11 novembre 2025

La Sociolinguistique entre Science et Idéologie. Résumé rédigé par NotebookLM

La sociolinguistique entre science et idéologie de Lionel Meney constitue une critique détaillée du manifeste Le français va très bien, merci, publié par le groupe des « Linguistes atterrées » (LA). Meney soutient que les LA, bien que se positionnant comme scientifiques, adoptent une approche idéologique et politique en défendant des thèses sociolinguistiques controversées. La critique se concentre sur plusieurs points majeurs, notamment le rejet par les LA de l'idée que le français soit menacé par l'anglais, leur démolition de l'Académie française, et leur défense de l'orthographe laxiste, de l'écriture inclusive, et du langage SMS. Meney utilise des données statistiques sur la baisse des performances en orthographe pour contrecarrer les affirmations des LA et les accuse de partialité et d'inexactitude factuelle dans leurs analyses de la langue et des politiques linguistiques.

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I. Présentation et critique générale des Linguistes atterrées (LA)

Le livre de Lionel Meney se positionne comme une critique du Manifeste des Linguistes atterrées (Le français va très bien, merci), arguant que l'idéologie a pris le dessus sur la recherche scientifique dans leur ouvrage

1. Le Manifeste et son positionnement idéologique

Le Manifeste a été publié par un collectif de 18 universitaires internationaux (principalement français et belges, une Canadienne et un Suisse), visant à « rétablir quelques faits face à des contre-vérités » sur la langue. L'auteur du présent ouvrage critique le fait que ce collectif ne soit pas représentatif de la francophonie mondiale, s'étonnant de l'absence de linguistes africains, qui représentent pourtant 50 % de la Francophonie.

Les LA se présentent comme les « scientifiques de la langue », affirmant observer le langage avec objectivité et rigueur, en s'appuyant sur des méthodes précises, et prétendant n'émettre que des jugements de fait, sans jugement de valeur. Or, la critique de Meney souligne que les LA utilisent en réalité un argument d'autorité et un discours d'expert, rempli de certitudes, plutôt qu'un discours scientifique sur base d'hypothèses. Meney constate un glissement constant des jugements de fait vers les jugements de valeur.

2. Le « Combat démocratique » des LA

Le Manifeste s'inscrit dans un courant de sociolinguistes idéologiquement situés à gauche, voire à l'extrême gauche. Leur message principal est que la langue est caractérisée par de nombreuses variations (temporelles, spatiales, sociales, stylistiques, générationnelles) et que, « grosso modo... tout se vaut » et qu'il n'y a pas de « fautes ».

Le Manifeste se construit comme une quête visant à rétablir la vérité pour les « victimes de la norme imposée », considérant les linguistes comme des héros menant un « combat démocratique » pour les défavorisés (les jeunes, les provinciaux, les pauvres, les Belges). Les adversaires de ce combat sont clairement identifiés par les LA : la France, les Français, l'Académie française, les élites parisiennes, les puristes, les médias, et les dictionnaires établis à Paris.

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II. Examen critique des 10 sujets abordés

Les LA abordent dix sujets qui sont, selon Meney, des réfutations d'« idées reçues » ou de « contre-vérités ». La critique se concentre sur les inexactitudes, les contradictions et le manque de contextualisation des arguments des LA.

1. Sur le français et son appartenance

"Le français n’est plus « la langue de Molière": Les LA démontrent que le français de Molière est éloigné du français contemporain. La critique considère cela comme un « scoop » et une confusion entre une idée reçue et une simple figure de style (comme « la langue de Shakespeare »).

"Le français n’appartient pas à la France": La critique relève une « petite musique anti-française, anti-parisienne » dans cette affirmation. Meney rappelle le rôle historique majeur des rois de France, de Paris, des écrivains et des savants français dans la formation du français jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, une contribution que les LA omettent de mentionner. L'auteur souligne l'anticolonialisme sélectif des LA, qui critiquent la France (slogan Y’a bon Banania...) sans mentionner la politique linguistique coloniale belge au Congo ou l'utilisation du terme « Sauvages » au Canada.

2. Sur la menace de l'anglais (point 3)

"Le français n’est pas « envahi » par l’anglais": Les LA minimisent ou ignorent l'impact de l'anglais sur le français, rejetant la notion même d'anglicisme et affirmant que le « franglais n'existe pas en Europe » et n'a « pas d’assise linguistique ». Ils décrivent l'anglais et le français comme des « langues cousines »

• La critique réfute ces points en citant une étude selon laquelle 91 % des emprunts actuels viennent de l'anglais. Meney détaille les anglicismes touchant non seulement le lexique (mots, sens, phraséologie) mais aussi la grammaire (préfixes, suffixes, constructions syntaxiques). Les LA doivent reconnaître que l'anglais est « LA langue dominante à l'échelle planétaire ».

