Emmanuel
Macron, le président de la République, l'a dit dans ses voeux à la Nation
prononcés au soir du 31 décembre : « Restons unis, bienveillants,
solidaires. » L'année 2021 a vu, comme les années précédentes, la montée
en puissance des mots « bienveillant » et « bienveillance »
tant en France qu’au Québec.
Constatation
Sur
Internet, on constate l’ascension fulgurante des mots bienveillant et bienveillance.
Un coup de sonde sur la Toile grâce à Google Recherche permet de s’en rendre
compte. Sur une période de 10 ans (2011-2021), on constate :
a) une
augmentation constante du nombre d’occurrences de bienveillance dans les
médias francophones du Canada et de France (de 1320 à 25100 au Canada ; de
18000 à 245000 en France) ;
b) une augmentation
encore plus forte au Canada (près de 20 fois plus) qu’en France (13 fois plus)
;
c) une augmentation
marquée par deux bonds concomitants encore plus importants au Canada et en France, le premier à partir
d’il y a 5 ans, en 2016 ; le second, à partir de 2019, ce qui correspond
dans ce cas au début de la crise de la COVID-19.
Tableau :
L’ascension du mot bienveillance sur Internet
Nombre d’années
|
Période
|
Canada
francophone
|
France
|
1
|
2020-2021
|
25100
|
245000
|
2
|
2019-2020
|
13800
|
186000
|
3
|
2018-2019
|
8790
|
151000
|
4
|
2017-2018
|
8070
|
104000
|
5
|
2016-2017
|
6060
|
89700
|
6
|
2015-2016
|
3070
|
51700
|
7
|
2014-2015
|
2700
|
41700
|
8
|
2013-2014
|
1940
|
28500
|
9
|
2012-2013
|
1830
|
22300
|
10
|
2011-2012
|
1320
|
18000
|
Source: Google Recherche,
décembre 2021.
Définition
Il est
nécessaire de préciser le sens de ces deux mots employés, nous le verrons, dans
toutes sortes de contextes. Bienveillant signifie « qui se montre
attentif au bien et au bonheur des autres ». Le philosophe Francis
Hutcheson, cité par Victor Cousin, considérait que la bienveillance était « une
affection qui nous porte à désirer le bonheur de notre prochain » (Trésor
de la langue française). Bienveillance désigne « la qualité
d’une volonté qui vise le bien et le bonheur des autres » ; « une disposition
particulièrement favorable à l’égard de quelqu’un » (Trésor de la
langue française).
Fausse
étymologie
Une
erreur courante consiste à rapprocher bienveillant de veiller ;
« être bienveillant » signifierait alors « veiller au bien
(bien-être) de quelqu’un ». Exemple : « Se montrer bienveillant,
c’est veiller au bien-être d’autrui, c’est vouloir le bonheur des autres sans
rien attendre en retour. » (Le Monastère des Augustines, Québec,
04/01/2021). En réalité, bienveillant ne provient pas de veiller,
mais de vouloir. « Être bienveillant », c’est « vouloir
le bien de quelqu’un ». C’est un calque du latin bene volens avec
la forme ancienne du participe présent de vouloir, ve(u)illant.
Le contraire, c’est malveillant, malveillance, qui ne signifie
pas « veiller au mal de quelqu’un » (ce serait absurde), mais lui « vouloir
du mal ».
Champ
d’application de la bienveillance
De nos
jours, la notion de bienveillance a envahi tous les domaines, privés ou
publics : l’individu (la bienveillance envers soi-même) ; la famille
(dans la relation de couple, dans l’éducation des enfants) ;
l’enseignement (à l’école, à l’université, la bienveillance envers les élèves,
les étudiants) : le travail (dans le management, les relations
patron/employés, les relations entre collègues) ; le commerce (relation
entreprises/clients), la politique, etc.
Le seul
domaine qui semble échapper à la vague de bienveillance, ce sont les réseaux
sociaux où règne, au contraire, l’injure, la violence, la dénonciation, la
diffamation, etc. sous couvert d’anonymat. C'est peut-être pour cela que la bienveillance est importante ?
Exemples
de titres d’articles relevés sur Google Recherche (presse
canadienne) :
- Envers
soi-même, envers sa santé : « La bienveillance envers soi-même » ;
« Manger avec bienveillance » ; « Renoncer aux régimes et
manger avec bienveillance » ; etc.
- Envers
les enfants : « Être bienveillant pour protéger ses enfants »,
etc.
- Envers
les personnes âgées : « Ode à la bienveillance envers les aînés »,
etc.
- Dans l’éducation,
l’enseignement : « L’école de la bienveillance » ; « Ecole
inclusive et bienveillante » ; « La nécessaire bienveillance du
milieu scolaire envers nos ados » ; « Pour une communauté
étudiante bienveillante », etc.
- Au travail,
dans le management : « Comment cultiver la bienveillance au travail » ;
« Être gentil au travail, une nécessité, un devoir ou une obligation » ;
« La collaboration bienveillante au travail » ; « Le
management bienveillant » ; « Le leadership bienveillant » ;
« Les bienfaits d’une entreprise bienveillante » ; « La
bienveillance comme indicateur de performance », etc.
