Historiquement,
l'expression « langue de bois » a servi à désigner la langue des dirigeants
communistes soviétiques.
C'est une langue
impersonnelle, dans laquelle il n'y a pas de je, pas de tu, mais la 3e
personne. Les dirigeants ne parlent pas en leur nom mais, au nom du comité
central du parti communiste de l'U.R.S.S. (P.C.U.S.), ils s'adressent au peuple
soviétique. C'est une communication à sens unique, où rien n'est laissé au
hasard, où chaque mot, chaque expression est pesée.
Contrairement à la
langue vive, c'est une langue lourde, pesante, rigide « comme du
bois ». D'ailleurs, en russe, on connaît les expressions « langue de
chêne » ou « style de chêne » (« дубовый язык, дубовый стиль »). Elles désignaient la
langue et le style lourds et difficilement compréhensibles de l'administration
tsariste.
C'est une langue idéologique, imprégnée de concepts
et de terminologie marxistes (matérialisme dialectique, matérialisme
historique, déterminisme, bon qualitatif, capitalisme,
socialisme, bourgeoisie, prolétariat, lutte des classes,
etc.).
C'est aussi une langue
manichéenne maniant les oppositions binaires (peuple vs bourgeoisie;
exploiteurs vs exploités; amis vs ennemis; capitalisme, impérialisme vs
socialisme).
C'est une langue
manipulatrice. Elle n'a pas pour fonction d'exprimer la réalité, mais
d'imposer au peuple soviétique et aux étrangers une perception de la réalité,
celle du P.C.U.S.; une langue de mensonge, qui affirme que le plan
quinquennal a été « rempli et dépassé », alors que les statistiques
sont truquées, que l'armée soviétique est entré en Tchécoslovaquie en 1968 pour
lui apporter son « aide fraternelle », alors qu'en fait il
s'agissait d'une invasion pure et simple.
C'est une langue avec
un lexique et un style répétitifs : vocabulaire guerrier (camp
socialiste, provocation, victoire); épithètes de nature (classez
laborieuses, union indéfectible, avenir radieux); oxymores (légalité
révolutionnaire, centralisme démocratique, démocratie socialiste);
slogans (« tout le pouvoir aux soviets », « l'homme, capital le
plus précieux », « la vie est devenue meilleure, la vie est devenue
plus gaie » sous Staline, « rattraper et dépasser l'Amérique »
sous Khrouchtchev); clichés, images stéréotypées (« l'amitié des peuples de
l'U.R.S.S. »); hyperboles (pour les succès) et euphémismes (pour les
échecs).
L'expression (parfois appelée ironiquement « xiloglossie ») a fait
florès et s'est transportée en Occident dans les années 1980. Plus
généralement, de nos jours, elle sert à désigner un langage politique
insincère, permettant à ceux qui l'utilisent de ne pas reconnaître la réalité
(de leurs torts, de leurs contradictions, de leurs échecs) et de présenter une
version qui leur est beaucoup plus favorable.
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Bibliographie :
THOM, Françoise, La
langue de bois, Paris, Julliard, 1987.
DELPORTE, Chritian, Une
histoire de la langue de bois, Paris, Flammarion, 2009.
GUILLERON, Gilles, Langue
de bois, Décryptage irrévérencieux de politiquement correct et des dessous de
la langue, Paris, First, 2010.
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Mots clés : langage de
la politique; langue de bois; дубовый язык; дубовый стиль; parti communiste;
P.C.U.S.; U.R.S.S.
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