03 janvier 2022

Un monde en mode bienveillance ?

Emmanuel Macron, le président de la République, l'a dit dans ses voeux à la Nation prononcés au soir du 31 décembre : « Restons unis, bienveillants, solidaires. » L'année 2021 a vu, comme les années précédentes, la montée en puissance des mots « bienveillant » et « bienveillance » tant en France qu’au Québec.

Constatation 

Sur Internet, on constate l’ascension fulgurante des mots bienveillant et bienveillance. Un coup de sonde sur la Toile grâce à Google Recherche permet de s’en rendre compte. Sur une période de 10 ans (2011-2021), on constate : 

a) une augmentation constante du nombre d’occurrences de bienveillance dans les médias francophones du Canada et de France (de 1320 à 25100 au Canada ; de 18000 à 245000 en France) ; 

b) une augmentation encore plus forte au Canada (près de 20 fois plus) qu’en France (13 fois plus) ; 

c) une augmentation marquée par deux bonds concomitants encore plus importants  au Canada et en France, le premier à partir d’il y a 5 ans, en 2016 ; le second, à partir de 2019, ce qui correspond dans ce cas au début de la crise de la COVID-19. 

Tableau : L’ascension du mot bienveillance sur Internet


Nombre d’années

Période

Canada francophone

France

1

2020-2021

25100

245000

2

2019-2020

13800

186000

3

2018-2019

8790

151000

4

2017-2018

8070

104000

5

2016-2017

6060

89700

6

2015-2016

3070

51700

7

2014-2015

2700

41700

8

2013-2014

1940

28500

9

2012-2013

1830

22300

10

2011-2012

1320

18000

Source: Google Recherche, décembre 2021. 

Définition 

Il est nécessaire de préciser le sens de ces deux mots employés, nous le verrons, dans toutes sortes de contextes. Bienveillant signifie « qui se montre attentif au bien et au bonheur des autres ». Le philosophe Francis Hutcheson, cité par Victor Cousin, considérait que la bienveillance était « une affection qui nous porte à désirer le bonheur de notre prochain » (Trésor de la langue française). Bienveillance désigne « la qualité d’une volonté qui vise le bien et le bonheur des autres » ; « une disposition particulièrement favorable à l’égard de quelqu’un » (Trésor de la langue française). 

Fausse étymologie 

Une erreur courante consiste à rapprocher bienveillant de veiller ; « être bienveillant » signifierait alors « veiller au bien (bien-être) de quelqu’un ». Exemple : « Se montrer bienveillant, c’est veiller au bien-être d’autrui, c’est vouloir le bonheur des autres sans rien attendre en retour. » (Le Monastère des Augustines, Québec, 04/01/2021). En réalité, bienveillant ne provient pas de veiller, mais de vouloir. « Être bienveillant », c’est « vouloir le bien de quelqu’un ». C’est un calque du latin bene volens avec la forme ancienne du participe présent de vouloir, ve(u)illant. Le contraire, c’est malveillant, malveillance, qui ne signifie pas « veiller au mal de quelqu’un » (ce serait absurde), mais lui « vouloir du mal ». 

Champ d’application de la bienveillance 

De nos jours, la notion de bienveillance a envahi tous les domaines, privés ou publics : l’individu (la bienveillance envers soi-même) ; la famille (dans la relation de couple, dans l’éducation des enfants) ; l’enseignement (à l’école, à l’université, la bienveillance envers les élèves, les étudiants) : le travail (dans le management, les relations patron/employés, les relations entre collègues) ; le commerce (relation entreprises/clients), la politique, etc. 

Le seul domaine qui semble échapper à la vague de bienveillance, ce sont les réseaux sociaux où règne, au contraire, l’injure, la violence, la dénonciation, la diffamation, etc. sous couvert d’anonymat. C'est peut-être pour cela que la bienveillance est importante ? 

Exemples de titres d’articles relevés sur Google Recherche (presse canadienne) : 

- Envers soi-même, envers sa santé : « La bienveillance envers soi-même » ; « Manger avec bienveillance » ; « Renoncer aux régimes et manger avec bienveillance » ; etc.

- Envers les enfants : « Être bienveillant pour protéger ses enfants », etc.

- Envers les personnes âgées : « Ode à la bienveillance envers les aînés », etc.

- Dans l’éducation, l’enseignement : « L’école de la bienveillance » ; « Ecole inclusive et bienveillante » ; «  La nécessaire bienveillance du milieu scolaire envers nos ados » ; « Pour une communauté étudiante bienveillante », etc.