• Meney expose le « naufrage du français » dans le domaine du statut, citant la perte d'influence en diplomatie (seulement 2 % des textes à l'ONU et au SGC de l'UE sont en français) et dans la recherche scientifique (chute à 4,6 % des publications en 1980).

3. Sur l'Académie française (point 4)

"Le français n’est pas réglementé par l’Académie française": Les LA cherchent à décrédibiliser l'Académie, la décrivant comme incompétente (membres sans formation linguistique), paresseuse (dictionnaire non à jour), et élitiste.

• La critique rappelle que l'Académie a joué un rôle historique constant dans les adaptations orthographiques (notamment pour les Rectifications de 1990) et que l'importance des écrivains français dans la formation de la langue ne doit pas être minimisée. Meney reproche également aux LA leur contradiction : ils critiquent l'Académie mais citent en modèle l'Office québécois de la langue française (OQLF), une institution jugée encore plus « puriste ».

4. Sur l'orthographe et la compétence linguistique (points 5 et 6)

"Le français n’a pas une orthographe parfaite": Les LA souhaitent réformer l'orthographe, qu'ils considèrent comme un « marqueur social extrêmement puissant » qui handicape les enfants.

• La critique contredit l'idée que la valorisation de la maîtrise de l'orthographe soit propre à la France (citant les spelling bees aux États-Unis et les dictées dans d'autres pays). Meney présente des données de la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) montrant une nette régression de la maîtrise de l'orthographe chez les élèves de CM2 entre 1987 et 2021, infirmant l'idée des LA selon laquelle « les jeunes n'écrivent pas de plus en plus mal ».

"L’écriture numérique n’@bîme pas le français": Les LA défendent le langage SMS comme une « très grande richesse » et une preuve de « pluricompétence » des jeunes. Meney démontre que le langage SMS est en réalité contraint techniquement (160 caractères, clavier alphanumérique) et manque de normes partagées, posant de graves problèmes de lisibilité et de compréhension. Des chercheurs belges cités par les LA ont d'ailleurs constaté l'incompréhensibilité de nombreux SMS et ont dû les transcrire en français standard pour les analyser, ce qui est cocasse.

5. Sur l'extension du féminin (point 9)

« Le français n’est pas en "péril"  face à l’extension du féminin »: Les LA traitent ce sujet de manière très brève (quatre courtes pages) et sans clarification des notions complexes de « genre grammatical » et de « genre social ».

• Les LA affirment, de manière inexacte selon la critique, que « le français n’a pas de genre neutre » et que « l'anglais ne connaît pas de genre grammatical ». Meney réfute ces deux points par une analyse grammaticale détaillée (l'anglais distingue le genre par les pronoms he, she, it, et le français possède un genre neutre morphologiquement marqué par le masculin).

• Concernant l'écriture dite inclusive, les LA montrent une certaine distance en n’utilisant pas le point médian dans leur propre nom. L'ouvrage cite des études (Harris Interactive/Mots-clés) montrant que, si la féminisation des noms de métiers est massivement acceptée (84 % favorables), l'utilisation du point médian est rejetée par 61 % des internautes et les néologismes non-binaires par 79 %. L'argument selon lequel le masculin générique demande trop d'énergie au cerveau est contredit par l'idée que l’écriture inclusive, avec ses multiples formes et accords complexes, contrevient à la loi d'économie d'énergie régissant l'activité cérébrale.

III. Conclusion : Idéologie et non-scientificité

La critique conclut que, bien que les LA se proposent de réfuter les idées reçues, ils alignent eux-mêmes « les poncifs, les contradictions et les fausses vérités ».

Contradictions sur la norme : Les LA affirment que « le français n’existe pas » et que « le standard unique est un mythe ». Pourtant, le manifeste lui-même est écrit dans une langue qu'un francophone instruit, quelle que soit son origine (France, Belgique, Québec, Suisse, Afrique), peut comprendre sans difficulté (un « supralecte » commun). Plus curieusement encore, après avoir rejeté la norme, ils estiment qu'il faut aider les jeunes à passer d'une « écriture libre et spontanée à un français plus normé » lorsque c'est nécessaire.

