Présentation
Choix du titre :
Un titre volontairement provocateur, peut-être un peu
catastrophiste, quoique, vous verrez, je n’ai pas de bonnes nouvelles... Plusieurs
objectifs :
1) Dessiner un tableau lucide de la situation
réelle du français, loin du « jovialisme »(1) de l’Organisation internationale de la Francophonie
(OIF), selon qui, le français, avec 343 millions de francophones dans le monde,
serait « en pleine forme(2) » ;
2) Contribuer à une analyse objective du phénomène en
écartant les explications subjectives, contre-productives (anglomanie,
snobisme, etc.) ;
3) Sensibiliser le public aux menaces qui
pèsent sur notre langue (surtout les Français : au Québec, nous sommes
déjà sensibilisés) ;
4) Avancer des propositions pour contrer
l’érosion du français en France et en Europe, en s’inspirant, notamment, des
modèles canadien et québécois.
Sous-titre
J’ai procédé à deux types d’enquêtes :
1. Enquête physique, sur le terrain, dans des villes françaises. Pourquoi la
France ?
Parce que c’est là que le phénomène de l’anglicisation
est le plus patent ;
Parce que, si la France délaisse le français, cela
entraînera des répercussions sur les autres pays francophones, dont le Québec.
2. Enquête par navigation sur de nombreux sites web
français :
Sites institutionnels, sites de grandes entreprises,
des principaux médias (et aussi de nombreuses interrogations dans la base de
données Eureka.cc(3), pour évaluer
la concurrence entre termes anglais et termes français), sites officiels de
l’Union européenne (car c’est là que se joue, en grande partie, le sort du
français).
Trois angles d’analyse :
J’ai analysé l’état du français (c-à-d. de son corpus,
son lexique et sa grammaire) et de son utilisation (c-à-d. de son statut)
sous trois angles, d’où la division de mon livre en trois parties :
1) L’omniprésence de l’anglais dans l’environnement
visuel et auditif des Français (Première partie) ;
2) La pénétration de l’anglais dans le domaine du
corpus du français (Partie II) ;
3) La concurrence de l’anglais dans le domaine du
statut du français (Partie III).
Dans ma Conclusion, je présente une série de
mesures qui pourraient aider, sinon à inverser la situation, du moins à la
stabiliser.
Première partie : « La partie visible de
l’iceberg »
1) Sur le terrain. J’ai arpenté les rues
de grandes villes françaises (principalement Paris et Nice). J’ai relevé le nom
des enseignes. Je suis entré dans des magasins d’alimentation (Carrefour,
Monoprix...), des restaurants fast-food et « ethniques »
(McDonald’s, O’Tacos...), des boutiques de vêtements (Camaïeu, IKKS, Levy’s,
Undiz...), des librairies (FNAC...), des salons de coiffure, de barbier (barber
shop), etc.
À la différence de ce qu’on voit au Québec, partout,
j’ai été confronté à des enseignes, des noms de produits ou de services, des
slogans de campagnes publicitaires, des affichages en anglais ou dans une forme
hybride, franglaise.
Un exemple : Avenue
Jean-Médecin à Nice, 33% des enseignes étaient en anglais ou en franglais
(forme hybride) lors de mon relevé en 2022.
J’ai pensé au combat des Québécois pour donner un
« visage français » à leurs villes. En France, le cœur des villes
a désormais un visage franglais.
2) Sur la Toile, j’ai navigué sur les sites de grandes entreprises françaises (Renault,
Peugeot, Air France...), mais également des sites institutionnels (ministères,
régions, communes, universités, écoles de commerce, etc.).
Partout j’ai noté la présence de l’anglais : dans
le nom des sociétés, de leurs divisions, dans les slogans de leurs marques, les
noms de leurs produits et services, ceux de bâtiments publics, d’événements,
etc.
Un exemple : Le
Groupe Renault est devenu Renault Group en 2021. La division des camions
s’appelle Renault Trucks. Celle des produits, Renault Retail Group.
Le service après-vente, Renault Car Service. Celui de location de
véhicules, Renault Share Mobilize. Celui de remise en état des véhicules
d’occasion, Refresh Service par Renault Care...
Je ne veux pas abuser des exemples. J’en ai des
dizaines dans mon livre. Je terminerai cet aspect de la partie visible de
l’iceberg par trois autres exemples caractéristiques.