- Au travail, dans le management : « Comment cultiver la bienveillance au travail » ; « Être gentil au travail, une nécessité, un devoir ou une obligation » ; « La collaboration bienveillante au travail » ; « Le management bienveillant » ; « Le leadership bienveillant » ; « Les bienfaits d’une entreprise bienveillante » ; « La bienveillance comme indicateur de performance », etc.

- Dans la relation entreprise/clients » : « S’il y a quelque chose que les clients requièrent en ces temps parfois éprouvants, c’est d’un peu de bienveillance. Et je crois que la notion de bienveillance devrait être au cœur des initiatives de toutes les entreprises, petites ou grandes, qu’elles soient au service des consommateurs (B2C) ou d’autres entreprises (B2B). »(Les Affaires, 13/01/2021). 

Le business de la bienveillance 

Il fallait si attendre le concept de bienveillance a donné naissance à tout un business sous forme de cours et de publications. C'est un marché porteur, comme on dit en marketing.

On a vu naître des formations sur la bienveillance, du coaching, des conseils : « La bienveillance, mode d’emploi » ; « Règles de sagesse et de bienveillance en temps de pandémie » ; des Prix de Bienveillance… 

Les ouvrages consacrés à ce nouveau mantra ont poussé comme des champignons. Certains s’en faisant une spécialité. En voici quelques-uns :

- Marshall B. Rosenberg, « Elever nos enfants avec bienveillance » (2007) ; « Enseigner avec bienveillance » (2017) (un des initiateurs du mouvement dans l’éducation, l’enseignement).

- Laurence Dudek, Natacha Fabry et al., « Parents bienveillants, enfants éveillés : Les 10 clés de l'éducation efficace »

- Laurence Dudek, « Une éducation bienveillante et efficace ! » (2021).

- Olivier Clerc, « Tu es comme tu es... ou le secret de la communication bienveillante » (2019)

- Myriam Daguzan Bernier, « Tout-nu-dictionnaire bienveillant de la sexualité » (illustré) (2020)

- Collectif, « 50 activités bienveillantes pour progresser en orthographe » (2020).

- Didier Van Cauwelaert, « La bienveillance est une arme absolue » (2021).

- Dina Scherrer, « La magie de la bienveillance : Développez votre regard pygmalion et améliorez vos relations » (2021).

- Philippe Rodet, « La bienveillance, un remède à la crise. Penser autrement avec la bienveillance » (2021)

- Philippe Rodet, « La bienveillance au travail : Trop de stress, pas assez de motivation, comment en sortir ? » (2019).

- Yves Desjacques et Philippe Rodet, « Le management bienveillant : La bienveillance est l'indicateur d'un monde encore humain » (2017).

- Gael Chatelain-Berry, « Les 10 commandements de la bienveillance en entreprise » (2019).

- Françoise Dorn, « Le Petit Livre de la bienveillance : Ouvrez votre cœur aux autres » (2019). 

Aspects positifs de la bienveillance 

Bien évidemment, il est nécessaire d’éliminer l’agressivité, le harcèlement, la violence, les discriminations dans la société. La bienveillance a le mérite de sensibiliser à ces phénomènes et, éventuellement, d’aider à les réduire. Exemple : Devant la montée de la violence, on voit partout dans les administrations et les commerces des affichettes avertissant que l’agressivité, l’impolitesse, les menaces ne sont pas tolérées. 

Aspects négatifs 

Une indulgence critiquable : dans la notion de bienveillance, il y a un aspect compréhension d’autrui (ce qui est une bonne chose), mais aussi d’indulgence (ce qui peut donner lieu à des dérives, au laxisme). On constate les conséquences catastrophiques de cet aspect indulgence dans l’éducation des enfants, dans l’enseignement, dans la baisse du civisme, la hausse de la délinquance, etc. 

Un ton d’injonction : On ne peut pas être contre les bons sentiments, alors c’est une morale politiquement correcte qu’on impose à tout le monde. 

Un rapport de domination quoiqu’on dise : la bienveillance désigne aussi l’attention qu’une personne haut placée daigne apporter à une personne moins haut placée (solliciter la bienveillance de quelqu’un). Ce rapport, on le retrouve dans la relation parent/enfant, personne jeune/personne âgée, maître/élève, patron/employé, etc. 

Il y a une forme de naïveté de croire que la bienveillance suffit à éviter ou à résoudre tous les problèmes dans un monde Bisounours.