- Dans la
relation entreprise/clients » : « S’il y a quelque chose que les
clients requièrent en ces temps parfois éprouvants, c’est d’un peu de
bienveillance. Et je crois que la notion de bienveillance devrait être au cœur
des initiatives de toutes les entreprises, petites ou grandes, qu’elles soient
au service des consommateurs (B2C) ou d’autres entreprises (B2B). »(Les
Affaires, 13/01/2021).
Le business
de la bienveillance
Il fallait
si attendre le concept de bienveillance a donné naissance à tout un business
sous forme de cours et de publications. C'est un marché porteur, comme on dit en marketing.
On a vu
naître des formations sur la bienveillance, du coaching, des conseils : « La
bienveillance, mode d’emploi » ; « Règles de sagesse et de
bienveillance en temps de pandémie » ; des Prix de Bienveillance…
Les ouvrages
consacrés à ce nouveau mantra ont poussé comme des champignons. Certains s’en
faisant une spécialité. En voici quelques-uns :
-
Marshall B. Rosenberg, « Elever nos enfants avec bienveillance » (2007) ;
« Enseigner avec bienveillance » (2017) (un des initiateurs du mouvement
dans l’éducation, l’enseignement).
-
Laurence Dudek, Natacha Fabry et al., « Parents bienveillants, enfants éveillés :
Les 10 clés de l'éducation efficace »
-
Laurence Dudek, « Une éducation bienveillante et efficace ! » (2021).
- Olivier
Clerc, « Tu es comme tu es... ou le secret de la communication
bienveillante » (2019)
- Myriam
Daguzan Bernier, « Tout-nu-dictionnaire bienveillant de la sexualité »
(illustré) (2020)
-
Collectif, « 50 activités bienveillantes pour progresser en orthographe »
(2020).
- Didier
Van Cauwelaert, « La bienveillance est une arme absolue » (2021).
- Dina
Scherrer, « La magie de la bienveillance : Développez votre regard
pygmalion et améliorez vos relations » (2021).
- Philippe
Rodet, « La bienveillance, un remède à la crise. Penser autrement avec la
bienveillance » (2021)
- Philippe
Rodet, « La bienveillance au travail : Trop de stress, pas assez de
motivation, comment en sortir ? » (2019).
- Yves
Desjacques et Philippe Rodet, « Le management bienveillant : La
bienveillance est l'indicateur d'un monde encore humain » (2017).
- Gael
Chatelain-Berry, « Les 10 commandements de la bienveillance en entreprise »
(2019).
- Françoise
Dorn, « Le Petit Livre de la bienveillance : Ouvrez votre cœur aux
autres » (2019).
Aspects
positifs de la bienveillance
Bien
évidemment, il est nécessaire d’éliminer l’agressivité, le harcèlement, la
violence, les discriminations dans la société. La bienveillance a le mérite de
sensibiliser à ces phénomènes et, éventuellement, d’aider à les réduire. Exemple :
Devant la montée de la violence, on voit partout dans les administrations et
les commerces des affichettes avertissant que l’agressivité, l’impolitesse, les
menaces ne sont pas tolérées.
Aspects
négatifs
Une
indulgence critiquable : dans la notion de bienveillance, il y a un
aspect compréhension d’autrui (ce qui est une bonne chose), mais aussi
d’indulgence (ce qui peut donner lieu à des dérives, au laxisme). On
constate les conséquences catastrophiques de cet aspect indulgence dans
l’éducation des enfants, dans l’enseignement, dans la baisse du civisme, la
hausse de la délinquance, etc.
Un ton
d’injonction : On ne peut pas être contre les bons sentiments, alors c’est
une morale politiquement correcte qu’on impose à tout le monde.
Un
rapport de domination quoiqu’on dise : la bienveillance désigne aussi
l’attention qu’une personne haut placée daigne apporter à une personne moins
haut placée (solliciter la bienveillance de quelqu’un). Ce rapport, on le
retrouve dans la relation parent/enfant, personne jeune/personne âgée,
maître/élève, patron/employé, etc.
Il y a
une forme de naïveté de croire que la bienveillance suffit à éviter ou à
résoudre tous les problèmes dans un monde Bisounours.
C’est ce qu’a vu dès
2016, le philosophe français Yves Michaud dans un ouvrage intitulé : « Contre
la bienveillance ». Il y écrit : « Le constat est maintenant
partout : la puissance du fondamentalisme religieux, la montée des
populismes de droite comme de gauche, le discrédit de la classe politique, le
rejet de la construction européenne, rendent caducs les schémas anciens. En
particulier l’idée que la démocratie, à force de bienveillance, peut tolérer
toutes les différences, toutes les croyances. […] Il faut dénoncer la tyrannie
des bons sentiments, la politique de l’émotion et de la compassion. Non que la
bienveillance soit un sentiment indigne, mais nous devons cesser de croire
qu’on peut bâtir sur elle une communauté politique. » (Présentation du
livre).
Mots-clés :
bienveillance, bienveillant, phénomène social.