Un exemple de fast-food : En France, tous les services et les
« plats » chez McDonald’s sont des trademarks américaines, des
marques déposées en anglais : McDelivery, McChicken, McPancake,
Filet-o-Fish, Ice tea... Au Québec, même McDo a fait un gros
effort de francisation : McLivraison, McPoulet, McCrêpes,Filet de
poisson, Thé glacé...
Un exemple particulièrement ridicule : OceanSpray, coopérative américaine, vend des canneberges
au Québec et des cranberries en France.
Un exemple de marque territoriale : Celle d’Angers Loire Métropole
(agglomération d’Angers sur la Loire = anglicisme de syntaxe) est Angers
Loire Valley, anglicisme justifié de la manière suivante : « De
l'extérieur, la vallée de la Loire est un identifiant fort […]. Or, qu'on le
veuille ou non, l'anglais est devenu l'espéranto [sic] des temps
modernes. L'anglicisme s'est donc imposé, avec la volonté de présenter une
marque unique aussi bien en France qu'à l'étranger ». C’est clair : le
français ne convient pas aux étrangers, mais l’anglais convient aux Français,
même sur leur territoire.
Conclusion : en France, 1) l’anglais est partout
dans l’environnement visuel et auditif (Je n’ai pas parlé des chansons
diffusées dans les commerces. Ce sont pratiquement toujours des chansons
anglaises) ; 2) les Français eux-mêmes y ont systématiquement recours pour
nommer leurs sociétés, (même) leurs (petits) commerces, leurs produits, leurs
services, leurs événements. Dans la tête des gens, l’anglais est devenu la
langue de superstrat(4) ; 3) Il ne semble pas y avoir de forte volonté
politique d’abandonner cette pratique.
Mais la partie visible de l’iceberg n’est que le
symptôme de quelque chose de plus grave encore. Si l’on descend dans les
profondeurs, on découvre deux phénomènes plus inquiétants : la pression
que l’anglais exerce non seulement sur le corpus de la langue, mais aussi sur
son statut, son emploi...
Partie II : La pression de l’anglais sur le
corpus du français
Je n’entrerai pas dans le détail de la pénétration de
l’anglais dans le corpus du français. Dans le livre, j’en fait une longue
description fondée sur l’analyse de la langue des médias français (sur leurs
sites web ou à partir de la banque de textes journalistiques Eureka.cc)(5).
Dans ce but de sensibilisation, j’insiste sur le fait
que la pression de l’anglais sur le corpus du français ne se manifeste pas
seulement : 1) sur le lexique, mais aussi : 2) sur la
grammaire ; pas seulement : 3) sous la forme d’emprunts de mots
anglais, mais aussi : 4) de sens anglais ; pas seulement : 5)
sur la morphologie, mais aussi : 6) sur la syntaxe.
En fait, toutes les catégories de la langue sont
touchées, à part la phonologie (quoique avec un bémol : le phonème /ŋ/,
comme dans marketing : /maʁ.ke.tiŋ/, peut être considéré comme un emprunt à l’anglais), du moins en français central.
On observe cependant de grandes différences de
traitement dans la prononciation des mots anglais entre les Français
(prononciation souvent basée sur l’orthographe du mot) et les Québécois
(souvent basée sur la prononciation anglaise).
Tous ces phénomènes ont une seule et même cause :
la pression de l’anglais sur le français. On assiste à un processus
d’hybridation(6) anglais→français, un mouvement inverse, mais semblable à celui qui a
produit l’anglais
moderne à partir de l’invasion
anglo-normande (langue romane : latin, français→langue
germanique).
Au résultat, c’est ce que j’ai appelé le New
French, nouveau terme pour marquer qu’on avait atteint une étape
supplémentaire dans l’anglicisation depuis le franglais décrit
par Étiemble en 1964(7). Par New
French, j’entends un français en cours d’hybridation, fortement marqué par
des interférences lexicales, phraséologiques, morphologiques et syntaxiques de
l’anglais.
Plus de détails :
1. Pressions sur le lexique :
1.1 Emprunts de mots anglais : Ce sont ceux
qu’on remarque le plus facilement et qu’on combat (France Terme, Office
québécois de la langue française...) à cause de leur forme anglaise (leur
signifiant). On les compte par milliers : mots simples comme box, kit,
set, pack..., mots composés comme business plan, call center, check-list...,
tournures phraséologiques imagées comme business angel, low profile, open
bar...