C’est ce qu’a vu dès 2016, le philosophe français Yves Michaud dans un ouvrage intitulé : « Contre la bienveillance ». Il y écrit : « Le constat est maintenant partout : la puissance du fondamentalisme religieux, la montée des populismes de droite comme de gauche, le discrédit de la classe politique, le rejet de la construction européenne, rendent caducs les schémas anciens. En particulier l’idée que la démocratie, à force de bienveillance, peut tolérer toutes les différences, toutes les croyances. […] Il faut dénoncer la tyrannie des bons sentiments, la politique de l’émotion et de la compassion. Non que la bienveillance soit un sentiment indigne, mais nous devons cesser de croire qu’on peut bâtir sur elle une communauté politique. » (Présentation du livre). 

Mots-clés : bienveillance, bienveillant, phénomène social.

26 août 2021

Doit-on dire « frapper un mur » ou « se heurter à un mur » ?

Le gouvernement du Québec a publié une vidéo intitulée : « N’attendez pas de frapper un mur. Faites-vous vacciner. » On y voit une jeune femme dans une boîte de nuit se dirigeant vers un jeune homme, quand soudain elle se heurte à un mur invisible, un mur de verre, qui l’empêche de le rejoindre. Le message est clair : les personnes non vaccinées se privent de vie sociale.

Dans cette vidéo, l'expression « frapper un mur » a été critiquée, particulièrement parce qu’elle est employée par un organisme gouvernemental, qui devrait être un « gardien de la langue ». On reproche à cette expression de ne pas être française, d’être un anglicisme masqué.  De fait, c’est une expression familière très courante au Québec.

Elle n’est un anglicisme qu’indirectement. En anglais « to hit a wall » signifie plutôt « atteindre ses dernières limites ». On le dira, par exemple, d’un athlète qui a atteint le maximum de ce qu’il peut faire. Mais c’est probablement un anglicisme de sens dans la mesure où le verbe « frapper » en français québécois est fortement influencé par le verbe « to hit » anglais.

Ainsi la phrase « L’automobiliste a frappé un piéton » se comprend différemment en français québécois et en français standard international. Dans le premier cas, l’automobiliste a heurté un piéton; dans le second, il lui a donné un coup  de poing ou une claque. C’est assez différent !

Sous l'influence de « to hit », le verbe « frapper » en français québécois couvre les sens de frapper et de heurter en français standard international.

En français standard, le verbe « frapper », employé avec un sujet animé, signifie « donner un coup » (« L’automobiliste a frappé un piéton » : il lui a donné un coup) ; employé avec un sujet inanimé, il signifie « toucher, atteindre » (« La balle a frappé le poteau » : elle l'a touché). Le verbe « heurter » signifie  « entrer en contact (accidentellement, rudement, etc.) avec quelqu’un ou quelque chose » («  L’automobiliste a heurté un piéton, un mur »).

Le mot « mur » a donné lieu en français standard à plusieurs expressions figées : « aller (droit) dans le mur » (aller à un échec certain) ; « se heurter à un mur » (se heurter à un obstacle infranchissable, à un refus total) ; « se cogner la tête contre les murs » (fournir de gros efforts inutilement), etc.

Dans la publicité québécoise, la jeune femme ne « frappe pas un mur », elle « se heurte à un mur », ce qui l'empêche de rejoindre le jeune homme. La seconde formulation est linguistiquement plus correcte mais, en contexte québécois, la première est expressivement bien plus forte…

Mots-clés : français québécois ; anglicisme de sens ; phraséologie ; frapper un mur ; to hit a wall ; se heurter à un mur ; se cogner à un mur.

14 juin 2021

Doit-on dire « tomates sur la vigne » ou « tomates en grappes » ?

Ce genre de fruit (la tomate est un fruit qui se consomme comme un légume…) se vend couramment au Québec sous le nom de « tomates sur la vigne ». C'est évidemment un calque sémantique de l'anglais « tomatoes on vine ». Dans cette langue, le mot vine a deux acceptions: 1) vigne; 2) plante grimpante ou rampante. C'est ce second sens qui a inspiré le calque. On peut certainement le classer parmi les anglicismes les plus absurdes ! En français, on dit « tomates en grappes », expression souvent réduite sur les étiquettes des étals en « tomates grappes ».


Mots-clés : français; français québécois; anglicisme; calque; sémantique; tomatoes on vine; tomates sur la vigne; tomates en grappes; tomates grappes.