Priorité à l'oral et dénigrement de l'écrit : Les LA déclarent ne pas privilégier l'écrit ni les « bons auteurs » au profit de l'oral, qui reflèterait un usage plus spontané et les évolutions en cours. Meney rappelle l'importance de la tradition écrite en français et le rôle des écrivains dans la constitution du lexique et de la norme.

Le primat de l'idéologie : L'auteur note que Françoise Gadet (co-autrice du Manifeste) a reconnu qu'il était « difficile de parler de sociolinguistique sans ancrage politique ». Meney conclut que les Linguistes atterrées ont caché, derrière l'apparence irréprochable de la science, un discours « anti-élitiste, populiste, jeuniste, "progressiste", voire gauchiste, relativiste » pour se poser en arbitres d'un débat qu'ils cherchent à trancher au nom de la science.

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Si l'on devait comparer l'approche de la critique de Meney, elle agit comme un vérificateur de faits systématique : elle prend les affirmations des Linguistes atterrées, les analyse à la lumière de la linguistique historique, de la grammaire et des données chiffrées (DEPP, PIRLS, PISA), et conclut que le Manifeste mélange souvent la science et une idéologie militante.

 Mots-clés: Lionel Meney, La sociolinguistique entre science et idéologie, Linguistes atterrées, résumé, NotebookLM.

La langue du coeur et celle de la raison.

Lionel Meney et Hans-Jürgen Greif, La langue du coeur et celle de la raison. Entretiens, Québec, éditions 8, 2025.

Langues, Identité et Création Littéraire

Ce document de synthèse analyse les entretiens menés par Lionel Meney avec l'écrivain d'origine allemande Hans-Jürgen Greif. Il explore en profondeur la relation complexe de Greif avec ses multiples langues et leur influence sur son identité et son œuvre littéraire. Né dans le contexte historiquement et linguistiquement unique de la Sarre, Greif a navigué entre l'italien (sa première langue, "langue du cœur" associée à sa mère), l'allemand standard ("langue paternelle" de la raison et de la structure), les dialectes franciques (langue de la rue) et le français, qui deviendra sa principale langue d'écriture.

Les points essentiels qui ressortent sont :

  • La répartition fonctionnelle et affective des langues : L'italien est la langue de l'amour maternel, l'allemand celle de la formation intellectuelle imposée par le père, et le français devient la "langue de la raison". Ce dernier lui offre une distance émotionnelle indispensable pour aborder les sujets difficiles et chargés qui caractérisent ses romans.
  • Le choix délibéré du français comme langue d'écriture : Greif explique avoir choisi d'écrire en français pour créer un "écran" entre ses émotions et sa pensée, une stratégie lui permettant de maintenir la posture d'observateur impartial nécessaire à son style, influencé par le réalisme et le naturalisme.
  • L'expérience de l'immigration au Québec : Son arrivée est marquée par un choc linguistique face au français québécois, mais aussi par une fascination qui le pousse à étudier cette variante, notamment pour écrire des romans ancrés dans la réalité québécoise en collaboration avec Guy Boivin.
  • La lucidité sur l'identité de l'immigrant : Malgré plus de cinquante ans passés au Québec, Greif, à l'instar du personnage Jean-Loup dans son roman Le pélican et le labyrinthe, conclut que la première génération d'immigrants ne devient jamais "tout à fait québécoise", faute de partager la "valise remplie de traditions" du pays d'accueil.
  • La traduction comme acte critique : L'expérience de l'auto-traduction de ses propres œuvres en allemand est perçue non comme une simple transposition, mais comme une opportunité de réécriture et d'adaptation à un nouveau public, en se mettant à la place du lecteur germanophone.

En somme, le parcours de Hans-Jürgen Greif illustre de manière saisissante comment l'identité d'un écrivain se forge à l'intersection de multiples langues, cultures et histoires personnelles, et comment le choix d'une langue d'écriture est un acte à la fois stratégique, créatif et profondément identitaire.

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1. Contexte Linguistique et Historique : L'Enfance en Sarre

L'environnement dans lequel Hans-Jürgen Greif a grandi est fondamental pour comprendre son rapport aux langues. La Sarre, sa région natale, est caractérisée par une histoire politique instable et une situation linguistique complexe.