Je me suis plus particulièrement intéressé à une
quarantaine d’adjectifs que j’ai déclarés « en instance de
naturalisation » : arty, cosy, easy, flashy, friendly, happy,
hard, healthy, punchy, soft, vintage, etc. Ces adjectifs fréquents posent
la question de la différence entre un xénisme et un emprunt.
1.2 Emprunts de sens anglais : Ce sont des
mots français auxquels s’est ajouté un sens anglais. Ils sont aussi très
nombreux comme conventionnel (vs classique, traditionnel),
dédié (vs consacré à, destiné à, prévu pour), éligible (vs
ayant droit à, admissible à), initier (vs lancer), opérer (vs
assurer, exploiter), questionner (vs remettre en question,
contester), réhabiliter (vs restaurer, rénover), sanctuaire (vs
refuge) ... Ce sont les anglicismes qu’on remarque le moins parce le sens
anglais (le signifié) se cache sous une forme française (le signifiant). Mais
ils sont la conséquence de la même pression de l’anglais sur le français.
2. Pression sur la grammaire :
3.1 Elle s’exerce non seulement sur le morphologie,
comme le préfixe e- (e-commerce) ; le suffixe -ing
(franglicismes : footing...) ; les suffixes lexicaux -gate
(= le scandale de), -land (= le pays de), man (homme) ; les
sigles (SUV) ; les acronymes (PIN) ; les troncations
par apocope (after, bachelor, drive) ; les mots-valises (podcast
= iPod + broadcasting) et tous ses dérivés (podcaster, podcastable,
podcasteur).
3.2 mais aussi sur la syntaxe, comme des
changements de partie du discours : Paris ville monde (vs de
rang mondial) ; des changements de construction : jouer une
équipe, signer un joueur ; des inversions dans l’ordre des mots :
Macron compatible, Sorbonne Université ; des combinaisons non
idiomatiques verbe+ complément : adresser un problème ; des
calques de construction : le deuxième plus grand ; des
accumulations d’adjectifs et d’adverbes antéposés. Exemple :
« Le très médiatique et controversé professeur marseillais, Didier
Raoult, est désormais visé par une plainte. » (lematin.ch,
03-09-2020).
Concurrence
La concurrence sur le marché linguistique entre mots
anglais et mots français n’est pas uniforme. Certains mots français résistent à
la pression (grille-pain vs toaster)(8), d’autres s’effondrent. Certains néologismes
s’imposent (jardinerie vs garden center), d’autres ne
« décollent » pas (camion-restaurant vs food-truck). Parfois,
la concurrence est serrée, laissant un léger avantage au français (stimuler vs
booster) ou à l’anglais (phishing vs hameçonnage).
Exemple : le
syntagme serial + nom a fourni un grand nombre de combinaisons comme serial
+ (nom négatif) agresseur, cambrioleur, menteur (Trump...), gaffeur
(Biden...), violeur, voleur ; serial + (nom positif) auteur,
buteur, entrepreneur, séducteur... Concurrence : dans le presse
française : cambrioleur en série (73% des occurrences) / serial
cambrioleur (27%).
Cependant si la concurrence de l’anglais dans le
corpus du français peut être irritante, voire insécurisante, ce n’est pas la
menace la plus grande qui pèse sur notre langue. Après tout, l’anglais a emprunté plus de mots
français que le français ne l’a fait de mots anglais. Langue germanique, il ne
compte plus que 25% de mots d’origine germanique contre 28% d’origine française
(tous dialectes et époques confondus) et 28% d’origine latine(9). Cela ne l’a pas empêché d’accéder au statut qu’on
lui connaît de première langue de communication mondiale.
Le français n’est pas encore anglicisé à ce point.
J’évalue ses emprunts lexicaux à l’anglais entre 8% (cf. 5 000, Weismann(10)) et 13% (cf. 8 000, Gilder(11)), si l’on s’en tient à la
langue générale (60 000 mots). Cependant le pourcentage est plus élevé, si
l’on prend en compte les vocabulaires spécialisés.
Il y a une menace plus grave que les anglicismes,
cette menace, c’est l’anglais lui-même et l’usage de plus en plus fréquent
qu’on en fait. C’est l’objet de ma Troisième
partie.
