16 mars 2016

« Fin de semaine » ou « week-end » ? Usito est encore à côté de la plaque.

Dans sa lettre d'information du 10 février 2016, Usito, sous le titre « Le week-end français devient-il québécois ? », essaie de nous expliquer pourquoi on dit « week-end » en France et « fin de semaine » au Québec. Pour cela, il propose une explication alambiquée, qui passe à côté de la question :

« Pour les Français, la semaine normale comptait plutôt le dimanche de congé pour tous, le mercredi pour les enfants et le samedi après-midi pour certains. Quand on regroupait deux ou trois jours pour partir à la campagne ou ailleurs, on partait en week-end. Les mœurs ont changé, le mot est resté. » (Infolettre Usito
https://www.usito.com/nouvelles/#!/articles/2016-02-10_LeWeekEndFrançaisDevientIlQuébécois).

Visiblement Usito n'a pas compris pourquoi « week-end » a été choisi plutôt que « fin de semaine », mettant en avant des raisons socio-culturelles, alors qu'une explication strictement linguistique s'impose à l'évidence. Un peu d'observation et de réflexion permet de le comprendre aisément.

Comme souvent, il s'appuie sur les dictionnaires grand public français pour développer son explication. Cependant il ne semble pas avoir remarqué un élément très important noté par ces mêmes dictionnaires. En français de référence, le mot « semaine » a deux sens, un sens large et un sens étroit. Au sens large, il désigne une période de 7 jours allant du lundi au dimanche inclusivement. Au sens étroit, il désigne, par opposition au dimanche, traditionnellement férié dans les sociétés de culture chrétienne (pas seulement en France), la période couvrant les jours ouvrables, c'est-à-dire du lundi au samedi inclusivement. Cette semaine au sens étroit, qui comprend les jours ouvrables par opposition au jour férié, se subdivise en « début de semaine » (lundi et mardi), « milieu de semaine » (mercredi et jeudi) et « fin de semaine » (vendredi et samedi).

« Braderies et bonnes affaires au programme de la fin de semaine. Ça commencera vendredi matin, avec la braderie de fin d'hiver du Secours populaire. Puis, samedi matin, ce sera au tour des Amis du Grand Toukou avec leur traditionnelle braderie de printemps […]. Braderie du Secours populaire, vendredi et samedi, de 9 h 30 à 17 h 30. Braderie des Amis du Grand Toukou, samedi, de 8 à 18 heures. » (Le Progrès de Lyon, 16 mars 2016).

« Londres, 14 mars 2016 (AFP) - La Bourse de Londres a terminé lundi en hausse de 0,57 %, poursuivant sur l'élan impulsé en fin de semaine dernière par les mesures d'assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). » [La Bourse de Londres est ouverte tous les jours de la semaine, du lundi au vendredi].

Quand est apparue une nouvelle organisation du travail, venue de Grande-Bretagne, la « semaine anglaise », il a bien fallu nommer cette nouvelle partie de la semaine, partie fériée, couvrant le samedi et le dimanche. Le syntagme « fin de semaine » était déjà utilisé pour désigner la période de la semaine couvrant le vendredi et le samedi. Il n'était donc pas possible de l'utiliser dans un sens nouveau. Ce qui explique l'emprunt de « week-end », qui venait combler une lacune.

Usito se trompe donc quand il affirme que « week-end concurrence inutilement fin de semaine ». En français de référence, une « fin de semaine » (vendredi et samedi) et un « week-end » (samedi et dimanche), ce n'est pas la même chose. Gérard Dagenais, à la fin des années 1960, l'avait déjà signalé. Les deux termes ont leur propre signification et permettent d'éviter une confusion gênante. Faites bien attention, si un ami vous dit : « On se voit en fin de semaine ». Vous risquez de vous tromper de jours… Pour un francophone non québécois, ce sera un vendredi ou un samedi, pour un Québécois, un samedi ou un dimanche…

Maintenant si, pour désigner le samedi et le dimanche, les Français utilisent pratiquement toujours « week-end » et pratiquement jamais « fin de semaine », les Québécois, quant à eux, utilisent les deux mots. Un sondage fait en mars 2016 dans une base de textes regroupant pratiquement tous les journaux et magazines québécois (plus de 13 000 000 d'articles) indique que les Québécois utilisent « fin de semaine » (tous sens confondus) dans 53 % des cas et « week-end », dans 47 %. La concurrence (inutile?) est donc très serrée. Arrêtons d'affirmer que les Français disent « week-end » et les Québécois, « fin de semaine ». Il est plus juste de dire que les Français (et les autres francophones) disent « week-end »; les Québécois, « fin de semaine » ou « week-end », dans une proportion à peu près  égale.

sens
1
2
3
4
5
6
7
semaine 1
(sens large)
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
samedi
dimanche
semaine 2
(sens étroit)
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
samedi

subdivision de semaine 2
début de semaine
milieu de semaine
fin de semaine

semaine anglaise
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
week-end

Tableau : La semaine et ses subdivisions.

Mots-clés : langue française, dictionnaire, France, Québec, emprunt, anglicisme, fin de semaine, week-end, Usito.


2 commentaires:

  1. Merci pour ce très bon article. Comme souvent en sémantique tout est dans les détails ou nuances que l'étymologie nous permet d'éclairer.

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  2. Vous avez raison sur la forme, mais pas sur le fond. "On se retrouve en fin de semaine" n'est pas ma même chose que "On se retrouve fin de la semaine." C'est comme "Je touche en fin de mois", différent de "à la fin du mois."

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