07 janvier 2021

Lu ce matin dans Le Journal de Montréal la phrase suivante :

‹‹ En entrevue avec Richard Martineau, le père récemment devenu monoparental a raconté avec plusieurs pointes d'humour comment il "gère" ses enfants seul durant la pandémie. ›› (Le Journal de Montréal, 06/01/2021).

Un père devenu monoparental...

Je ressors un billet sur le sujet écrit en 2014.

L'adjectif « monoparental » signifie « qui a un seul parent ». On ne peut donc pas dire « mère monoparentale ». Cela signifierait « une mère qui a un seul parent »... Idem pour « père monoparental ». C'est absurde et c'est une impropriété.

L'étymologie du mot est limpide : mono (= unique) + parent + al (= adjectif). Monoparental = parent unique. On peut donc dire une « famille monoparentale », c'est-à-dire une famille où il y a un seul parent (la mère ou le père), mais on ne peut pas dire « mère monoparentale ». On doit dire « mère célibataire » ou « mère seule » ou encore « mère isolée ».

Dans la presse francophone canadienne, le syntagme fautif « mère monoparentale » représente 56 % des occurrences… le syntagme « mère célibataire », 29 %; le syntagme « mère seule », 14 %; le syntagme « mère isolée » est pratiquement inexistant.

Dans la presse francophone européenne, le syntagme « mère célibataire » représente 65 % des occurrences; le syntagme « mère seule », 20 %; le syntagme « mère isolée », 14 %; le syntagme « mère monoparentale » est pratiquement inexistant.

Mots-clés : français; impropriété; monoparental; mère monoparentale; mère célibataire; mère seule; mère isolée; père monoparental; père célibataire; père seul; père isolé; Le Journal de Montréal.

 

06 janvier 2021

Un néologisme d'actualité : vaccinodrome.

Les scrabbleurs vont être contents. Un nouveau mot va s'ajouter aux noms en -drome. On connaissait déjà aérodrome, autodrome, boulodrome, cosmodrome, hippodrome, palindrome, patinodrome, prodrome, syndrome et vélodrome. Bienvenue au petit dernier, bien d'actualité, vaccinodrome !

Mais qu'est-ce qu'un vaccinodrome ? N'est-ce pas tout simplement un centre de vaccination comme on en connaît déjà ? Pas du tout si l'on en croit cette citation : "Les scientifiques et les élus qui pressent pour des vaccinodromes veulent en réalité que des hypermarchés de la vaccination voient le jour en France. Il en existe en Israël (300) et en Allemagne (440). Ce sont des hangars, halls d’exposition, gymnases, salles des fêtes transformées de manière éphémère pour accueillir massivement et à la chaîne les volontaires à la vaccination contre le Covid-19. Ce qui implique un changement de philosophie : pour que les vaccinodromes fonctionnent, il faudrait que d’autres personnels se joignent aux médecins pour faire l’injection." (Huffpost, 05/01/21).

Mots-clés : français; mots en -drome; néologisme; vaccinodrome.

 

04 janvier 2021

Un curieux emploi du mot éclosion.

Quand on lit la presse québécoise, on est frappé par la fréquence du syntagme éclosion de cas. Il est question, bien sûr, de la covid-19. Si l'on compare avec la presse française, on s'aperçoit que le choix des termes et leurs fréquences relatives sont très différents. Un rapide sondage grâce à Google Recherche avancée concernant les quatre syntagmes suivants : apparition(s) de cas, éclosion(s) de cas, éruption(s) de cas et explosion(s) de cas donne des résultats surprenants (voir tableau ci-dessous). Le terme le plus neutre – apparition(s) de cas - domine largement dans la presse française (80% des occurrences), mais n'arrive qu'en deuxième position dans la presse francophone canadienne (46% d'occurrences). En revanche, le syntagme éclosion(s) de cas, quasi absent de la presse française (2%), occupe la première place dans la presse francophone canadienne.

Une explication possible se trouve dans l'influence du terme anglais outbreak ("An eruption; the sudden appearance of a rashdisease, etc. Any epidemic outbreak causes understandable panic", selon Wiktionary). Cette hypothèse est appuyée par le fait que le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française, à la fiche outbreak, donne un seul équivalent : éclosion… Il y a fort à parier que les agences de presse et les journalistes se sont précipités sur cette fiche (de 2020). Le moins qu'on puisse dire est que choix n'est pas heureux... Au sens propre, le mot éclosion se rapporte à un œuf ou à un bouton de fleur. Au sens figuré, il se rapporte à un phénomène agréable, positif (l'éclosion du jour, du printemps, d'une idée, d'une personnalité, etc.). On ne peut pas dire que ce soit le cas des "éclosions" de covid-19.