Partie III : La concurrence de l’anglais dans le
statut du français
C’est ce que j’ai appelé, inspiré par un titre célèbre(12), les « territoires
perdus de la langue française », c’est-à-dire la diminution des
territoires où la langue française est d’usage, qu’il s’agisse de territoires
physiques (en Europe, en Afrique) ou de domaines d’utilisation, de territoires
intellectuels (dans la diplomatie, le commerce, l’enseignement, la recherche
scientifique...).
J’ai déjà parlé de la dégradation de la présence du
français dans l’environnement visuel et auditif en France, de la supplantation
du français par l’anglais dans le nom des entreprises, des commerces, de leurs
produits et services, des bâtiments, des événements, etc. Ce sont des
territoires perdus, mais il y en a d’autres, plus graves encore.
Critique du « jovialisme » de l’OIF :
Je critique ses définitions (la notion même de
« francophone »), ses méthodes de calcul (l’absence de données
directes fiables) et ses chiffres. Contrairement à ce que l’OIF affirme(13), nous sommes certainement loin d’être 321 millions(14) à parler français sur la planète. Certes, nous sommes
souvent la deuxième langue après l’anglais. Mais une deuxième langue qui se
situe loin, très loin derrière lui.
1. Perte d’influence du français comme langue de
communication internationale :
1.1 La langue de la diplomatie :
Les institutions mondiales : à l’ONU à New York,
en 2017, 84,86% des textes ont été rédigés en anglais, 2,44%, en français.
Les institutions européennes : à Bruxelles, au
Secrétariat général de l’Union européenne, en 2017, 92,46% des documents ont
été rédigés en anglais, 2,07% en français.
La politique au niveau de l’Union européenne se fait
en anglais. Les directives et les sites web de l’UE sont rédigés en
anglais et, souvent, simplement traduits automatiquement dans les 23 autres
langues officielles de l’Union (avec mise en garde selon laquelle ces
traductions n’ont pas valeur légale).
Exemple : Le
groupe Renew Europe (social-libéral) au Parlement européen. En 2024, il
comprend 77 députés, dont 15 Français ; de 24 pays, 24 langues
différentes. Présidente : la Française Valérie Hayer. Comment éviter
l’anglais comme langue de communication ?
1.2 Le français comme langue de communication
en Europe :
Langue maternelle : 1) l’allemand (90 millions),
2) le français (72 à 75 millions, soit 15% de la population européenne).
Langue seconde : 1) l’anglais (44%), 2) le
français (20%).
1.3 Le français comme langue d’apprentissage de
langues étrangères en Europe : 1)
l’anglais (96% des élèves l’apprennent comme deuxième ou troisième langue), 2)
le français (22%), en perte de vitesse, talonné par l’allemand (18%) et
l’espagnol (17%), en hausse.
1.4 Quasi-disparition du français dans les
publications scientifiques :
En 1880, trois langues, l’anglais (36%), le français
(27%) et l’allemand (24%)(15), dominaient
les publications scientifiques. En 2006-2015, l’anglais représentait 97% des
publications indexées par le Science Citation Index Expanded (6 500
revues, 150 disciplines), le français, 0,4%.
1.5 La part véritable du français sur Internet :
La part du contenu par langues sur Internet est la
suivante : 1) anglais (60%), 5) français (4%), après le chinois (16%),
l’espagnol (8%) et l’arabe (5%). En 2023, le français occupait la 8e
place sur Internet par langues utilisées, soit 3% des utilisateurs.
2. Les territoires physiques du français : une
peau de chagrin ?
2.1 Perte d’influence du français en Afrique devant la
concurrence des langues nationales et de l’anglais. L’OIF pratique le déni dans ce domaine, parlant de
« partenariat » entre les langues plutôt que de
« concurrence ».
Très faible part des populations africaines ayant le
français comme langue première et même langue seconde.
2.2 Perte d’influence politique accentuée par les
putschs antifrançais et pro-russes
des années 2020-2022 (Mali, Guinée, Burkina Faso, Niger).
2.3 Recul du statut du français dans plusieurs pays
africains : En 2008, le Rwanda a
abandonné le français comme langue de l’enseignement et de l’administration. En
2014, le Burundi a intégré l'anglais dans son système éducatif et
administratif. En 2022, le Gabon et le Togo sont devenus membres du Commonwealth.
