De 1998 à 2019, Diane Lamonde (par la suite DL) a publié trois livres : Le Maquignon et son joual… (1) (par
la suite DL 1998), Anatomie d'un joual de parade… (2) (par la suite DL 2004) et Français
québécois… (3) (par la
suite DL 2019). Dans DL 2019,
elle critique ce qu'elle défendait dans DL 1998 et DL 2004. Pire,
parfois dans ce même DL 2019, d'une page à l'autre, elle se contredit
elle-même. C'est un véritable festival de volte-face qui n'apporte rien au débat
et décrédibilise son auteur. Plutôt que de renoter
pendant 8 ans des accusations outrancières sur ce qu'elle appelle mon « obsession
antinationaliste », elle aurait mieux fait de nous dire ce qu'elle propose
pour améliorer la qualité de la langue au Québec. Après des pages et des pages
de critiques tous azimuts, elle annonce qu'elle nous donnera la réponse dans
son dernier chapitre. Chapitre judicieusement intitulé « Rien n'est simple ».
Rien n'est simple en effet. On y apprend que personne dans l'élite québécoise
ne maîtrise la français standard international (4), qu'il y a des « fautes », des
« impropriétés », des « barbarismes ». Et puis c'est tout…
Circulez, y rien à voir. Pour le modèle, les mesures à prendre, on repassera.
…
Un titre trompeur
DL a
intitulé son dernier livre Français
québécois. La politisation du débat. À la lecture, on découvre qu'en
réalité il s'agit presque exclusivement d'une critique d'une partie d'un de mes
livres, - publié il y a 9 ans déjà -, Main
basse sur la langue (5).
À
part quelques digressions, au cours desquelles elle me range « par
association », - elle qui se plaint qu'on l'ait rangée « par
association » du côté des « antinationalistes » -, dans la même
catégorie « antinationaliste » qu'Annette Paquot et Monique Nemni.
Elle ignore visiblement que je ne partageais pas nombre d'idées avec ces deux
linguistes. Je n'ai jamais eu de contact avec la seconde, très engagée dans Cité libre. Quant à la première, qui fut
ma collègue pendant des années, si nous avions des points communs sur la norme
linguistique, nous avions aussi de profonds désaccords sur les droits
individuels ou collectifs des Québécois et la « question nationale ».
L'amalgame est un procédé courant sous la plume de DL.
À part aussi un autre
excursus, plus développé, où elle me reproche de ne pas avoir critiqué dans mes
publications le Multidictionnaire (6)
de Marie-Éva De Villers, prétendant que j'aurais voulu ainsi « ménager l'icône du bon parler (7) »,
voire « épargner » cette
auteur. (J'y reviendrai plus loin).
En
réalité, un titre plus exact de l'ouvrage aurait dû être L'obsession antinationaliste (8) de Lionel Meney à la lumière de Main basse sur la langue… Pas très
vendeur, bien sûr… Remarquez, je doute que, même avec son titre plus sexy, le livre ait fait un succès de
librairie…
Une bibliographie absente
On
remarque l'absence de toute bibliographie et pour cause, comme l'essentiel du
livre porte sur la critique d'un seul ouvrage, Main basse sur la langue, cela faisait un peu maigre comme
références. Exit donc l'essentiel de
l'environnement polémique du débat sur la norme linguistique. Reste
pratiquement le seul face-à-face avec Meney. Qui pis est, avec un seul de ses
livres, et pas le dernier. Comme si j'étais le premier et seul responsable de
la « politisation » du débat sur la norme linguistique… Comme si la
langue n'avait aucun rapport avec la politique… Comme si le choix d'une norme
n'était pas en soi une prise de position politique…
Une information incomplète
Il
est étonnant que DL ait pu écrire ce livre sans tenir compte de mon dernier
ouvrage Le français québécois entre réalité
et idéologie (9)
comme s'il n'existait pas, et, surtout, sans l'utiliser dans ses démonstrations. Dans
DL 2019, la seule mention de cet ouvrage apparaît dans une courte note au bas
de la page 233 (sur 236 que compte le livre !). On comprend que cette note
de dernière minute a pour seul objectif de tenter d'excuser l'auteur d'avoir
fait l'impasse sur ce livre, d'essayer d'éviter qu'on l'accuse de ne pas le
connaître (dans un jury, même de mémoire de maîtrise, une telle omission serait
rédhibitoire). La ficelle est un peu grosse. Elle se dédouane à bon compte en
expédiant la phrase suivante : « Le
linguiste reprend dans cet ouvrage l'essentiel des idées développées dans Main
basse… sur un ton nettement moins
polémique. »
C'est
tout ce que ses lecteurs - s'il y en a - sauront sur ce livre de 656 p., dans
lequel je ne fais pas que « reprendre » mes idées, mais au contraire
je les développe et les illustre en les appuyant sur des centaines d'exemples
concrets. Exemples gênants pour DL.
J'y
montre comment s'organise le marché linguistique québécois, comment s'exerce la
concurrence entre le français vernaculaire québécois et le français
international et quelles conséquences il faut en tirer pour le choix d'une
norme ou la rédaction d'un dictionnaire. Tout cela aurait dû intéresser DL
puisqu'elle prétend avoir été la première (du moins avant Jacques Maurais (10))
à parler de diglossie pour caractériser notre marché linguistique (elle aime
bien affirmer qu'elle a été la première à dire ceci et à dire cela). (J'y
reviendrai plus loin).
