La sociolinguistique entre science et idéologie de Lionel Meney constitue une critique détaillée du manifeste Le français va très bien, merci, publié par le groupe des « Linguistes atterrées » (LA). Meney soutient que les LA, bien que se positionnant comme scientifiques, adoptent une approche idéologique et politique en défendant des thèses sociolinguistiques controversées. La critique se concentre sur plusieurs points majeurs, notamment le rejet par les LA de l'idée que le français soit menacé par l'anglais, leur démolition de l'Académie française, et leur défense de l'orthographe laxiste, de l'écriture inclusive, et du langage SMS. Meney utilise des données statistiques sur la baisse des performances en orthographe pour contrecarrer les affirmations des LA et les accuse de partialité et d'inexactitude factuelle dans leurs analyses de la langue et des politiques linguistiques.
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I. Présentation et critique générale des Linguistes atterrées (LA)
Le livre de Lionel Meney se positionne comme une critique du Manifeste des Linguistes atterrées (Le français va très bien, merci), arguant que l'idéologie a pris le dessus sur la recherche scientifique dans leur ouvrage
1. Le Manifeste et son positionnement idéologique
Le Manifeste a été publié par un collectif de 18 universitaires internationaux (principalement français et belges, une Canadienne et un Suisse), visant à « rétablir quelques faits face à des contre-vérités » sur la langue. L'auteur du présent ouvrage critique le fait que ce collectif ne soit pas représentatif de la francophonie mondiale, s'étonnant de l'absence de linguistes africains, qui représentent pourtant 50 % de la Francophonie.
Les LA se présentent comme les « scientifiques de la langue », affirmant observer le langage avec objectivité et rigueur, en s'appuyant sur des méthodes précises, et prétendant n'émettre que des jugements de fait, sans jugement de valeur. Or, la critique de Meney souligne que les LA utilisent en réalité un argument d'autorité et un discours d'expert, rempli de certitudes, plutôt qu'un discours scientifique sur base d'hypothèses. Meney constate un glissement constant des jugements de fait vers les jugements de valeur.
2. Le « Combat démocratique » des LA
Le Manifeste s'inscrit dans un courant de sociolinguistes idéologiquement situés à gauche, voire à l'extrême gauche. Leur message principal est que la langue est caractérisée par de nombreuses variations (temporelles, spatiales, sociales, stylistiques, générationnelles) et que, « grosso modo... tout se vaut » et qu'il n'y a pas de « fautes ».
Le Manifeste se construit comme une quête visant à rétablir la vérité pour les « victimes de la norme imposée », considérant les linguistes comme des héros menant un « combat démocratique » pour les défavorisés (les jeunes, les provinciaux, les pauvres, les Belges). Les adversaires de ce combat sont clairement identifiés par les LA : la France, les Français, l'Académie française, les élites parisiennes, les puristes, les médias, et les dictionnaires établis à Paris.
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II. Examen critique des 10 sujets abordés
Les LA abordent dix sujets qui sont, selon Meney, des réfutations d'« idées reçues » ou de « contre-vérités ». La critique se concentre sur les inexactitudes, les contradictions et le manque de contextualisation des arguments des LA.
1. Sur le français et son appartenance
• "Le français n’est plus « la langue de Molière": Les LA démontrent que le français de Molière est éloigné du français contemporain. La critique considère cela comme un « scoop » et une confusion entre une idée reçue et une simple figure de style (comme « la langue de Shakespeare »).
• "Le français n’appartient pas à la France": La critique relève une « petite musique anti-française, anti-parisienne » dans cette affirmation. Meney rappelle le rôle historique majeur des rois de France, de Paris, des écrivains et des savants français dans la formation du français jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, une contribution que les LA omettent de mentionner. L'auteur souligne l'anticolonialisme sélectif des LA, qui critiquent la France (slogan Y’a bon Banania...) sans mentionner la politique linguistique coloniale belge au Congo ou l'utilisation du terme « Sauvages » au Canada.
2. Sur la menace de l'anglais (point 3)
• "Le français n’est pas « envahi » par l’anglais": Les LA minimisent ou ignorent l'impact de l'anglais sur le français, rejetant la notion même d'anglicisme et affirmant que le « franglais n'existe pas en Europe » et n'a « pas d’assise linguistique ». Ils décrivent l'anglais et le français comme des « langues cousines »
• La critique réfute ces points en citant une étude selon laquelle 91 % des emprunts actuels viennent de l'anglais. Meney détaille les anglicismes touchant non seulement le lexique (mots, sens, phraséologie) mais aussi la grammaire (préfixes, suffixes, constructions syntaxiques). Les LA doivent reconnaître que l'anglais est « LA langue dominante à l'échelle planétaire ».
• Meney expose le « naufrage du français » dans le domaine du statut, citant la perte d'influence en diplomatie (seulement 2 % des textes à l'ONU et au SGC de l'UE sont en français) et dans la recherche scientifique (chute à 4,6 % des publications en 1980).
3. Sur l'Académie française (point 4)
• "Le français n’est pas réglementé par l’Académie française": Les LA cherchent à décrédibiliser l'Académie, la décrivant comme incompétente (membres sans formation linguistique), paresseuse (dictionnaire non à jour), et élitiste.