En 2022, l’Algérie a intégré l’enseignement de l’anglais dès la troisième année
du primaire en parallèle avec celui du français. En 2023, elle a décidé
d’interdire les programmes scolaires français dans les établissements privés.
Au Maroc, les jeunes générations préféreraient que l’anglais remplace le
français dans l’enseignement...
Le « choc des législations »
Ce que j’ai appelé « le choc des
législations », allusion à l’ouvrage célèbre de Samuel Huntington(16), est un
obstacle de taille dans la défense du français.
Les textes européens (Traité de Rome, décisions de
justice et directives diverses) interdisent en fait aux États de l’Union
d’imposer l’emploi unique d’une langue, de leur langue nationale, au nom de la
libre circulation des biens et des services. Cela favorise indirectement
l’anglais, seule langue considérée comme étant comprise par une majorité de
gens.
La loi française (loi Toubon) de défense du français
s’est heurtée à la législation européenne, un peu comme la Charte de la langue
française québécoise s’est heurtée à la Charte canadienne des droits et
libertés et aux arrêts de la Cour suprême du Canada. Par ailleurs, son
application même est peu respectée et les sanctions encourues, rarement
appliquées.
En prenant l’exemple d’un tube de dentifrice
Colgate, j’ai montré que le français était mieux protégé dans l’étiquetage
des produits de consommation au Canada qu’en France.
Conclusion
On le voit, contrairement à ce que prétendent l’OIF
(et les Linguistes atterrées), le français ne va pas très bien. En
fait, il va mal. Faut-il, baisser les bras pour autant ?
Certes, les obstacles sont énormes : la
mondialisation de l’économie, la nécessité de multiplier les échanges entre
locuteurs de langues différentes, l’anglais devenu lingua franca du XXIe
siècle, la puissance économique et culturel du monde anglo-saxon (États-Unis et
Grande-Bretagne), l’internationalisation de l’économie et de la politique au
niveau européen, le « choc des législations » en France, la priorité
donnée à d’autres questions (baisse du niveau de vie, délabrement des services
publics, augmentation de l’endettement, immigration incontrôlée, agression
russe en Ukraine), etc.
Cependant, s’il est difficile d’imaginer de renverser
la situation, d’inverser le mouvement d’anglicisation, il est encore possible
de le stabiliser dans certains domaines. C’est pourquoi je propose de prendre
des mesures en France et en Europe à l’instar de ce qui a été fait au Canada et
au Québec.
Cela pourrait paraître choquant au Québec, mais il
faut créer en Europe francophone une culture de cohabitation du français et de
l’anglais pour encadrer l’utilisation de ces deux langues, plutôt que le
laisser-aller actuel qui ne fait que favoriser l’expansion de l’anglais.
Voici une liste d’actions et de mesures à prendre pour améliorer la
situation :
·
Créer un débat
de fond sur la place des langues aux niveaux français et européen ;
·
Revoir la
législation européenne concernant l’usage des langues, afin de supprimer
l’avantage indu, dont bénéficie l’anglais ;
·
Lancer un
Grenelle des langues en France ;
·
Établir une
véritable politique linguistique française ;
·
Revoir la loi
Toubon et faire respecter la nouvelle loi ;
·
Créer un poste
de médiateur des langues ;
·
Créer un fonds
d’aide juridique aux associations de défense de la langue française ;
·
Introduire des
questions sur la connaissance et l’emploi des langues dans les recensements en France
;
·
Financer des
programmes de recherche sur l’utilisation des langues (au travail, etc.) ;
·
Favoriser la
diffusion des travaux des commissions de terminologie ;
·
Affecter en
priorité à l'éducation (à l'enseignement du/en français) les milliard consacrés
par la France au développement, en particulier en Afrique francophone.
Vaste programme ! comme aurait dit le général De
Gaulle.
***
Trois phénomènes à prendre en compte dans l’analyse de
la situation linguistique :
Marché des langues : L’ensemble des langues du monde constitue le « marché des
langues », marché sur lequel les clients vont
« s’approvisionner ». Comme sur tout marché, les produits se font
concurrence. Il y a des langues plus demandées que d’autres en fonction des
plus ou moins grands services qu’elles procurent. Sur ce marché, le français
subit une double concurrence de l’anglais : concurrence sur les mots à
« vendre » (de nos jours, le français emprunte plus à l’anglais que
l’anglais n’emprunte au français) ; concurrence sur le nombre de services
rendus (il y a des domaines, comme la communication scientifique, dans lesquels
l’anglais a supplanté le français).