Elle
aurait appris aussi où je me situe vraiment par rapport à la norme linguistique,
car j'y analyse en détail les différentes positions sur la langue et la norme
ayant cours au Québec (11). Elle aurait aussi vu que la « politisation »
du débat remonte à beaucoup plus loin qu'elle ne l'imagine. Mais cela l'aurait
amenée à réviser ses affirmations alors que la rédaction de son livre - en gestation
depuis 8 ans - était trop avancée pour reculer…
Une thèse fantaisiste
Le
mot qui fâche est lancé : antinationalisme. Selon DL 2019, toutes mes prises de position dans le débat sur la
langue s'expliqueraient par une seule et unique raison : je serais animé
d'une « obsession antinationaliste (12) ». DL, quant à elle
se range donc du côté des « plus nationalistes », si l'on juge sur
ses paroles : « On peut
s'étonner que Lionel Meney ait consacré autant de pages à cette entreprise
navrante de diabolisation du nationalisme et de déstructuration de l'identité
québécoise [sic], au risque […] de braquer carrément les plus nationalistes
d'entre eux (13) ». Car
je l'ai « braquée », c'est évident… « Diabolisation du
nationalisme », « déstructuration de l'identité québécoise »,
diantre ! Quel pouvoir elle me prête… Mais, bien sûr, sa position à elle,
qui s'est donné comme mission de combattre mon « antinationalisme », est tout
sauf politique…
À
la lecture de DL 2019, je me suis rendu compte que je devais souffrir de
cécité. À longueur de pages, DL m'apprend que je n'avais pas vu ceci ni vu
cela, qui pourtant crevait les yeux… J'ai compris que DL, par contre, avait une
vue remarquable, qui lui permettait même de voir des choses qui n'existent pas…
DL a aussi une prodigieuse intuition grâce à laquelle, par exemple, elle peut affirmer
que je ne suis certainement pas « un
partisan de la social-démocratie (14) ». Pour un peu, elle
révélait ubi et orbi comment j'ai
voté aux referendums de 1980 et de 1995… DL a aussi l'art d'interpréter les
citations. D'une goutte, elle fait un gallon. Interprétations abusives ou
erronées, extrapolations, manipulations, insinuations, elle a plus d'une flèche
dans son carquois. Elle parle avec assurance d'événements dont visiblement elle
n'a pas eu une connaissance directe.
Oublié
le temps où nous partagions les mêmes idées sur le projet aménagiste, la
conception de la norme linguistique et la rédaction d'un dictionnaire général
du français québécois, où elle me demandait de lire son manuscrit, me
remerciait pour mes « précieux
conseils et mes non moins précieux encouragements »…
Il
est cruel, mais éclairant, de juxtaposer des citations d'elle d'hier et
d'aujourd'hui. Qu'est-ce qui peut bien expliquer de telles volte-face ?
Une découverte qui chamboule tout (à part la révélation de mon « antinationalisme
obsessionnel ») ? On se perd en conjectures. DL montre qu'elle est
gênée aux entournures (mais pas plus qu'il ne faut) et, pour se dédouaner à bon
compte, elle reconnaît : « Je
suis consciente de me livrer à un exercice périlleux. On pourra en effet penser
que j'ai changé de camp tant il m'a souvent fallu, pour faire pièce aux dérives
de l'argumentation antinationaliste et recentrer le débat sur la question
linguistique, défendre ceux que j'ai pourfendus dans mes essais précédents (15) ».
Elle n'a pas « changé de camp », dont acte… Mais je l'avoue, avant
son coming-out tardif, je n'avais pas
remarqué son combat intérieur ni sa souffrance. Encore une fois, pour DL la
question linguistique n'a rien à voir avec la question politique. Il faut les
tenir séparées. À l'entendre, elle n'aurait jamais critiqué le projet
aménagiste d'un point de vue politique, mais seulement linguistique. Nous ne
devons pas avoir la même définition du politique.
Parmi
les nombreuses volte-face faites par DL 2019 par rapport à DL 1998 et
à DL 2004, examinons les plus importantes, c'est-à-dire les plus
étonnantes, car elles concernent les questions fondamentales du débat sur la
norme au Québec.
Volte-face numéro 1 : Nationalisme
or not nationalisme ?
Petit
résumé chronologique :
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2019 :
DL me reproche ma critique du « nationalisme ».
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2004 :
DL critique le nationalisme du projet aménagiste de dictionnaire québécois.
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1998 :
DL critique le nationalisme ambiant, celui des milieux culturels et
d'enseignants, celui des linguistes endogénistes Jean-Denis Gendron,
Jean-Claude Corbeil, Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière, etc.
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Critiquant
mon « antinationalisme crispé (16) », DL 2019 se souvient-elle
de ce qu'elle disait du nationalisme des linguistes endogénistes (17) dans
DL 1998 ? Elle a opéré à ce sujet un U-turn spectaculaire, un virage à 180 degrés.
Relisons DL 1998. Elle y critique le nationalisme linguistique et culturel
ambiant; p. 30, elle cite un
extrait du Rapport des femmes
universitaires de Québec, présenté à la commission Parent en 1962, qui
déclare : « Par un souci de patriotisme
étriqué et mal compris […], on a voulu à tout prix rester dans le
contexte canadien. Ne traiter que la réalité canadienne, comme si la langue
française n'existait qu'au Canada ». Et DL 1998 de commenter : « Ne suffirait-il pas de remplacer patriotisme par nationalisme et canadien par québécois pour rendre compte de la réalité
d'aujourd'hui ? »; p. 25, elle critique l'Association québécoise
des professeurs de français dans ces termes : « l'AQPF, dont on sait qu'elle a bien souvent subordonné l'enseignement de
la langue et de la littérature à des considérations nationalistes »; p. 119, elle reprend à son
compte une citation de Jacques Pelletier, qui déclare « le nationalisme de Québec français est détestable »;
sur les colloques des linguistes
endogénistes : p. 149,
« il est vrai qu'à ces grands-messes
de la national-linguistique que sont ces colloques sur le français
québécois, les mécréants n'étant pas invités, on ne risque pas d'entendre un
couac dans le concerts des alléluias »; sur Jean-Denis Gendron, ancien président de la Commission d'enquête
sur la situation de la langue française et des droits linguistiques au Québec, p. 77 : « Gendron est invité dans tous les
colloques où son nationalisme grandiloquent rassure et fait contrepoids
à l'égalitarisme gauchisant des néo-joualisants avec qui il a contracté une
alliance contre-nature »; sur Pierre Martel, alors président du Conseil de la langue
française (CLF), elle écrit, p. 121 : « Il est remarquable que Pierre Martel […] ait accordé plus d'importance
à une résolution prise par une association d'enseignants [l'AQPF], dont à
peu près tout le monde s'entend pour dénoncer le nationalisme étriqué »; p. 185, elle va même jusqu'à porter
une accusation à peine voilée de racisme : « À moins que ces Normands ambivalents [que sont à ses
yeux les Québécois], comme ils rêvent
d'un Québec indépendant dans un Canada fort, ne conçoivent leur langue comme un
joual fringant, très à cheval sur la pureté de la race ! »; p. 194,
elle ironise sur le terme « Laurentie »,
affectionné des linguistes endogénistes… À de nombreuses reprises, elle se
moque de l'emploi fréquent par ces mêmes linguistes de l'adverbe ici (« la
réalité d'ici », « la
langue d'ici », « le bon
français d'ici », « la
pédagogie d'ici », etc.; p. 29, « Irène Belleau se fait lyrique pour exalter les vertus
enivrantes de l'ici »). N'en jetez plus, la cour est pleine ! DL
me reproche à longueur de pages mon « antinationalisme obsessionnel »,
alors qu'elle a consacré deux ouvrages à critiquer l'endogénisme dans le
domaine de la langue. Et c'est moi qu'elle accuse de politiser indument le
débat, pas les propagandistes de cette idéologie… Meney « politise »
le débat, DL le « recentre ». Nuance ! A-t-elle oublié ses propres écrits ?