  • Instabilité politique : La Sarre a changé huit fois de nationalité entre 1792 et 1955. Greif souligne que son père a changé cinq fois de passeport au cours de sa vie. De 1947 à 1957, la région avait le statut de protectorat français, avec le franc français comme devise jusqu'en 1954. Le référendum du 23 octobre 1955 a vu 67,7 % de la population voter en faveur du retour à l'Allemagne, un événement politique marquant pour l'adolescent de quatorze ans qu'il était alors.
  • Situation diglossique et bilingue : Le paysage linguistique de la Sarre était composé de quatre systèmes :
    • L'allemand standard (Hochdeutsch) : La langue des échanges formels, de l'école et de la maison familiale de Greif.
    • Les dialectes franciques : Le francique mosellan (Moselfränkisch) et le francique rhénan (Rheinfränkisch), qui étaient les langues de la rue et des interactions informelles.
    • Le français : Langue présente en raison de la proximité géographique et du statut politique de la Sarre.

Cette coexistence de plusieurs langues et registres a exposé Greif dès son plus jeune âge à une réalité de code switching (alternance de code) permanente.

2. La Hiérarchie des Langues : Cœur, Raison et Paternité

Le parcours linguistique de Greif est marqué par une répartition affective et fonctionnelle très nette entre les différentes langues qu'il maîtrise.

L'italien : La langue maternelle et affective

  • Première langue : L'italien est la première langue que Greif a entendue et parlée. Sa mère, d'origine italienne, s'adressait à lui en italien, contournant l'ordre de son père qui exigeait que l'on parle allemand aux enfants.
  • "La langue de l'amour" : Greif associe explicitement l'italien à l'amour maternel. C'était leur langue secrète, utilisée lorsqu'ils étaient seuls.
  • Apprentissage tardif de l'écriture : Bien que ce soit sa "véritable langue maternelle", il a appris à lire et à écrire l'italien sur le tard. Sa pratique s'est ensuite estompée, notamment après avoir dû abandonner l'enseignement de la littérature italienne à l'Université Laval par manque de temps.

L'allemand : La langue paternelle et de la formation

  • Langue de l'autorité : L'allemand standard était la langue imposée par son père à la maison. Toute utilisation de dialecte y était proscrite. Son père, "sarrois allemand dans l'âme", craignait le pouvoir de séduction de la culture française et voulait inculquer à ses fils une forte conscience de la langue allemande.
  • Apprentissage structuré : C'est son père qui lui a appris à lire, à écrire et à comprendre la structure de l'allemand, notamment la formation des mots composés (ex: Bratofen). Cet apprentissage fut une période "extraordinaire et fascinante".
  • La révélation du Hochdeutsch : Un événement capital fut un récital de l'acteur Klaus Kinski en 1957. Subjugués par sa diction et sa maîtrise de la langue, Greif et son frère ont décidé de ne plus jamais utiliser de dialecte entre eux. Cet événement a scellé la primauté de l'allemand standard comme langue de la culture et de l'expression soignée.
  • Perfectionnement : Greif a suivi des cours de phonétique orthophonique (Sprecherziehung) à l'université, une formation qu'il a mise à profit plus tard en l'enseignant au Conservatoire de musique de Québec.

Les dialectes franciques : La langue de la rue

  • Apprentissage par immersion : Greif a appris le francique mosellan dans la rue, pour s'intégrer aux groupes d'enfants. Il le décrit comme une "langue inconnue, très différente de l'allemand standard, et difficile à comprendre".
  • Un usage situationnel : Il utilisait le Hochdeutsch à la maison et le dialecte avec ses camarades, changeant de code "sans y penser".
  • Perte par manque de pratique : Avec la puberté et la "conversion" au Hochdeutsch après l'événement Kinski, l'usage des dialectes a cessé. Aujourd'hui, il serait incapable de mener une conversation dans ces dialectes, illustrant le dicton : "Une langue doit être parlée. Sinon, on la perd."

Le français : L'apprentissage et l'émergence de la langue de la raison

  • Premiers contacts : L'apprentissage du français s'est d'abord fait "à l'oreille" grâce à Paulette, une aide familiale française.
  • Formation scolaire : Il a suivi un cursus au Realgymnasium de Völklingen avec neuf ans de français. Il a perfectionné sa maîtrise lors de ses études à Caen, en Normandie.
  • Le moment du basculement : C'est à Caen qu'il a commencé à rêver et à penser en français. La langue s'est alors "superposée à l'allemand".

3. Le Choix du Français comme Langue d'Écriture

La décision de Greif d'adopter le français comme principal véhicule de sa création littéraire est un choix conscient et stratégique, lié à la nature de son œuvre.

La fonction de distanciation émotionnelle

Greif affirme écrire en français depuis plus de trente ans car cette langue lui offre une distance nécessaire face à des sujets à forte charge émotive.

