11 mars 2012

Do not enter - N'entrez pas ou la défaite des plaines d'Abraham



Ormes sur les plaines d'Abraham. Photo L. Meney.
« Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid », comme dit Denis Diderot (belles allitérations !) dans le Neveu de Rameau, ou « beau temps, mauvais temps », comme on dit au Québec, c’est mon habitude de faire une marche quotidienne sur les plaines d’Abraham, à Québec. L’occasion d’admirer les pelouses ondulantes et les ormes majestueux, évoquant les tableaux de Marc-Aurèle Fortin, de ce magnifique parc surplombant le puissant Saint-Laurent. L’occasion aussi de me souvenir de la bataille qui opposa, le 13 septembre 1759, dans ces lieux aujourd’hui paisibles, le général français Louis-Joseph de Montcalm et le général anglais James Wolfe. C’est là que le marquis a perdu la vie; et la France, la Nouvelle-France.

La domination anglaise, qui débuta cette année-là, se ressent encore aujourd'hui… dans les panneaux de signalisation du parc. Ici, nous sommes en territoire fédéral et, Loi sur les langues officielles oblige, toutes les inscriptions sont bilingues. Malheureusement, on voit bien dans la signalétique que la langue dominante est l’anglais. Comme dans trop de traductions fédérales, les équivalents français ne sont que des calques dérivés de cette langue. Ce n'est pas du français idiomatique, mais du traduidu pour reprendre le mot de Gaston Miron. Voici quelques exemples de ces traductions serviles : Stop - ArrÊt; Do not enter - N’entrez pas; DO NOT CLIMB - Ne Pas Grimper; Do NOt feed - Ne pas nourrir; Danger Cliff Go back ! - Danger Falaise Reculez !; Ski Trail Access - Accès aux Sentiers de Ski; Battlefields Park Security Service - Service de sÉcurité du parc des ChampS-de-Bataille.




Photo L. Meney.
ARRÊT - STOP. C'est un calque lexical, un équivalent littéral correspondant, comme c'est souvent le cas, au premier sens, le plus général, du terme anglais attesté dans les dictionnaires bilingues (stop : 1. : arrêt, dans le Robert & Collins). Si l'on est allergique au mot STOP, employé dans de nombreux pays comme la France, l'Allemagne, le Portugal, l'Espagne, y compris la Catalogne, aussi chatouilleuse sur les questions de langue que le Québec (sans compter que le terme est courant en français québécois parlé), on devrait préférer ARRÊT OBLIGATOIRE. L'Office québécois de la langue française admet les deux termes, Arrêt et Stop, mais défend d'employer Arrêt et Stop sur un même panneau.



Photo L. Meney.
DO NOT ENTER - N'ENTREZ PAS. Un autre calque lexical, sans rapport avec la situation de communication. Il s'agit en effet d'indiquer aux conducteurs de véhicule que la rue dans laquelle ils veulent s'engager est à sens unique, qu'il leur est interdit de la prendre dans ce sens. En français, on entre dans une maison, mais pas dans une rue. L'expression idiomatique dans cette situation de communication est SENS INTERDIT.






Photo L. Meney.
SKI TRAILS ACCESS - ACCÈS AUX  SENTIERS DE SKI. Encore un calque lexical, un équivalent littéral correspondant, comme c'est souvent le cas, à un sens plus général, du terme anglais attesté dans les dictionnaires bilingues (trail : 3. sentier; trail : 4. piste (de ski de fond) dans le Robert & Collins). En français standard, un sentier est un chemin étroit pour les piétons et les bêtes; une piste, un parcours aménagé pour le passage des skieurs. Un autre problème : les prépositions. Dans une inscription, sur un panneau, une enseigne, etc. on peut pratiquer l'ellipse de certaines d'entre elles pour réduire la longueur du texte. Ce qui donne ACCÈS PISTES DE SKI.



Photo L. Meney.
DO NOT FEED - NE PAS NOURRIR. Deux critiques. En français standard, l'interdiction s'exprime normalement au moyen des mots Défense de ou Interdiction de ou encore de la construction (Il est) interdit de. De plus, le verbe nourrir ne s'emploie pas en valeur absolue (c'est-à-dire sans complément). On devrait dire DÉFENSE DE NOURRIR LES ANIMAUX.



Photo L. Meney.
BATTLEFIELDS PARK / SECURITY SERVICE - SERVICE DE SÉCURITÉ / DU PARC DES / CHAMPS-DE-BATAILLE. La traduction française offre une succession de compléments de noms introduits par la préposition de. Ce qui donne une inscription française beaucoup plus longue que l'anglaise. Dans cette situation d’énonciation (panneau indicateur, plaque à l'entrée d'un bureau, etc.), il est normal de supprimer les répétitions lourdes et mécaniques. On peut simplifier en PARC DES CHAMPS-DE-BATAILLE / SERVICE DE SÉCURITÉ.




Photo L. Meney.
DANGER / CLIFF / GO BACK ! - DANGER / FALAISE / RECULEZ ! La formulation produit un effet comique, qui n'est certainement pas celui recherché. On ne sait pas trop si cet ordre comminatoire s'adresse aux promeneurs ou à la falaise, tout d'un coup personnifiée... On dirait mieux DANGER ! / PRÉCIPICE / DÉFENSE D'APPROCHER.



Photo L. Meney.
Il serait souhaitable que les responsables du Parc prennent des mesures pour améliorer la qualité de la langue de la signalétique sur les plaines d’Abraham, en pensant en particulier aux visiteurs francophones qui viennent du monde entier et sont étonnés par ces inscriptions en français approximatif. C’est d’autant plus nécessaire que la qualité de la langue des nombreux panneaux expliquant l’histoire des Plaines est, elle, en général excellente.

Les plaines d’Abraham, autrefois défaite des Français face aux Anglais, aujourd’hui défaite du français face à l'anglais ?

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