Amnésie ou résipiscence ?
Volte-face numéro 2 : Francophobie or not francophobie ?
Petit
résumé chronologique :
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2019 :
DL me reproche d'avoir parler d'une « francophobie » qui, à ses
yeux, n'aurait pas existé.
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1998 :
DL critique la francophobie d'Henri Bourassa, des linguistes endogénistes, de
Léandre Bergeron, Gilles Bibeau, Pierre Martel, Hélène Cajolet-Laganière,
Jean-Claude Corbeil…
|
DL 2019 me reproche d'avoir
critiqué la francophobie des milieux endogénistes. Je cite : « La francophobie jouerait un rôle
obscur mais non négligeable, selon Meney, dans la volonté de définir une norme
québécoise (18) » Elle en nie l'existence. Il convient d'abord de
replacer mes propos dans leur contexte historique, ce que garde bien de faire
DL. Je parlais de la fin des années 60 et du début des années 70 (19). Ceux qui ont vécu cette époque et ses débats
s'en souviendront. DL 2019 a oublié ce qu'elle a écrit dans DL 1998
sur l'attitude des linguistes endogénistes vis-à-vis de la France et des
Français, de Paris et des Parisiens, de la bourgeoisie parisienne, de leur
impérialisme culturel et linguistique, de leur accent, de leur snobisme, de
leur laxisme, de leur anglomanie, de leurs dictionnaires, de leurs grammaires… Elle a même oublié ce que les
linguistes endogénistes disaient des Québécois partisans d'une norme
internationale, qu'ils traitaient régulièrement de « colonisés de l'intérieur »…
Relisons DL 1998. Elle dénonce à maintes
reprises la francophobie présente dans le débat sur la langue. Voici un petit
florilège de ses attaques. Sur Henri
Bourassa, p. 177 : « chez nous même, au début du siècle
déjà Henri Bourassa se réjouissait de notre "salutaire séparation de la
France impie, blasphématoire, et trop facilement accueillante de mots
anglais". » Sur les linguistes endogénistes et
l'ambiance générale de l'époque, p. 78 :
« Le sentiment d'"autonomie
linguistique" qui a brutalement freiné les progrès accomplis par la
Révolution tranquille en matière de langue n'aura jamais été qu'un amalgame de
romantisme linguistique et de francophobie frottée d'idéologie de la
décolonisation »; p. 50, « la supercherie
culmine quand on tente de nous persuader que, pour ce qui est de la
prononciation, si "le modèle [est] radio-canadien" il n'est
tout de même pas français !... En ressortant un vieux hochet de la
panoplie du parfait petit francophobe, le parler pointu »; Sur Pierre Martel, p. 49, elle critique le titre d'un des
chapitres d'une publication de cet auteur : « Non au français de France »; p. 178, « Il ne s'agit pas pour l'aménagiste [Pierre
Martel] d'expliquer, mais essentiellement de jouer le Québec contre la
France sur une des rares questions à propos desquelles il a quelque espoir
d'être pris au sérieux quand il affirme que les Québécois "ne veulent
pas parler comme les Français" »; p. 191, « Mais qu'à cela ne tienne, le président du CLF poursuit
opiniâtrement sa charge francophobe en s'attaquant au travail des
lexicographes français »; p. 193, « Depuis Léandre Bergeron, on n'était jamais allé aussi loin dans
la francophobie tous azimuts. Il faut vraiment faire un effort pour se
persuader que ce ramassis de clichés et d'affirmations gratuites est tiré d'un
avis du CLF » Sur Léandre
Bergeron, p. 196 : « "Le
Français emprunte très difficilement parce qu'il est pogné avec l'idée de
'pureté' de la langue". "Et il en souffre" d'ajouter Bergeron, francophobe
mais compatissant. », p. 69 :
« Sans doute faut-il […] voir à
l'œuvre, dans la pensée des deux hommes [Léandre Bergeron et Bruno Roy], ce
vieil esprit de ressentiment à l'égard de la France dont est si souvent
empreint les discours des défenseurs de la langue québécois. »; p. 81 :
« on s'en apercevra pour peu qu'on
sache lire la Charte de la langue québécoise en faisant abstraction de la
francophobie bête et méchante de l'auteur. »
DL
a aussi oublié avoir critiqué ceux qui parlent de l'« impérialisme » culturel et linguistique de la France.
Dans DL 1998, p. 69,
elle épingle Bruno Roy « qui disait
craindre qu'avec la réforme mise en œuvre au collégial l'enseignement de la
littérature québécoise ne soit "enveloppé par les anciennes odeurs
d'une littérature impériale française". »; p. 174 : « [Hélène Cajolet-Laganière ] cita ces deux fins observateurs
de nos pratiques langagières [deux Québécois parmi d'autres interrogés
par un sondeur sur la norme] sur le ton
parfaitement satisfait de celle qui assiste à l'affranchissement de ses
compatriotes à l'égard de l'impérialisme culturel de la France »; p. 154 : « Jean Claude Corbeil qui prétend sonner la récréation pour le locuteur
québécois enfin libéré des grammairiens du passé, veules courroies de
transmission de la "norme externe venue de France"».
Corollaire obligé de
l'impérialisme français chez les endogénistes, DL critique l'image du « colonisé de l'intérieur » accolée
à ceux qui prônent une norme internationale plutôt qu'une norme québécoise.
Dans DL 1998, on lit p. 130 : « notre aménagiste [Pierre Martel] revient
à ses bonnes vieilles méthodes et impute à une "certaine élite" -
entendons la francisée, la colonisée
de l'intérieur - l'insuccès de son
dictionnaire fétiche »; p. 154, elle fustige « Jean-Denis Gendron qui ne veut voir dans les campagne de bon
parler d'avant la Révolution tranquille qu'une "attitude
à-plat-ventriste" résultant d'une "perversion du jugement
sociolinguistique" ».