  • "La langue de la raison" : De l'italien, "langue du cœur" de son enfance, il est passé au français, devenu pour lui la "langue de la raison".
  • Un "écran" protecteur : Il cite un passage de son roman La colère du faucon, où le personnage de Falk, après la mort de sa mère, dit à son ami en français : "Même si le français est devenu ma seconde langue maternelle, elle agit à la manière d’un écran entre moi et ce que je dis."
  • La posture de l'observateur : Cette distance lui permet d'adopter la perspective de "l'observateur impartial" et d'éviter de mettre "ses tripes sur la table". Il cite comme exemples les destins difficiles de ses personnages dans Orfeo, M., ou La bonbonnière. Cette posture lui a parfois valu le reproche d'avoir un "œil clinique", ce à quoi il répond en invoquant l'influence des auteurs réalistes et naturalistes (Zola, Maupassant, Hauptmann).

Le parcours vers l'écriture en français

  • Première tentative : Une première tentative d'écriture en français à vingt ans à Caen fut un échec qu'il juge "bénéfique", lui faisant prendre conscience de son manque de maturité littéraire.
  • Débuts en allemand : Son premier livre de fiction, Kein Schlüssel zum Süden (1984), a été écrit en allemand.
  • Le tournant de 1990 : Il opte définitivement pour le français avec son premier "roman" publié au Québec, L'autre Pandore. Bien qu'il juge ce livre imparfait, sa mise en nomination pour le Prix du Gouverneur général l'a conforté dans son choix.
  • Abandon de la scène littéraire allemande : Ayant compris qu'il faut "demeurer présent sur la scène littéraire" pour se faire un nom, il a abandonné son projet de publier en Allemagne pour se consacrer au Québec, malgré la crainte initiale d'être perçu comme un "métèque".

4. L'Expérience Québécoise : Immersion et Collaboration

L'arrivée de Greif au Québec en 1969 constitue une nouvelle étape cruciale de son parcours linguistique et littéraire.

Découverte du français québécois

  • Le choc linguistique : Malgré un avertissement au consulat canadien sur le "joual", il n'était pas préparé à une variante de français si différente. Il ne comprenait "strictement rien" à son premier chauffeur de taxi. Sa première rencontre avec une employée du pavillon universitaire, avec son accent et son vocabulaire ("chau dière", "vadrouille", "moppe"), fut déroutante mais fascinante.
  • La familiarisation par la culture : Un tournant décisif a été la lecture de Une saison dans la vie d’Emmanuel de Marie-Claire Blais, qui lui a ouvert une fenêtre sur le Québec rural. Par la suite, la pièce de théâtre T’es pas tannée, Jeanne d’Arc ? (qu'il n'a comprise que grâce à la "traduction" de ses étudiants) a éveillé son désir de "plonger dans cette nouvelle langue".
  • Apprentissage et appréciation : Il a commencé à écouter attentivement, à enregistrer mentalement et à s'intéresser aux origines des mots et aux expressions savoureuses comme "s’enfarger dans les fleurs du tapis".

La collaboration littéraire avec Guy Boivin

Greif a co-écrit trois romans se déroulant au Québec (La bonbonnière, Le temps figé, Le pélican et le labyrinthe) avec l'auteur québécois Guy Boivin. Cette collaboration a été essentielle pour assurer l'authenticité linguistique des personnages.

  • Répartition des rôles : Boivin s'occupait de la documentation et de la chronologie, tandis que Greif se chargeait de la structure narrative et de la rédaction.
  • Validation linguistique : Greif consultait "sans cesse" Boivin pour le choix des mots dans les dialogues, insistant sur "l'effet de réel". Boivin, en tant que locuteur natif, pouvait fournir les nuances nécessaires et l'encourageait à opter "pour le plus léger, le plus riche de sens", suivant la pensée de Paul Valéry.
  • Une collaboration fructueuse : Greif souligne la patience et la sensibilité de Boivin, juriste de formation, à la pertinence et à la portée des mots, ce qui a rendu leur travail "un plaisir toujours renouvelé".

5. Traduction, Auto-traduction et Identité de l'Auteur

L'expérience de la traduction, qu'elle soit réalisée par un tiers ou par lui-même, offre à Greif une nouvelle perspective sur son propre texte.

