire ramasser, cueillir ou retirer ses achats ?
(35) Doit-on dire circulaire ou catalogue ?
(36) Comment traduire fake news ?
(37) Doit-on dire une « mère monoparentale » ou une « mère célibataire » ?
(38) De la dénomination de certains fruits et légumes au Québec.
(39) « Vide-greniers : rassemblement populaire au cours duquel des particuliers exposent les objets dont ils n'ont plus l'usage, afin de s'en départir en les vendant aux visiteurs » (Wikipédia).
(40) Jean-Claude Corbeil déplore que : « la référence aux textes littéraires comme critère de la norme québécoise est plus délicate ici qu'en France, à cause de l'existence de la littérature joualisante » (L'embarras des langues, Montréal, Québec Amérique, 2007,  p. 307.)
(41) Breffage (bref + age) n'est rien d'autre qu'un calque morphologique de l'anglais briefing, avec en plus cette différence que le mot est motivé en anglais par l'existence du verbe to brief, ce qui n'est pas le cas en français.
(42) Le Trésor de la langue française informatisé (TLF), le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales, qui met aussi en ligne le TLF et la base Frantext, Le Larousse, Le Grand Robert, Le Petit Robert
(43) Louis-Alexandre Bélisle, Dictionnaire général de la langue française au Canada, Québec, Bélisle éditeur, 1944.
(44) Marie-Éva De Villers, Multidictionnaire de la langue française, Montréal, Québec Amérique, nombreuses éditions.
(45) Claude Poirier, « Usito : Un pas en avant, un pas en arrière. Analyse du dictionnaire de l’Équipe FRANQUS un an après sa mise en ligne », 2014. Consultable en ligne sur les site du Trésor de la langue française au Québec. http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
·      Je signale les nombreux billets consacrés par Jacques Maurais au dictionnaire Usito sur son blog Linguistiquement correct : http://linguistiquement-correct.blogspot.com/. En voici quelques-uns :
- La chaise-Dieu [sur le vocabulaire religieux dans Usito].
- De la prétention de décrire l'usage du français au Québec.
- En deçà des promesses 7.
- En deçà des promesses 8.
Pour le patrimoine québécois, vous pourrez repasser.
·      Je signale aussi la critique d'Usito par Claude Poirier, ancien directeur du Trésor de la langue française au Québec, en ligne sur le site du TLFQ : http://www.tlfq.ulaval.ca/usito.asp.
Malgré des prémisses différentes, les critiques sont globalement convergentes.

Cet article rend compte de l'état d'Usito en date du 1er novembre 2019.
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Mots-clés : langue française; français québécois; dictionnaire; Usito; Trésor de la langue française; ATILF; Le Petit Robert; endogénisme linguistique; nationalisme linguistique. 

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