La
francophobie se manifeste aussi par le dénigrement
de la langue des Français, ce que DL ne manquait pas de critiquer. Elle
ironise, p. 102 : « [Pierre]
Martel consacrait plus de temps à dénigrer la langue qu'on parle en France,
affirmant que les Québécois "ne veulent pas parler […] comme les
Français (en parlant avec un accent pointu à la parisienne), en
utilisant leurs mots d'argot […] et leurs anglicismes",
qu'à expliquer ce qu'on recenserait dans un dictionnaire général du français
québécois ». Autre tarte à le crème des endogénistes, l'anglomanie des Français, argument
également critiqué par DL 1998, p. 161 : « Une
fois l'anglicisme québécois occulté sous un pudique voile de brume, on peut en
toute tranquillité s'adonner à la récitation des poncifs sur l'anglomanie
des Français, dont le québécisant trouve en toute circonstance à faire son
miel »; p. 189 « Pierre
Martel est cependant fort prolixe quand il s'agit d'entretenir le ministre de l'indécrottable
anglomanie des Français
DL 1998
avait également bien vu le bouquet final de ce feu d'artifice, à savoir la critique des dictionnaires « parisiens »;
p. 43 : « Gilles Bibeau n'est pas en reste. Les
dictionnaires français sont décrits par le professeur […] comme des
"instruments de domination culturelle, éducative et sociale", qui
servent à "étendre la culture laeticienne [sic]" »; p. 166, « afin, bien sûr, de leur éviter d'être
sournoisement anglicisés par les dictionnaires parisiens. »
Tout cela sous la plume
de DL 1998, alors que DL 2019 me reproche d'avoir parlé d'une
francophobie… qui n'existerait pas.
Volte-face numéro 3 : Critiquer
or not critiquer les endogénistes ?
Petit résumé chronologique :
|
2019 : DL me reproche
de ne pas avoir critiqué le Multidictionnaire
de Marie-Éva De Villers.
2019 : DL
me reproche d'avoir porté atteinte à la crédibilité des aménagistes, dont
Marie-Éva De Villers, en les critiquant.
2019 : DL critique à
nouveau le Multidictionnaire de
Marie-Éva De Villers.
|
2004 : DL critique la
langue des mêmes aménagistes et le Multidictionnaire
de Marie-Éva De Villers.
|
1998 : DL attaque le
projet de dictionnaire des mêmes aménagistes.
|
DL 2019 me reproche de
ne pas avoir critiqué le
Multidictionnaire de Marie-Éva De Villers. On croit rêver quand on a
lu plus haut dans ce même livre la citation suivante : « L'approche adoptée par Meney est non
seulement injuste, mais elle est également contre-productive. Il est en
effet risqué d'attaquer ainsi la crédibilité de linguistes dont bon nombre
jouissent d'une solide réputation auprès du grand public et des organismes
subventionnaires (20). Faut-il
rappeler que la mouvance aménagiste compte dans ses rangs l'auteure des
premières éditions du Français au bureau (21), l'auteure du Multidictionnaire (22) et l'auteur du Dictionnaire visuel (23) ». Ce qui ne la
gêne pas d'avoir proclamé : « Anatomie… [c'est-à-dire
DL 2004] ratisse suffisamment large,
et assez en profondeur […] pour que
la réputation de l'élite québécoise ressorte écorchée de l'exercice de
correction (24) »
Essayons
de débrouiller, si possible, les idées un peu bousculées de DL. Elle me
reproche de ne pas avoir critiqué le Multidictionnaire
de Marie-Éva De Villers, quand, dans le même ouvrage, dans une longue digression
hors de propos (25), elle continue de critiquer la langue cette auteur
comme elle l'avait fait dans ses ouvrages précédents, ne ratant pas l'occasion
d'ajouter de nouveaux exemples à son tableau de chasse… Mais, en même temps,
elle nous dit que ce n'est pas bien de la critiquer… Elle me reproche d'avoir
risqué d'attaquer la crédibilité de linguistes « jouissant d'une solide réputation » comme Marie-Éva De
Villers, Hélène Cajolet-Laganière, Pierre Martel, Jean-Claude Corbeil, alors
qu'elle les a elle-même attaqués durement dans deux ouvrages, DL 1998 et DL 2004 !
A-t-elle oublié ce qu'elle a dit du livre d'Hélène Cajolet-Laganière dans le
chapitre 3 (« Le français de nos
langagiers ») de DL 2004 ? A-t-elle oublié ce qu'elle a dit
de celui de Marie-Éva De Villers dans les chapitres 4 et 5 (« Subtilités et non-dits du nouveau discours
normatif » et « Les
difficultés du Multi ») ? Pire encore, DL 2019 a-t-elle
oublié ce qu'elle écrit p. 167 : « les
lacunes du français de ces locuteurs modèles que sont censés être les auteurs
de guides de rédaction et d'ouvrages correctifs est un révélateurs de l'état de
la langue de l'élite dans son ensemble » ? Pas facile à piger la
logique de DL !
Elle doit reconnaître
cependant que j'ai « déconstruit »
« avec une remarquable efficacité »
les thèses de Marie-Éva De Villers exposées dans un autre ouvrage Le
Vif Désir de durer (26). Ouf ! Seul petit point positif
à mon égard dans l'ensemble de son livre… Alors, si j'ai « déconstruit »
ces thèses avec « une remarquable efficacité », c'était donc pour en « ménager »
l'auteur ? Le raisonnement de DL est obscur, tortueux, alambiqué et plein
de contradictions.
Volte-face numéro 4 : Diglossie
or not diglossie ?
Petit
résumé chronologique :
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2019 :
DL critique la notion de registre
de langue avancée par les aménagistes pour caractériser les particularismes québécois.
2019 :
DL critique de la notion de diglossie
comme ne s'appliquant pas au Québec.
2019 :
DL affirme l'existence d'une situation de quasi-diglossie
au Québec.
|
1998 :
DL affirme l'existence d'une situation de diglossie
au Québec.
|
Quelle
DL faut-il croire ? Celle de DL 2019 ou celle de DL 1998 ? Celle qui réfute l'idée de diglossie appliquée
à la situation linguistique du Québec ou celle qui la défend ? En effet,
entre ces deux dates, elle a totalement viré
capot. Dans DL 2019, alors qu'il s'agit pour elle de critiquer mes
thèses à tout prix, elle affirme d'une manière péremptoire : « Ces exemples montrent que la thèse de la
diglossie ne tient pas la route, que la singularité de l'usage québécois
n'est pas réductible à une distinction entre vernaculaire et langue standard (27) ».
Relisons DL 1998. Comparant la langue de
Michel Tremblay et celle de Pierre Vadeboncœur, elle s'interroge : « S'agit-il vraiment là de la même langue ?