  • Être traduit : La traduction anglaise d'Orfeo par Fred A. Reed a été "réussie dans l'ensemble", bien que Greif ait noté quelques erreurs, comme la confusion entre une "psyché" (grand miroir) et une "statue of Psyche". Il souligne que, globalement, le traducteur n'a pas trahi le texte.
  • L'auto-traduction comme réécriture : Greif a traduit lui-même deux de ses livres en allemand : Le jugement et Le chat proverbial. Il ne considère pas cela comme une simple transposition, mais comme une occasion de réadapter l'œuvre pour un public germanophone.
    • Liberté de l'auteur-traducteur : Il s'est permis des raccourcis et des modifications, comme la suppression de passages jugés trop techniques sur la peinture dans Das Urteil, suivant les conseils de son mentor suisse Willi Schmid.
    • Un acte critique : Traduire ses propres œuvres lui permet de voir le texte avec une "approche critique", en se mettant "à la place d'un lecteur germanophone". Il ne remet un manuscrit que lorsqu'il est convaincu qu'il exprime précisément ce qu'il visait.

6. Réflexions sur l'Exil, l'Appartenance et l'Identité

Le parcours de Greif culmine dans une réflexion sur son identité d'immigrant, mise en perspective avec la figure de l'écrivain exilé Heinrich Heine.

L'immigrant et la "valise remplie de traditions"

  • Jamais "tout à fait québécois" : Greif partage la conclusion de sa collègue Régine Robin : la première génération d'immigrants ne se sentira jamais pleinement du pays d'accueil. Il cite son personnage Jean-Loup : "un immigrant ne devient jamais tout à fait québécois. La valise remplie de traditions me manquait."
  • L'esprit de clan à Québec : Il décrit la société de la ville de Québec comme plus homogène et fermée que celle de Montréal, avec un "esprit de clan, voire de clocher", ce qui rend difficile pour un étranger de nouer des liens d'amitié profonds avec des personnes originaires de la ville.

L'absence de nostalgie et la figure de Heine

  • Une différence fondamentale avec Heine : Interrogé sur la nostalgie de l'Allemagne, Greif se distingue nettement de Heinrich Heine, qui exprimait un amour profond pour sa patrie perdue. Greif, lui, n'a gardé "aucune nostalgie" pour le pays de son enfance.
  • Le rejet de l'Allemagne d'après-guerre : L'Allemagne qu'il a quittée dans les années 1960 était un pays où la génération de son père avait "oblitéré de leur mémoire les actes cruels et barbares". Le climat politique alourdi par la radicalisation et la naissance du terrorisme (bande à Baader) l'a convaincu de partir.
  • Le Québec, terre de liberté : Sa décision de rester au Québec est motivée par la "liberté d'expression et d'action" qu'il y a trouvée, notamment au sein de l'université qui l'a soutenu et lui a fait confiance.
  • Des rêves sans regret : Il conclut que ses rêves de l'Allemagne sont "souvent chargés d'émotions, mais sans nostalgie ni regrets." Ils s'espacent avec le temps.
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  • Mots-clés: Entretiens, Hans-Jürgen Greif, Lionel Meney, langue du coeur, langue de la raison; allemand, italien, français, français québécois, polyglotte, littérature, identité. 

Крушение французского языка, триумф английского.

Lionel Meney, Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais. Enquête (Крушение французского языка, триумф английского. Расследование).

Этот труд представляет собой подробный социолингвистический анализ текущего положения французского языка, который, по мнению автора, сталкивается с колоссальным давлением со стороны английского.

Основной тезис и цель работы

Автор утверждает, что французский язык переживает массированное «вторжение англицизмов», которые повсеместно видны и слышны во Франции. Мене полагает, что французский язык чувствует себя «плохо, очень плохо» (mal, très mal), потеряв свою жизнеспособность и, что более важно, свою полезность.

Это явление вышло за рамки прежнего Franglais и теперь характеризуется как New French. Под этим термином автор подразумевает процесс гибридизации языка, который сильно отягощен лексическими, фразеологическими и грамматическими интерференциями со стороны английского.

Основная цель книги — детально описать ту двойную конкуренцию, которую английский оказывает на французский язык: как на его corpus (внутренняя структура), так и на его status (сфера использования и влияние). В заключение автор предлагает ряд мер, чтобы попытаться затормозить этот начавшийся упадок.

Часть I: Видимая часть айсберга (Англизация)

Обзор начинается с расследования, в ходе которого автор наблюдал улицы Парижа, Ниццы и других французских городов, анализируя вывески, веб-сайты, медиа и прессу.