 

 

France

ordre

Canada

ordre

apparition(s) de cas

80%

1

30%

2

éclosion(s) de cas

2%

3

46%

1

éruption(s) de cas

1%

4

0%

4

explosion(s) de cas

16%

2

23%

3

Source : Google Recherche avancée (04/01/2021).

 

Mots-clés : langue française; traduction; variation; Québec; France; covid-19; apparition de cas; éclosion de cas; éruption de cas; explosion de cas; outbreakGrand Dictionnaire terminologique; Office québécois de la langue française.

 

03 janvier 2021

Serais-je glottophobe ? À propos du français fédéral canadien.

De retour au Canada après un séjour à l'étranger (rassurez-vous, je n'étais pas allé me faire bronzer dans le Sud), je suis tenu de rester confiné à la maison pendant 14 jours. Chaque jour, je dois appeler un numéro de téléphone, "pointer" auprès d'un organisme du Gouvernement du Canada et déclarer si j'ai des symptômes liés à la covid-19.

Comme il s'agit d'un organisme fédéral, on vous donne le choix de communiquer en anglais ou en français. La voix (féminine) française qui vous accueille et vous guide présente un curieux mélange d'accent à couper au couteau, très particulier (certainement hors Québec) et archaïsant. Ses "r" roulent comme des battements de tambour. Certaines de ses voyelles internes sont amuïes. Certaines de ses voyelles finales, fortement diphtonguées. Curieux mélange parce que son accentuation et son intonation sont typiquement anglaises. Aucun locuteur natif, quel que soit son accent, ne parlerait comme cela. Et ce n'est pas toujours facile à comprendre. 

De plus, le contenu du message (ce n'est plus "la voix" qui est responsable) comprend plusieurs erreurs. Si vous ne pointez pas quotidiennement, on vous avertit qu'il s'agit d'une "effraction à la loi" (sic), alors qu'il faudrait dire bien évidemment "infraction"...  On vous prévient que vos renseignements personnels pourront être "divulgués" (sic) aux provinces ou territoires", ce qui est une autre impropriété. La version anglaise dit disclose. Soupçonnant une traduction littérale, je vérifie dans le dictionnaire bilingue Robert & Collins. Bingo ! sous disclose, je trouve comme premier équivalent... divulguer. Sauf que le dictionnaire précise bien : divulguer un secret... Il faut donc comprendre que les renseignements fournis seront "communiqués" aux provinces ou territoires, et non pas "divulgués". Si vous vous trompez, la voix vous demande de "garder la ligne", calque de l'anglais "to hold the line"... Elle vous demande de "déclarer tout symptôme potentiel" (on ne parle pas des symptômes réels...). Comme tout le monde, j'imagine que si j'attrapais la covid-19, je pourrais avoir de la fièvre, je pourrais tousser, etc... Est-ce que je dois déclarer tous les jours, pendant 14 jours, ces symptômes "potentiels" ? Parmi ces symptômes "potentiels", on vous demande "si vous avez une toux" plutôt que "de la toux"...

Accentuation et intonation anglaises, impropriétés, calques, ajoutez à cela le fait qu'on vous demande d'entrer sur votre clavier de téléphone vos dates d'arrivée au Canada et votre date de naissance selon le format anglais : mois, jour, année. Autre source de difficulté et d'erreur pour un francophone.

On se demande si les Canadiens anglophones accepteraient que leur gouvernement communique avec eux dans un anglais fortement marqué d'une intonation et d'un accent français et dans une langue véhiculant des calques et des impropriétés. Le choix de cette voix répond certainement à une intention politiquement correcte. Il s'agit de montrer que le français rayonne partout au Canada, peu importe ses accents, même s'ils révèlent malheureusement une forte acculturation à l'anglais.

Les francophones ne méritent-ils pas d'être servis par leur gouvernement dans un français qui corresponde à la norme majoritaire (comme on l'observe, par exemple, à TVA ou à Radio-Canada) ? Est-ce trop demander ? Mais en disant cela, je suis pris d'un doute. Serais-je glottophobe ?

Mots-clés : français; anglais; Gouvernement du Canada; ArrivCAN; qualité de la langue; articulation; amuïssement; diphtongaison; accent; intonation; acculturation; impropriété; calque; effraction vs infraction; divulguer vs communiquer; contrôle; auto-isolement; glottophobie.