Il faut plutôt voir, à mon sens, dans ce qu'on appelle le français québécois un
état de diglossie (28) ». Plus tôt, elle s'était interrogée
sur « les problèmes d'apprentissage
que peut entraîner la cohabitation à l'école de deux systèmes linguistiques,
québécois et français, à la fois différents et semblables – deux états d'une
même langue entre lesquels il y a osmose (29) ». Fière de sa
trouvaille (qu'elle devait à Pierre Chantefort (30), mais en 1998 elle ne
reconnaissait pas encore sa dette), elle va plus loin dans sa description de la
diglossie québécoise : « Sur le
plan lexical, par exemple, l'usage québécois se caractérise par l'existence d'un
double vocabulaire "concurrentiel" : sacoche/sac à main,
vidanges/ordures, poêle/cuisinière (31) » [suit une liste de
25 de ce qu'elle appelle « doublets concurrentiels » et de ce que
j'appelle « paires diglossiques (32) »]. Dans son exposé de la
diglossie appliquée au Québec, elle poursuit : « Tous ces doublets relèvent de la concurrence, justement, du parler
régional et de la langue standard, qui est toujours considérée comme la langue
de prestige. Le lexicographe aménagiste aura quelque mal à indiquer
honnêtement le cours des usages québécois sur le marché des valeurs local sans
donner du français d'ici l'image d'une langue de seconde classe (33) ».
Finalement, elle conclut : « Aussi
est-il à craindre que le projet d'aménagement du français québécois, en
affirmant l'égalité de toutes les variétés de langue, n'ait pour résultat que
de nous enliser dans la diglossie (34). »
La
théorie complète de la diglossie, dans sa définition classique, se trouve donc défendue
sous la plume de DL 1998, appliquée au Québec : coexistence de deux systèmes linguistiques sur un même
marché, distinction entre une variété
dite « haute » et une variété
dite « basse », le vernaculaire
québécois étant considéré comme la variété « basse », le français standard comme variété « de prestige », osmose et concurrence entre les deux…
C'est
justement ce que j'ai développé et illustré en détail dans Le français québécois entre réalité et idéologie, livre que,
décidément, elle aurait eu intérêt à lire avant de publier DL 2019.
Qu'est-ce qui a bien pu se passer entre 1998 et 2019 pour que DL opère un tel
revirement ? pour que ce qu'elle trouvait génial en 1998 lui apparaisse « simpliste »
en 2019, sans qu'elle présente quelque argument, quelque preuve que ce soit ?
Ce rejet de la diglossie relève-t-il de son désir de « recentrer le débat sur la question
linguistique » ? Absurde. On pourrait bien en effet « penser qu'elle a changé du camp ».
Mais, non, elle nous l'assure, ce n'est pas le cas. Exercice vraiment périlleux…
Volte-face numéro 5 : Une
commission Larose (35) « paquetée »
or not « paquetée » ?
Petit
rappel chronologique :
|
DL
2019 :
Lionel Meney
critique injustement la ministre Louise Beaudoin pour avoir nommé Jean-Claude
Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière membres de la commission Larose et Pierre
Martel chargé du colloque sur la qualité de la langue.
Il
n'y avait aucune intention de favoriser les aménagistes dans ces nominations.
On
ne pouvait pas prévoir que la question de la norme linguistique s'imposerait devant cette commission.
On
pouvait encore moins prévoir qu'elle recommanderait la rédaction d'un dictionnaire du français québécois.
|
DL
2004 :
Dès
que Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière ont été nommé, il était
clair que les dès étaient jetés.
On
pouvait déjà être sûr qu'on y ferait la promotion du français québécois standard.
On
pouvait déjà être sûr que la commission recommanderait la rédaction d'un dictionnaire du français québécois.
Comme
par hasard, Hélène Cajolet-Laganière et Pierre Martel avaient déjà un projet de dictionnaire dans leurs cartons.
|
DL 2019
n'est pas à une contradiction près quand il s'agit pour elle de critiquer mes
affirmations au sujet de la composition de la commission Larose et du rapport
qu'elle a produit. Son interprétation de la signification de la nomination par
la ministre Louise Beaudouin de Jean-Claude Corbeil, son sous-ministre, et
d'Hélène Cajolet-Laganière, coauteur du projet de dictionnaire québécois Franqus, comme membres de la commission change
du tout au tout de DL 2004 à DL 2019. Visiblement, elle a oublié ses
propres suspicions. Je cite DL 2019 : « Le reproche [que Meney fait à Louise Beaudouin d'avoir
nommé Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière] est injuste. Bien malin qui aurait pu prédire qu'on
allait y accorder une telle place à la question de la norme, et surtout que
l'exercice allait aboutir à une recommandation relative à la rédaction d'un
dictionnaire du français québécois (36). »
Relisons DL 2004 : « Dès le moment où la composition de la
Commission a été rendue publique et où l'on a su que les deux linguistes qui y
siégeraient étaient les aménagistes Jean-Claude Corbeil et Hélène Cajolet-Laganière,
il était clair que les dés étaient jetés. Il
ne restait plus qu'à attendre la publication du rapport pour compter le nombre
de fois qu'y figurerait l'expression français québécois standard (37). »;
« La mainmise des aménagistes sur la
Commission Larose méritait d'ailleurs à double titre d'être dénoncée. Outre le
fait qu'ils monopolisaient le discours sur la norme, ces linguistes étaient juge et partie sur la question. Depuis des
années, Hélène Cajolet-Laganière et son collègue Pierre Martel étaient à la
recherche d'une source de financement public pour mener à bien leur projet
lexicographique. Il va sans dire que
quelques recommandations idoines dans le rapport de la commission Larose ne
pouvaient pas faire tort dans une demande de subvention […]. Comme le
hasard fait bien les choses : nous avons justement un projet de
dictionnaire du québécois dans nos cartons ! (38)» Est-ce
vraiment la même personne qui a écrit ces citations ? C'est difficile à
croire. Le « recentrage sur la question linguistique » nécessitait-il un tel retournement
de veste ? À croire qu'il y a peut-être deux DL, une pour, l'autre contre ?
Volte-face numéro 6 : Le
dictionnaire aménagiste, échec or not
échec ?
Petit
rappel chronologique :
|
DL 2019 :
Le
dictionnaire est loin de la rupture avec la France et la Francophonie
annoncée par Lionel Meney.
Le
dictionnaire ne donne guère prise aux critiques grâce à ses marques d'usage.
Le
dictionnaire facilite l'acquisition du français standard
|
DL 1998 :
Le
dictionnaire se propose de résoudre un cas de diglossie, ce qui est
impossible.
Le
dictionnaire va nous enliser dans la diglossie et perpétuer les formes
dialectales.