Эта часть показывает, что английский преобладает в визуальной и слуховой среде:

• Англицизмы массово проникают в повседневный словарь (Black Friday, booster, fake news, streaming).

• Крупные национальные компании (EDF, Renault) и малый бизнес (Prestige Barbershop) предпочитают английские названия для своих компаний, продуктов и услуг.

• Даже влиятельные лексикографы (Larousse, Le Robert) ежегодно узаконивают новые англицизмы для привлечения внимания.

• Явление затрагивает и государственные учреждения, о чем свидетельствуют такие названия, как France Services или Choose France.

• Зачастую, если оригинальное английское название фильма считается слишком сложным, его заменяют другим, более простым, английским названием, вместо того чтобы перевести на французский.

• В McDonald's France почти все меню носит английские названия (Beef, Chicken, Filet-o-Fish), в отличие от Квебека, где используются французские эквиваленты (например, Joyeux Festin вместо Happy Meal).

По мнению автора, создается впечатление, что французы либо потеряли способность, либо, что еще хуже, потеряли желание называть явления современности на своем родном языке.

Часть II: Глубинное проникновение в корпус французского языка

Влияние английского не ограничивается заимствованием слов, а затрагивает саму структуру французского языка.

Лексика: Заимствуются не только слова по форме (kit, set, week-end), но и по значению (семантические англицизмы), когда французские слова приобретают английское значение (например, contrôler [проверять] используется в английском смысле «управлять» или «контролировать/доминировать»).

Корпоративный язык: В международной профессиональной среде процветает гибридный жаргон (corporate language), насыщенный заимствованиями (feedback, deadline, workshop), включая глаголы (booster, checker) и аббревиатуры (ASAP, FYI).

Синтаксис и морфология: Наблюдаются заимствования английских префиксов и суффиксов (например, e-commerce) и кальки синтаксических конструкций, предпочитающих английский порядок слов (определяющее слово перед определяемым). Это привело к появлению таких гибридных форм, как Sorbonne Université или Lorraine Aéroport (с французской лексикой, но английским синтаксисом).

Мене оценивает, что как минимум 10% общеупотребительной французской лексики состоит из англицизмов по форме.

Часть III: Снижение статуса французского языка

Наиболее серьезной проблемой является потеря статуса и влияния французского языка на глобальном уровне.

Международные организации: Французский язык все реже является реальным рабочим языком. В ООН в Нью-Йорке в 2017 году 84,86% текстов, поданных на перевод, были на английском, и только 2,44% — на французском. Аналогичная ситуация наблюдается в Европейском союзе (ЕС): в Генеральном секретариате Совета (SGC) 92,46% документов было составлено на английском, и лишь 2,07% — на французском.

Наука и высшее образование: Доля французского в научных публикациях резко упала: с 27,2% в 1880 году до 0,4%–0,5% в 2015 году (по данным SCIE). Английский язык навязывается как язык преподавания во французских университетах для привлечения иностранных студентов.

Интернет: Вопреки оптимистичным заявлениям Международной организации Франкофонии (МОФ/OIF) о том, что французский является 4-м языком в Интернете, другие данные показывают, что по количеству пользователей он занимает 7-е место (3,3%), а по языку самых популярных сайтов — 6-е место (2,5%).

Вывод: Спасти то, что можно

Мене заключает, что англицизмы — это всего лишь симптом; настоящая опасность — это сама мощь английского языка. Он призывает к прагматичному подходу и организации языкового сосуществования. Автор считает необходимым пересмотреть французский закон Тубона, чтобы заставить компании соблюдать примат французского языка на национальной территории, вдохновляясь успешными мерами лингвистического планирования в Квебеке.

По мнению Мене, упадок языка тесно связан с упадком влияния Франции в экономическом, научном и культурном сектора.

Ключевые слова: социолингвистика, языковая конкуренция, английский и французский, англицизация, потеря влияния, Франция, закон полезности языка.

The decline of French, the triumph of English

Lionel Meney's work, Le naufrage du français, le triomphe de l’anglais. Enquête (The Wreck of French, the Triumph of English. An Inquiry), Québec-Paris, Presses de l’Université Laval-Hermann, 2024.

This book offers a detailed sociolinguistic analysis concerning the current state of the French language in the face of overwhelming pressure from English.

Central Thesis and Objective of the Work

The author, Lionel Meney, who is also known for his research on Quebec French, asserts that French is undergoing a true invasion of Anglicisms, which are visible and audible everywhere in France. He states frankly that French is faring "mal, très mal" (badly, very badly), having lost its vitality and, more seriously, its utility.