• La critique rappelle que l'Académie a joué un rôle historique constant dans les adaptations orthographiques (notamment pour les Rectifications de 1990) et que l'importance des écrivains français dans la formation de la langue ne doit pas être minimisée. Meney reproche également aux LA leur contradiction : ils critiquent l'Académie mais citent en modèle l'Office québécois de la langue française (OQLF), une institution jugée encore plus « puriste ».
4. Sur l'orthographe et la compétence linguistique (points 5 et 6)
• "Le français n’a pas une orthographe parfaite": Les LA souhaitent réformer l'orthographe, qu'ils considèrent comme un « marqueur social extrêmement puissant » qui handicape les enfants.
• La critique contredit l'idée que la valorisation de la maîtrise de l'orthographe soit propre à la France (citant les spelling bees aux États-Unis et les dictées dans d'autres pays). Meney présente des données de la DEPP (Direction de l’évaluation de la prospective et de la performance) montrant une nette régression de la maîtrise de l'orthographe chez les élèves de CM2 entre 1987 et 2021, infirmant l'idée des LA selon laquelle « les jeunes n'écrivent pas de plus en plus mal ».
• "L’écriture numérique n’@bîme pas le français": Les LA défendent le langage SMS comme une « très grande richesse » et une preuve de « pluricompétence » des jeunes. Meney démontre que le langage SMS est en réalité contraint techniquement (160 caractères, clavier alphanumérique) et manque de normes partagées, posant de graves problèmes de lisibilité et de compréhension. Des chercheurs belges cités par les LA ont d'ailleurs constaté l'incompréhensibilité de nombreux SMS et ont dû les transcrire en français standard pour les analyser, ce qui est cocasse.
5. Sur l'extension du féminin (point 9)
• « Le français n’est pas en "péril" face à l’extension du féminin »: Les LA traitent ce sujet de manière très brève (quatre courtes pages) et sans clarification des notions complexes de « genre grammatical » et de « genre social ».
• Les LA affirment, de manière inexacte selon la critique, que « le français n’a pas de genre neutre » et que « l'anglais ne connaît pas de genre grammatical ». Meney réfute ces deux points par une analyse grammaticale détaillée (l'anglais distingue le genre par les pronoms he, she, it, et le français possède un genre neutre morphologiquement marqué par le masculin).
• Concernant l'écriture dite inclusive, les LA montrent une certaine distance en n’utilisant pas le point médian dans leur propre nom. L'ouvrage cite des études (Harris Interactive/Mots-clés) montrant que, si la féminisation des noms de métiers est massivement acceptée (84 % favorables), l'utilisation du point médian est rejetée par 61 % des internautes et les néologismes non-binaires par 79 %. L'argument selon lequel le masculin générique demande trop d'énergie au cerveau est contredit par l'idée que l’écriture inclusive, avec ses multiples formes et accords complexes, contrevient à la loi d'économie d'énergie régissant l'activité cérébrale.
III. Conclusion : Idéologie et non-scientificité
La critique conclut que, bien que les LA se proposent de réfuter les idées reçues, ils alignent eux-mêmes « les poncifs, les contradictions et les fausses vérités ».
• Contradictions sur la norme : Les LA affirment que « le français n’existe pas » et que « le standard unique est un mythe ». Pourtant, le manifeste lui-même est écrit dans une langue qu'un francophone instruit, quelle que soit son origine (France, Belgique, Québec, Suisse, Afrique), peut comprendre sans difficulté (un « supralecte » commun). Plus curieusement encore, après avoir rejeté la norme, ils estiment qu'il faut aider les jeunes à passer d'une « écriture libre et spontanée à un français plus normé » lorsque c'est nécessaire.
• Priorité à l'oral et dénigrement de l'écrit : Les LA déclarent ne pas privilégier l'écrit ni les « bons auteurs » au profit de l'oral, qui reflèterait un usage plus spontané et les évolutions en cours. Meney rappelle l'importance de la tradition écrite en français et le rôle des écrivains dans la constitution du lexique et de la norme.
• Le primat de l'idéologie : L'auteur note que Françoise Gadet (co-autrice du Manifeste) a reconnu qu'il était « difficile de parler de sociolinguistique sans ancrage politique ». Meney conclut que les Linguistes atterrées ont caché, derrière l'apparence irréprochable de la science, un discours « anti-élitiste, populiste, jeuniste, "progressiste", voire gauchiste, relativiste » pour se poser en arbitres d'un débat qu'ils cherchent à trancher au nom de la science.
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Si l'on devait comparer l'approche de la critique de Meney, elle agit comme un vérificateur de faits systématique : elle prend les affirmations des Linguistes atterrées, les analyse à la lumière de la linguistique historique, de la grammaire et des données chiffrées (DEPP, PIRLS, PISA), et conclut que le Manifeste mélange souvent la science et une idéologie militante.
Mots-clés: Lionel Meney, La sociolinguistique entre science et idéologie, Linguistes atterrées, résumé, NotebookLM.
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