Le
dictionnaire sera un « amalgame de français trafiqué et de
joual toiletté ».
Le
dictionnaire aura des effets pernicieux.
Le
simple recensement des mots dans un dictionnaire constitue une forme de
légitimation.
Il
ne faut pas s'illusionner sur l'efficacité des marques d'usage.
|
Une des volte-face les plus spectaculaires de DL (et
Dieu sait s'il y en a !) concerne le dictionnaire aménagiste issu du
projet Franqus. Spectaculaire quand
on sait que toute l'énergie déployée par DL au moins jusqu'en 2004 a été
consacrée à la critique des aménagistes, de la langue de leurs écrits, de leur
norme - le français québécois standard
- et du dictionnaire qui devait l'illustrer. D'ailleurs DL 2019 ne manque
pas encore de me critiquer pour ne pas m'être intéressé, selon elle, « au fait qu'un dictionnaire du français
québécois risquerait de contribuer à la reproduction de ces formes, qui
toutes sont carrément fautives au regard du français standard (39).
». Accusation difficilement compréhensible, car en même temps DL 2019 est littéralement
tombée en amour avec Usito, le dictionnaire québécois en
ligne issu du projet Franqus : « L'ouvrage ne donne guère prise à
l'argumentaire antinationaliste développé dans Main basse… On est en effet bien loin de la rupture
avec la France et la francophonie annoncée et dénoncée par Lionel Meney. Non
seulement un système de marquage assez rigoureux permet de distinguer
les usages québécois (UQ), mais le cas échéant ceux-ci sont accompagnés de leur
équivalent en français de référence, ou de France (UF). […] On peut
donc dire que loin de priver les Québécois des mots de la langue standard,
dans certains cas il leur en facilite l'acquisition (40). » DL de se réjouir :
« L'aventure lexicographique
québécoise est donc maintenant bien engagée (41). » Cerise sur le gâteau/sundae
: « À terme il faudrait en arriver
[…] à enregistrer "l'usage réel", conformément au
principe selon lequel l'usage fait la loi (42). » On doit donc comprendre qu'elle se range désormais derrière les québécisants, partisans de la légitimation de mots comme vidanges ou sloche. Mais non, elle n'a pas « changé de camp »... Étonnante
déclaration de la part de quelqu'un qui n'a de cesse de décrier la langue des
Québécois, dont pratiquement aucun ne « maîtriserait le français
standard »… En toute honnêteté, DL 2019 devrait s'excuser de tout le
mal qu'elle a dit antérieurement des
auteurs du dictionnaire (DL 1998 et DL 2004). Devant un tel
retournement de veste, on se demande si elle a analysé sérieusement Usito, ou simplement jeté sur lui un coup
d'œil hâtif, avant de communiquer son enthousiasme pour le produit aménagiste.
Je lui conseille vivement de lire mes analyses sur le sujet dans ce blog. Elle a
tout simplement zappé ses critiques du « pseudo-dictionnaire
général qu'on finira vraisemblablement par publier (43). », critiques auxquelles elle a consacré deux livres entiers. Il faudrait
les citer pratiquement dans leur intégralité pour lui rappeler tout le mal
qu'elle pensait, à l'époque, de ce projet et de leurs auteurs.
Relisons DL 1998. Elle n'a de cesse de
rappeler que « les aménagistes ne sont pas près
d'accepter l'idée que les Québécois ne veulent tout simplement pas de
dictionnaire du français d'ici. Et qu'ils se satisferaient sans doute de
dictionnaires adaptés (44). ».
À l'époque, elle défendait l'idée de l'impossibilité
de rédiger un dictionnaire du français québécois du fait de la situation de
diglossie : « Mais la
véritable nouveauté […] ne réside-t-elle pas dans le principe même de ce
dictionnaire qui se propose de résoudre un cas de diglossie ? Un
dictionnaire de langue… diglossique (45). » Elle faisait part de ses craintes
dans ces termes : « Qui d'ailleurs se reconnaîtra dans l'idiome
composite qu'on devra nous y proposer, amalgame de français trafiqué et de
joual toiletté ? (46) ».
Elle pronostiquait que le dictionnaire général québécois virerait au dictionnaire des difficultés, ce qui
s'est effectivement produit avec Usito,
mais ce qu'elle n'a pas vu : « Signaler
systématiquement tous les emplois abusifs et les barbarismes qui caractérisent
notre langue reviendrait à faire du dictionnaire de l'usage québécois un
dictionnaire des difficultés au Québec (47) » Si DL 2019
place toute sa confiance dans l'efficacité
des marques d'usage, DL 1998 disait tout le contraire : « Il ne faut pas s'illusionner sur l'utilisation des marques d'usage pour maintenir le cap sur la norme internationale (48) »; « la plupart de ceux qui s'intéressent à la
lexicographie du point de vue de la norme s'entendent pour dire que le
recensement d'un mot dans le dictionnaire constitue en soi une forme de
légitimation, même lorsqu'il est accompagné d'une marque normative, emploi
critiqué, anglicisme, vulgaire, etc. (49) ». Si DL 2019
pousse l'enthousiasme jusqu'à affirmer qu'Usito
favorisera l'acquisition du français standard, DL 1998 pensait exactement
le contraire : « À plus ou
moins long terme, c'est une foule d'usage fautifs qui devraient être légitimés
par le dictionnaire, parce qu'ils sont courants dans la langue, même soignée de
la "nouvelle classe moyenne" québécoise (50). » C'était d'ailleurs sa
principale crainte, crainte aujourd'hui balayée d'un revers de la main par la
révélation des charmes d'Usito…
Une autre accusation infondée
Autre
trouvaille de la championne de la « dépolitisation » et du « recentrage »
du débat, DL me reproche de ne pas me préoccuper de la qualité de la langue, d'avoir
sur ce sujet un « discours lénifiant (51) ».
DL semble ne pas comprendre le rapport (pourtant évident) entre la défense
d'une norme et le souci de la qualité de la langue. Comment peut-on défendre la
qualité d'une langue sans s'appuyer sur un modèle linguistique, sans le
défendre, sans critiquer tout autre modèle ? Et, au Québec, à quoi se
résume le choix d'un modèle linguistique ? C'est tout l'objet de nos
débats récurrents. Dans toutes mes interventions, j'ai défendu une norme à
laquelle est associée une conception de la qualité de la langue. Selon votre
choix normatif, tout un tas de décisions en découlent.