The phenomenon is so extensive that yesterday's franglais is nothing compared to the New French of today. The author defines New French as French in a process of hybridization, deeply marked by lexical, phraseological, and grammatical interferences from English (Anglicisms).

The main objective of the book is to describe in detail this double competition exerted by English on the French language. This competition affects both its corpus (its internal structure, including lexicon and grammar) and its status (its use and influence). Ultimately, Meney puts forward a series of proposals to try and slow this engaged decline before the complete "wreck" (naufrage).

Part I: The Visible Part of the Iceberg (The Inquiry)

The book is founded on a methodical investigation conducted by the author, who observed the streets of Paris, Nice and other French cities, analyzing displays in major chains (Carrefour, Monoprix, McDo), websites (Air France, Renault), and media programs.

This section reveals that English is ubiquitous in the visual and auditory environment. Concrete examples show:

• Anglicisms entering common vocabulary: Black Friday, booster, fake news, streaming...

• Major national companies (EDF with Linky, Renault with Care Service, Carrefour with drive piétons) and small local businesses (Beauty Hair, Prestige Barbershop) prioritize English for company, product and service names.

• Major dictionary publishers like Larousse and Le Robert legitimize a new harvest of Anglicisms every year in pursuit of buzz.

• Even the State and public institutions are affected, exemplified by names like France Services (English syntax), Choose France, and Health Data Hub…

• Film titles are often kept in English or re-translated into a simpler English title for the French public, rather than being translated into French.

• Commercial messages often use hybrid wordplay (e.g., HomeSchmidtHome).

• The widespread adoption of English commercial names suggests that the French have lost the capacity or, worse, the desire, to name modern things in their own language.

Part II: Penetration into the Corpus of French

The analysis delves deeper, showing that English influence is not limited to simple vocabulary borrowing but affects the core structure of French.

The lexicon is submerged not only by borrowings of form (e.g., kit, set, week-end) but also by borrowings of sense (anglicismes de signifié), where French words take on an English meaning (e.g., contrôler [to verify] used in the English sense of "to master/control").

An entire section is dedicated to corporate language, a hybrid jargon combining French and English elements that is essential in international professional settings. This language is rich in borrowings (nouns: feedback, deadline, workshop; verbs: booster, checker, forwarder; abbreviations: ASAP, FYI).

English influence also appears in morphology and syntax:

• Adoption of English prefixes and suffixes (e.g., the prefix e-, the suffix -gate).

• Calques of syntactic constructions, favoring the English word order (determiner before determined), resulting in forms like Sorbonne Université or Lorraine Aéroport (a hybrid form with French vocabulary but English syntax).

The author estimates that at least 10% of the lexicon of the general French language is composed of Anglicisms of form. The simple and brief nature of English terms (hotline, podcast) favors their adoption, adhering to the "law of least effort" that governs language evolution.

Part III: The Downgrading of French Status

The most severe problem identified is the loss of status and influence of French on a global level.

International Institutions: French is less and less the effective working language. At the UN in New York, English accounted for 84.86% of words received for translation in 2017, compared to only 2.44% for French. In the European Union (EU), English massively dominates document drafting (92.46% at the General Secretariat of the Council). French is often relegated to a second-tier language requiring constant translation.

Research and Higher Education: The share of French in scientific publications has plummeted from 27.2% in 1880 to 0.4% in 2015 in SCIE publications. English is increasingly imposed as the language of instruction in higher education, even in France, to attract foreign students.

Internet: Despite optimistic assertions from the International Organization of La Francophonie (OIF), French often ranks lower than 4th online, far behind English and other languages. The OIF often relies on high "optimistic" figures for the number of Francophones based on broad definitions of the "capacity to express oneself", which obscures the reality of daily usage and genuine fluency.

Conclusion: Saving What Can Be Saved

Meney concludes that Anglicisms are only the symptom of the true danger, which is the power of English itself. He warns against the State's passivity and criticizes European legislation that indirectly facilitates the introduction of English, often to the detriment of clear information in the national language (e.g., product labeling and instruction).

Instead of simply criticizing American imperialism, he calls for a pragmatic attitude and the organization of linguistic coexistence. This includes revising the French Toubon Law to impose the primacy of French on French territory, drawing inspiration from the successful linguistic planning policies implemented in Quebec. The author suggests that the decline of the language is closely tied to the decline of France's power in various sectors (economic, scientific, cultural).

Keywords: sociolinguistics, language competition, English vs French, France, anglicization, loss of influence, law of language utility