22 septembre 2020

Bélarus : un toponyme problématique. Le ou La Bélarus?

La fraude électorale organisée par le dictateur Loukachenko en 2020 et l’admirable résistance opposée par les Biélorusses ont attiré l’attention du monde sur ce petit pays d’Europe de l’Est dénommé Biélorussie ou Bélarus.

Le terme Biélorussie est la désignation courante en français, et la désignation officielle retenue par les organismes linguistiques francophones. Le terme Bélarus, composante du syntagme République de Bélarus, (et non République du Bélarus comme l'indique le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française), est celle que les autorités du pays exigent dans leurs échanges internationaux. Une des raisons de l’insistance des autorités de ce pays à faire employer Bélarus plutôt que Biélorussie est compréhensible : Il s’agit de la présence du mot Russie dans Biélorussie, difficilement acceptable pour un pays fraîchement (plus ou moins) indépendant.

Rus’ (Русь), Rus’kaja Zemlja (Руськая Земля)

Au contraire, dans Bélarus, vous avez Rus (en langues slaves de l’Est : Rus', Русь), terme ancien qui désignait le territoire ancestral des Russes, des Ukrainiens et des Biélorusses avant la division des Slaves de l’Est en trois nations distinctes. Ce territoire couvrait les régions de Minsk à l’Ouest (Biélorussie actuelle), celles de Kiev et du nord de l’Ukraine au Sud, de Smolensk, Novgorod, Vladimir et Mourom au Nord et à l’Est (aujourd’hui en Russie).

A l’origine, le terme Rus' ou Rous’ (Pѹсь) vient du grec οἱ ̔Ρῶς. Il désignait les « Ros » (en russe росы), c’est-à-dire les membres de l’élite scandinave (les Varègues, en russe Варяги) qui, à la suite du chef de guerre Riourik (IXe siècle), avaient pris le pouvoir dans le pays, avant de s’étendre à l’ensemble des populations de ces territoires. Dans les trois langues slaves de l’Est, ce mot à de fortes connotations affectives, nationales, voire nationalistes. Beaucoup veulent se l’approprier. D’autant plus qu’il y a une ambiguïté dans les termes. Le terme « terre des Ros » (Rus’kaja Zemlja, Руськая Земля) est très semblable au terme « terre des Russes » (Russkaja Zemlja, Русская Земля).

Russie (Rossija, en russe Россия)

Les Grecs désignaient sous le nom de Ῥωσία, le pays des Ros (en russe страна росов, Русь), d’où Rossija (Россия), le pays des Russes, la Russie.

Grande Russie (Velikorossija, en russe Великороссия) et Petite Russie (Malorossija, en russe Малороссия)

Quand, à la fin du Xe siècle, Vladimir, prince de Kiev, se convertit au christianisme, la chancellerie du patriarcat de Constantinople, dont dépendait le territoire de la Rus’, prit l’habitude de distinguer deux régions : Μεγάλη `Ρωσσία , la Grande Russie (en russe Великая Россия, Великороссия) et Μικρὰ `Ρωσσία, la Petite Russie, (en russe Малая Россия, Малороссия). Le Grande Russie correspondait à la Russie proprement dite de l’époque, la Petite Russie, à l’Ukraine de l’époque, c'est-à-dire bien avant la conquête des territoires du Sud et de l'Est.

Biélorussie, Bélarus (Belarus’, en russe Беларусь, Belaja Rus’, en russe Белая Русь), Belorussija (en russe Белоруссия)

Si l’origine des toponymes Grande Russie et Petite Russie est connue, celle de Russie blanche (B'elarus') est controversée. Dans ce mot, on reconnaît sans peine l’élément -rus' (-русь), mais on s’interroge sur l’origine et le sens de b'ela- (бела-). L’adjectif signifie « blanc » dans les langues slaves de l’Est. Autrefois, sur les cartes dessinées en Europe occidentale, la région était appelée en latin Alba Russia (Russie blanche). D’autres régions slaves de l’Est, en dehors de la Grande et de la Petite Russie, ont aussi porté des noms de couleur comme la Rus’ rouge (Червонная ou Красная Русь, partie occidentale de l’Ukraine) et la Rus’ noire (Чёрная Русь, partie nord de la Biélorussie). Pour certains, traçant un parallèle avec la symbolique des couleurs chez les Tataro-Mongols, le noir désignerait la partie nord, le rouge la partie sud et le blanc, la partie ouest de la Rus’, d'où la désignation Russie blanche.

Pour ajouter à la complexité de la question, à l’époque soviétique a été créé le toponyme B’elorussija (en russe Белоруссия). Vous avez donc un pays et trois désignations : Беларусь (officielle dans le pays), Белоруссия (officielle en Russie), Biélorussie (officielle en France).

Les difficultés présentées par Bélarus en français

Le toponyme Bélarus présente deux types de difficultés en français : les unes d’ordre orthographique; une autre, grammatical.

La transcription phonétique de Беларусь est B’elarus’. L’apostrophe marque la mouillure des consonnes b et s. Ces deux marques, importantes en langues slaves, ont disparu dans la forme orthographique française Bélarus. Le graphème u représente le son écrit ou en français. L’orthographe Biélarous serait donc plus proche de la prononciation véritable que Bélarus.

Le terme Беларусь est féminin comme l’indique la désinence du mot русь (troisième déclinaison féminine) et l’accord au féminin de l’adjectif (бела). D'ailleurs les autorités du pays préconisent la formulation République de Bélarus, ce qui montre bien que, pour elles, le nom doit rester féminin en français comme en biélorusse. Ne dit-on pas République d'Autriche, de Bolivie et même de Biélorussie?

On devrait donc dire non pas le Bélarus, mais la Biélarous… la République de Biélarous... Cela dit, sans espoir de changement, bien sûr… La Bélarus serait déjà un progrès significatif...

Mots-clés : français ; transcription ; orthographe ; genre ; toponyme ; Беларусь ; Bélarus ; Biélorussie ; Grande Russie ; Petite Russie ; Russie blanche.

3 commentaires:

  1. Radio-Canada impose Bélarus mais je n'ai pu trouver de référence à cette décision.

    RépondreSupprimer
  2. Le Grand Dictionnaire terminologique, à la fiche "biélorusse", donne "habitant du Bélarus". En fait les médias francophones disent souvent Bélarus.

    RépondreSupprimer
  3. En 2022, Ange Bizet écrit: «... les recommandations officielles sont unanimes et constantes our maintenir les formes françaises Biélorussie et biélorusse suivant un usage séculaire» (Défense de la langue française, 3e trimestre 2022, p. 54). (G. Bernier)

    RépondreSupprimer