En prétendant cela, DL fait
tout simplement l'impasse sur toutes mes analyses et mes critiques de plusieurs
ouvrages québécois. Pour rappel, mentionnons plusieurs chapitres dans Main basse sur la langue (qu'elle dit
avoir lu) sur le français des aménagistes (chapitre XVI. La qualité de la langue des commissaires; chapitre XVIII. Le français standard en usage au Québec par
l'exemple); un chapitre sur le Dictionnaire
québécois d'aujourd'hui (52) (chapitre XIX); un chapitre sur le Grand Dictionnaire terminologique (53) de
l'Office québécois de la langue française (chapitre XXI). En fait cela
ressemble pas mal à ce DL elle-même a écrit dans DL 1998 et dans DL 2004.
Si elle avait lu mon dernier ouvrage, Le
français québécois entre réalité et idéologie, elle aurait certainement été
intéressée par le chapitre V intitulé Typologie
des anglicismes en français québécois; le chapitre VI. Mécanismes de formation d'une interlangue;
le chapitre VII. Le rôle de la traduction
dans la formation d'une interlangue. Elle aurait aussi vu que je critique
les choix linguistiques d'Henri Bélanger et de Marcel Boudreault en particulier
pour des questions de qualité de la langue, tandis que je réhabilite en bonne
partie ceux de Gérard Dagenais, grand pourfendeur d'anglicismes et
d'impropriétés, ce qui aurait dû lui plaire (chapitre IX. Réalité et idéologies linguistiques). DL a oublié que j'ai enseigné
le français dans les programmes de traduction de l'Université Laval pendant
près de 25 ans. Je ne sais pas comment j'aurais pu le faire sans me préoccuper
de la qualité de la langue ! que j'ai analysé le fond et la forme (la
qualité de la langue) d'ouvrages scolaires pour le Ministère de l'Éducation;
établi une typologie des anglicismes pour l'Office de la langue française… Enfin
DL ne mentionne pas non plus mon blog (54), dans lequel je traite justement de
la correction de la langue à partir d'exemples québécois (en particulier de
nombreux anglicismes et impropriétés, ce qui devrait aussi lui faire plaisir).
Pas mal pour quelqu'un qui néglige la qualité de la langue !
En fait DL 2019 me
reproche, sur un ton mielleux et passablement hypocrite, de considérer que le
vernaculaire fait partie du patrimoine linguistique des Québécois au côté du français
standard international : « Si
l'on peut comprendre le désir de Lionel Meney, qui est d'origine française
(55), de ne pas prêter flanc aux
accusations de mépris, il nous semble qu'il n'est pas nécessaire d'aller aussi
loin que de faire du parler populaire, ce français exsangue et anglicisé, un
"élément fondamental du patrimoine culturel québécois" (56) »;
« sa thèse […] passe par la
banalisation, voire par une forme de légitimation du vernaculaire (57). »
Dire ce que j'ai dit ne
signifie pas qu'on veuille ériger le vernaculaire en modèle linguistique. C'est
simplement reconnaître un état de fait, reconnaître aussi que cela ajoute aux
possibilités de communication des Québécois, en particulier sous l'aspect identitaire
(et dire que DL me reproche mon « obsession antinationaliste »…). La
littérature, le théâtre, le cinéma et la chanson en apportent la preuve.
Peut-on exclure du patrimoine culturel des Québécois les Michel Tremblay,
Richard Desjardins et autres Xavier Dolan, sans compter Gilles Vigneault,
malgré ses « archaïsmes » ? Et l'essentiel de leurs œuvres
aurait-il pu être écrit en français standard international ?
On pourrait continuer de
lister les contradictions de DL 2019, mais à quoi bon? Que penser de
quelqu'un capable de défendre d'un livre à l'autre avec la même conviction des
thèses opposées ? On aurait pu s'attendre à ce qu'elle nous fournisse quelques
perspectives, vu qu'elle ambitionnait de « recentrer
le débat sur la question linguistique », débat que j'aurais dévoyé par mon
« obsession antinationaliste ».
On aurait pu s'attendre à ce qu'elle nous indique, dans un magnifique
raisonnement dialectique à la Hegel, comment elle comptait dépasser ses propres
contradictions (nationalisme ou antinationalisme ? francophobie ou absence de
francophobie ? diglossie ou absence de diglossie ? norme endogène ou norme
internationale ? dictionnaire national ou dictionnaire « parisien » ?
norme réelle ou norme construite ? etc.). On aimerait savoir où elle se situe
finalement par rapport à toutes ces questions; qu'elle nous présente sa
conception du modèle linguistique qu'il conviendrait d'adopter pour le Québec. Dans
le cours de sa diatribe, elle annonce plusieurs fois qu'on aura la réponse à la
fin. On attend avec impatience d'arriver à la fin et de découvrir, après son
travail de démolition, quelque chose de constructif. Malheureusement le dernier
chapitre, intitulé « Rien n'est simple », ne nous éclaire pas davantage.
On y apprend seulement que les Québécois, même parmi l'élite ne maîtrisent pas
le français standard international, qu'il y a des « fautes », des
« anglicismes », des « archaïsmes », des « impropriétés », des
« barbarismes », des « maladresses », tout cela est très
nouveau..., mais on attend toujours une déclaration explicite sur le modèle, la
norme, les mesures concrètes qu'elle prône. Where's
the beef ? est-on tenté de dire. À l'évidence, il n'y rien. Rien n'est
simple pour/avec DL.
…
Arroseur arrosé. Correctrice
corrigée
DL
ne rate pas une occasion de critiquer le français des autres. À l'entendre,
personne dans les élites québécoises ne maîtrise le français standard (à part
elle, bien sûr). Elle les accuse, entre autres, de ne pas savoir éviter les
anglicismes masqués. Ironiquement, à la page 192 de son livre, un de ces
anglicismes masqués lui a joué un mauvais tour : « À première lecture, on peut ne rien remarquer : unité et diversité du français québécois, cela paraît faire sens ».
Elle n'a pas vu que « faire sens » est un calque de l'anglais « to make
sense ».
DL
n'a pas seulement des difficultés à démasquer les anglicismes masqués, mais
aussi certains anglicismes sans masque. On apprend p. 231 que windschield [sic] a été « sorti de la
nomenclature » d'Usito.