Loi de l’utilité des langue
Deux critères essentiels expliquent l’expansion ou la
régression d’une langue : le nombre de locuteurs qu’elle permet
d’atteindre et le nombre de situations de communication dans lesquelles on peut
l’utiliser. C’est ce que j’appelle la loi d’utilité des langues, que je
formule de la manière suivante :
« Plus une langue permet de communiquer avec plus
de locuteurs dans plus de situations de communication, plus cette langue est
utile et plus elle a de chances de se développer. » (Le naufrage,
p. 219).
Loi générale d’économie d’énergie ou loi du moindre
effort
« Le principe ou la loi du moindre effort ou
principe de moindre résistance, postule que les individus sont intrinsèquement
attirés par les options qui nécessitent le moins d'effort, qu'il soit mental,
physique ou émotionnel. » (FourWeekMBA, 29-02-2024).
Cette loi est une des causes du recours aux emprunts,
produits prêts à servir.
***
Mots-clés : Lionel Meney, auteur, Le naufrage du
français, le triomphe de l'anglais. Enquête, titre, sociolinguistique,
langue française, concurrence de l'anglais, corpus, statut, France, Europe,
Afrique, Organisation internationale de la Francophonie, OIF.
(1) Jovialisme : (Québec) (Péjoratif) Optimisme
exacerbé et aveugle à la réalité (Wiktionnaire).
(2) C’est aussi la position des
Linguistes atterrées. Voir Le français va très bien, merci, Paris, coll.
Tract, Gallimard, 2023. J’ai rédigé une réponse à ce pamphlet sous le titre La
sociolinguistique entre science et idéologie, éditions Lambert-Lucas,
Limoges (à paraître).
(3) Eureka.cc (une société de Cision
inc.). Cette base de textes journalistiques donne accès à la quasi-intégralité
des articles de la presse française. Pour la période considérée (2018-2023),
elle comptait 45 millions d’articles.
(4) « Ensemble de faits
linguistiques (phonétiques, grammaticaux ou lexicaux) nouveaux dans une langue, imputables à
l’influence d’une autre langue. Dans ce cas, une langue B exerce son influence
sur une langue A sur un territoire donné, sans toutefois la supplanter. À
terme, les locuteurs de la langue B finissent par adopter la langue A. » (Wikipédia).
(5) J’ai également établi une
typologie des anglicismes en français québécois. Si les emprunts peuvent être
différents (quoique de moins en moins), les mêmes catégories s’appliquent. Voir
Le français québécois entre réalité et idéologie, Québec, Presses de
l’Université Laval, 2017, p. 191 et suiv.
(6) Hybridation : croisement
entre deux langues, en l’occurrence, l’anglais et le français.
(7) René Étiemble, Parlez-vous
franglais ? Paris, Gallimard, 1964.
(8) J’ai étudié le rapport de force
entre les anglicismes et les mots et sens français dans la presse francophone
européenne à partir de la base de textes journalistiques Eureka.cc pour la
période 2012-2022.
(9) Répartition établie en 1973
par Thomas Finkenstaedt et Dieter Wolff, en se basant sur les 80 000 mots
du Shorter Oxford Dictionary (3e édition).
(10) Weisman,
Peter, Dictionnaire étymologique et critique des anglicismes, Paris, De
Boccard, 2020.
(11) Gilder,
Alfred, En vrai français dans le texte : dictionnaire franglais-français,
Paris, Cherche-Midi, 1999.
(12) Emmanuel
Brenner (dir.), Les territoires perdus de la République, Paris, Pluriel,
2016.
(13) « Les
critiques de Lionel Meney apportent un regard précieux, sur les données
de l'OIF et soulignent la nécessité d'une approche plus rigoureuse et nuancée
concernant la mesure de l'usage du français à l'échelle mondiale. Sa
perspective invite à la réflexion et à un débat plus large sur la place du
français dans un monde en mutation linguistique. » (chatGPT, interrogé le
22/09/2024).
(14) OIF, La
langue française dans le monde (2019-2022). En 2024, nouvelle augmentation,
elle annonce le chiffre de 343 millions de francophones.
(15) Chiffres
arrondis.
(16) Samuel
Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Odile Jacob, 2009.