05 novembre 2020

Doit-on dire le ou la Covid ?

 Genèse du problème

Le 11 février 2020, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) annonçait, en anglais, qu’elle avait donné un nom à la nouvelle maladie (en anglais disease) qui se répandait en Europe depuis la Chine : « We now have a name for the #2019nCoV disease : COVID-19. I’ll spell it : C-O-V-I-D hyphen one nine – COVID-19 ».

Comme le nom était en anglais, le problème du genre ne se posait pas.. Les médias francophones se mirent alors à employer le mot COVID-19 au masculin. Ce choix du masculin peut s’expliquer par le fait que le mot sous-entendu en français était virus (mot masculin) : le coronavirus, le COVID-19.

Quelque temps plus tard, le site français de l’OMS publiait la version française de son choix terminologique : « maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) […] le virus responsable de la maladie COVID-19 ou le virus de la COVID­19 ». Le terme maladie (mot féminin) apparaissait nettement comme le noyau du syntagme (groupe de mots). On lisait bien « le virus responsable de la COVID-19 ».

Entre-temps, l’usage du masculin s’était implanté dans les médias francophones et même sur les sites officiels.

Les réactions

Au Canada

Le 6 mars 2020, Radio-Canada publiait une fiche linguistique dans ces termes : « L'OMS emploie dorénavant COVID-19 au féminin. Il est en effet plus logique d'employer le terme au féminin, car le nom complet est maladie à coronavirus 2019. Par conséquent, on dira et on écrira "la COVID-19" (sous-entendu "maladie à coronavirus 2019"), plutôt que "le COVID-19", pour se conformer à la décision de l'OMS ».

L’Office québécois de la langue française publiait un article COVID-19 dans son Grand Dictionnaire terminologique. Il y était dit : « On constate une hésitation dans le genre attribué au terme COVID-19, probablement à cause de la confusion entre la dénomination du virus (SRAS-CoV-2, masculin) et celle de la maladie (COVID-19, féminin). Les sigles étrangers prennent généralement le genre qu'aurait en français le mot de base qui les compose […]. En vertu de cette règle, COVID-19 est de genre féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à coronavirus 2019, le mot de base est maladie ».

En France

Le 7 mai 2020, l’Académie française précisait : « Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer français) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease […] signifie « maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”) ». On devrait donc dire la covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien ».

En novembre 2020, France Terme n’avait pas encore émis de recommandation d’usage pour COVID-19.

Force de l’usage

Si, au Canada, en particulier au Québec, ce revirement semble n'avoir posé de problème à personne et avoir été accepté et suivi par la majorité, ce n’est pas le cas en France, où le pouvoir d’influence des organismes de normalisation linguistique n’a pas la même force. Ainsi, le journal Le Monde a décidé d’opter « pour l’instant » (le 14 mai) pour le masculin. Les critiques et les sarcasmes soulevés par la déclaration de l’Académie française sont bien visibles, par exemple, dans cet échange sur le compte Twitter de la linguiste Laélia Véron : https://twitter.com/Laelia_Ve/status/1261554839248666625. 

La linguiste de conclure : « En tout cas, ça nous montre bien qui fait la langue française. C’est l’usage, qui peut être accompagné, freiné, accéléré par des pôles importants (les dicos, l’école, ici en l’occurrence les médias) mais certainement pas l’Académie ».

Le linguiste Mathieu Avanzi a publié deux graphiques très intéressants indiquant les fréquences d’emploi de « le COVID » et de « la COVID » en France et au Québec pour la période du 14 février au 14 mai (données collectées via Google Trends°) La différence des courbes est frappante. Alors qu’en mai la fréquence de « la COVID » dépasse celle de « le COVID » au Québec, en France la courbe de « la COVID » n’avait pas décollé : https://theconversation.com/le-la-covid-reouvrir-ou-rouvrir-les-lecons-de-grammaire-du-coronavirus-138633

Il serait intéressant de savoir qu’elle est la situation actuelle. Parions que la courbes des « la COVID » a aussi monté en France. L’usage du masculin est-il toujours aussi dominant plusieurs mois après les mises au point mentionnées ci-dessus ? C’est peu probable car on entend désormais « la COVID » en France, même si c'est encore minoritaire. Par exemple, le directeur général de la santé, le Pr Jérôme Salomon, le premier ministre Jean Castex, le président de la République Emmanuel Macron emploient aussi la forme féminine.

En date du 24 décembre 2020, selon Google Recherche avancée, pour la France et les 31 jours précédents, la fréquence d'emplois du syntagme "le covid" représentait 75 % des occurrences, celle de "la covid", 25 %.

Un article intéressant sur le sujet :

Mots-clés : langue française;  COVID; genre; masculin; féminin; France; Canada; Québec.

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