Peut-être l'y a-t-on réintroduit sous la forme windshield ? Dans ce cas, il s'agit certainement de la faute
commune de la correctrice de la correctrice et de la correctrice elle-même…
À propos
de la correctrice, DL s'est fait jouer un tour. Son choix est d'écrire une auteur. La correctrice lui a imposé une auteure. « Je suis de la vieille école, et je préfère une auteur à une auteure. Mais voilà, l'auteur(e) n'a pas toujours le dernier mot (58)…
». Elle n'a pas vu d'entrave à sa liberté d'expression dans le fait qu'une
correctrice, travaillant pour une entreprise privée, lui impose, à elle auteur
et correctrice de profession, une manière d'écrire. « La notion de liberté d'expression est en l'occurrence utilisée
abusivement : qu'est-ce que la normalisation des féminins en -eure - dont il
est essentiellement question ici -, fût-elle imposée dans les textes officiels,
a à voir avec la liberté d'expression ? La liberté d'expression, c'est le droit
de protester contre une telle obligation. Et cette liberté, tout le monde l'a au Québec ! (59)». Elle avait le droit de protester,
puisqu'on est au Québec. Elle a peut-être protesté, mais en fin de compte, elle
a dû « prendre son trou ». Curieuse liberté. Derrière ce choix entre une auteure et une auteur, il n'y a pas bien sûr d'arrière-plan politique,
idéologique (faiblesse de l'analyse de DL : ce n'est pas qu'une question de
« vieille école »). De même, entre réviseure, réviseuse ou correctrice, il n'y a pas de choix
politique…
…
Notes
(1) Diane Lamonde, Le maquignon et
son joual. L'aménagement du français québécois, Montréal, Liber, 1998.
(2) Diane Lamonde, Anatomie d'un
joual de parade. Le bon français d'ici par l'exemple, Montréal, Varia,
2004.
(3) Diane Lamonde, Français
québécois. La politisation du débat, Montréal, Del Busso Éditeur, 2019, 236
p.
(4) DL 2019, p. 148 : « Je prétends quant à moi qu'à de rares
exceptions près les Québécois ne maîtrisent par le français international ».
J'imagine que DL se range modestement parmi ces rares exceptions…
(5) Lionel Meney, Main basse sur
la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec, Montréal,
Liber, 2010, 510 p.
(6) Marie-Éva De Villers, Multidictionnaire
de la langue française, Montréal, Québec-Amérique, plusieurs éditions.
(7)
DL 2019, p.191.
(8) DL 2019, p. 10.
(9) Lionel Meney, Le français
québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la langue. Étude
sociolinguistique, Québec, Presses de l'Université Laval, 2017, 635 p.
(10) Jacques Maurais, Les
Québécois et la norme. L'évaluation par les Québécois de leurs usages
linguistiques, Québec, Office québécois de la langue française, 2008,
p. 26.
(11)
Je définis 5 courants : joualisant, québécisant, aménagiste, du côté des
« endogénistes » (partisans d'une norme nationale, endogène),
internationalisant et francisant, du côté des partisans d'une norme
internationale.
(12) DL 2019, p. 10.
(13) DL 2019, p. 121
(14) DL 2019, p. 87.
(15) DL 2019, p. 10.
(16) DL 2019, p. 126
(17)
Linguistes partisans d'une norme endogène québécoise par opposition à une norme
internationale.
(18) DL 2019, p. 68.
(19)
Un article récent me fait penser qu'il existe encore des vestiges de cette
francophobie ordinaire : « Depuis au moins deux générations, l’évolution
naturelle du français est bloquée à la fois par les excès de purisme
parigocentriste, mais aussi par l’"anglolâtrie" des cercles de
pouvoir à Paris, faisant le jeu de tous les détracteurs du français comme
langue moderne et internationale. »
(Jean-Benoit Nadeau, Le Devoir, 30 septembre 2019).
(20) C'est moi qui souligne.
(21) Hélène Cajolet-Laganière, codirectrice du projet Franqus à l'origine du dictionnaire Usito.
(22) Marie-Éva De Villers.
(23) Jean-Claude Corbeil. Sans crainte de l'outrance ni du ridicule, DL
a écrit à son sujet : « Les
Martel et Corbeil n'ont rien inventé : tout était déjà chez
Léandre [Bergeron, l'auteur du Dictionnaire de la langue québécoise]. Ils ont tout simplement apporté la
caution de leur science et le tour savant de l'énoncé » (DL 1998,
p. 83).
(24) DL 2019, p. 166.
(25) DL 2019, p. 181 à 201.
(26)
Marie-Éva De Villers, Le Vif Désir de
durer. Illustration de la norme réelle du français québécois,
Montréal, Québec Amérique, 2005.
(27) DL 2019, p. 153.
(28) DL 1998, p. 96. C'est moi qui souligne.
(29) DL 1998, p. 94.
(30) Pierre Chantefort, Diglossie
au Québec : limites et tendances actuelles, Québec, Presses de
l'Université Laval, 1970.
(31) DL 1998, p. 96.
(32) Lionel Meney, Le français
québécois..., p. 387
(33) DL 1998, p. 97.
(34)
DL 1998, p. 103.
(35) Nom courant des États généraux sur la situation et l'avenir de la langue française au
Québec, présidés par le syndicaliste
Gérald Larose (2000-2001).
(36) DL 209, p. 221.
(37) DL 2004, p. 10.
(38)
DL 2004, p. 11.
(39) DL 2019, p. 154.
(40) DL 2019, p. 233.
(41) DL 2019, p. 234.
(42) DL 2019, p. 235.
(43) DL 1998, p. 206.
(44) DL 1998, p. 136.
(45) DL 1998, p. 206.
(46) DL 1998, p. 212.
(47) DL 1998, p. 65.
(48)
DL 1998, p. 65.
(49) DL 1998, p. 135.
(50) DL 1998, p. 65.
(51) DL 2019, p. 203.
(52) Dictionnaire québécois
d'aujourd'hui sous la direction de Jean-Claude Boulanger (et Alain Rey),
Saint-Laurent, Dicorobert, 1992 et 1993.
(53) Office québécois de la langue française, Grand Dictionnaire terminologique, consultable en ligne à l'adresse
http://www.granddictionnaire.com/.
(54)
Carnet d'un linguiste à
l'adresse : carnetdunlinguiste.blogspot.com.
(55) Notation intéressante de la part de quelqu'un qui nie l'existence
de quelle que francophobie que ce soit dans les milieux aménagistes.
(56) DL 2019, p. 151.
(57)
DL 2016, p. 155.
(58) DL 2019, p. 92.
(59)
DL 2019, p. 65.
…
Mots-clés :
langue française; français québécois; idéologie linguistique; débat sur la
norme linguistique; Diane Lamonde; "Français québécois. La politisation du
débat"; Del Busso éditeur; Lionel Meney; "Main basse sur la langue.
Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec"; Liber éditeur;
"Le français québécois entre réalité et idéologie. Un autre regard sur la
langue"; Presses de l'Université Laval".
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