14 décembre 2018

Origine et caractéristiques de la « langue de bois ».

Historiquement, l'expression « langue de bois » a servi à désigner la langue des dirigeants communistes soviétiques.
C'est une langue impersonnelle, dans laquelle il n'y a pas de je, pas de tu, mais la 3e personne. Les dirigeants ne parlent pas en leur nom mais, au nom du comité central du parti communiste de l'U.R.S.S. (P.C.U.S.), ils s'adressent au peuple soviétique. C'est une communication à sens unique, où rien n'est laissé au hasard, où chaque mot, chaque expression est pesée.
Contrairement à la langue vive, c'est une langue lourde, pesante, rigide « comme du bois ». D'ailleurs, en russe, on connaît les expressions « langue de chêne » ou « style de chêne » (« дубовый язык, дубовый стиль »). Elles désignaient la langue et le style lourds et difficilement compréhensibles de l'administration tsariste.
C'est une langue idéologique, imprégnée de concepts et de terminologie marxistes (matérialisme dialectique, matérialisme historique, déterminisme, bon qualitatif, capitalisme, socialisme, bourgeoisie, prolétariat, lutte des classes, etc.).
C'est aussi une langue manichéenne maniant les oppositions binaires (peuple vs bourgeoisie; exploiteurs vs exploités; amis vs ennemis; capitalisme, impérialisme vs socialisme).
C'est une langue manipulatrice. Elle n'a pas pour fonction d'exprimer la réalité, mais d'imposer au peuple soviétique et aux étrangers une perception de la réalité, celle du P.C.U.S.; une langue de mensonge, qui affirme que le plan quinquennal a été « rempli et dépassé », alors que les statistiques sont truquées, que l'armée soviétique est entré en Tchécoslovaquie en 1968 pour lui apporter son « aide fraternelle », alors qu'en fait il s'agissait d'une invasion pure et simple.
C'est une langue avec un lexique et un style répétitifs : vocabulaire guerrier (camp socialiste, provocation, victoire); épithètes de nature  (classez laborieuses, union indéfectible, avenir radieux); oxymores (légalité révolutionnaire, centralisme démocratique, démocratie socialiste); slogans (« tout le pouvoir aux soviets », « l'homme, capital le plus précieux », « la vie est devenue meilleure, la vie est devenue plus gaie » sous Staline, « rattraper et dépasser l'Amérique » sous Khrouchtchev); clichés, images stéréotypées (« l'amitié des peuples de l'U.R.S.S. »); hyperboles (pour les succès) et euphémismes (pour les échecs).
L'expression (parfois appelée ironiquement « xiloglossie ») a fait florès et s'est transportée en Occident dans les années 1980. Plus généralement, de nos jours, elle sert à désigner un langage politique insincère, permettant à ceux qui l'utilisent de ne pas reconnaître la réalité (de leurs torts, de leurs contradictions, de leurs échecs) et de présenter une version qui leur est beaucoup plus favorable.
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Bibliographie : 
THOM, Françoise, La langue de bois, Paris, Julliard, 1987.
DELPORTE, Chritian, Une histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, 2009.
GUILLERON, Gilles, Langue de bois, Décryptage irrévérencieux de politiquement correct et des dessous de la langue, Paris, First, 2010.
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Mots clés : langage de la politique; langue de bois; дубовый язык; дубовый стиль; parti communiste; P.C.U.S.; U.R.S.S.

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