24 mars 2016

Êtes-vous Bisounours ou Câlinours ? Diglossie et circulation des mots sur le marché linguistique québécois.

La récente visite de Marine Le Pen au Québec a mis en lumière un cas de diglossie québéco-française. Durant son séjour, la chef du parti français d'extrême droite, rompant avec les usages diplomatiques, a accusé les dirigeants canadiens d'être des « Bisounours » dans le domaine de l'immigration et de l'accueil des migrants.

Grosrêveur
Dans le langage familier, un Bisounours désigne une personne naïve qui vit dans le monde charmant, mais irréel des tout-petits. Le nom vient d'une série d'ours en peluche populaire à partir des années 1980. En anglais, ils s'appelaient « Care Bears ».


Lorsqu'il a fallu leur donner un nom français, en France, on trouva « Bisounours », mot-valise formé sur bisou et nounours, deux mots aux sonorités douces et évocatrices bien en rapport avec le monde des tout-petits.



Mais ce mot, bien choisi du fait de ses connotations, posait un petit problème au Québec. En effet il évoque d'une manière trop évidente un autre mot, inusité en Europe francophone, « bizoune », qui désigne dans le langage familier et enfantin le pénis des petits garçons, autrement dit le zizi…

http://www.aufeminin.com/enfant/identite-sexuelle-enfant-d23092c293327.html

Nom fâcheux pour des peluches destinées aux petits enfants des deux sexes et autres… Alors on a trouvé un autre nom, tout aussi doux et charmant, Câlinours, mot-valise formé sur câlin et ours.

http://www.journaldequebec.com/2015/01/19/la-twittosphere-quebecoise-senflamme-pour-les-bizounes#livefyre

Cependant, malgré ces différences connotatives, il semble bien qu'appliqué à des politiques trop naïfs, le terme Bisounours va désormais s'employer également au Québec… À vrai dire, des journalistes québécois comme Richard Martineau, Sophie Durocher ou Christian Rioux l'avaient déjà employé avant la venue de Marine Le Pen. André Arthur l'a réutilisé abondamment sur Radio X à Québec.

« Justin Trudeau, grand chef de la tribu des Bisounours, s'apprête à vendre pour 15 milliards de dollars de blindés à l'Arabie saoudite. » (Richard Martineau, Le Journal de Montréal, 6 février 2016).

« Si ce silence est si tonitruant, c'est probablement parce que l'exemple soulève de manière dramatique toute la question de l'intégration de l'islam. Question non résolue quoi qu'on dise et quoi qu'en pensent les bisounours du multiculturalisme. » (Christian Rioux, Le Devoir, 16 octobre 2015).

Il est possible que, désormais, on offrira des Câlinours aux tout-petits et l'on traitera de Bisounours les politiques trop naïfs.

Vive la diglossie !

Mots-clés : langue française, France, Québec, diglossie, Bisounours, Câlinours, bisoune, bizoune, zizi, Marine Le Pen.



18 mars 2016

Quel(s) équivalent(s) français pour « fatbike » ?

Le « fat bike » ou « fatbike » est devenu un sport très populaire en Amérique du Nord et en Europe. Ses adeptes parlent couramment - et familièrement - du « fat ».

Quel(s) équivalent(s) français peut-on trouver pour ce terme ?

Le Grand Dictionnaire terminologique (GDT) de l'Office québécois de la langue française a publié une fiche commune avec le Comité de terminologie de Radio-Canada (2016). Il déconseille fat bike et fatbike au motif que ces mots « ne s'intégre[raie]nt pas au système linguistique du français, notamment sur le plan graphique et sur le plan morphologique » [sic]. Tous les adeptes de fatbike, tous les chroniqueurs, qui en parlent dans les journaux et magazines, seraient bien étonnés d'apprendre que le nom de leur sport favori ne s'intègre pas dans leur discours ! Le français a la souplesse nécessaire pour intégrer encore pire mot que fatbike… Même le russe, qui est une langue à déclinaisons et à alphabet cyrillique, réussit à dire, à écrire et à décliner « фэт-байк » ! L'argument de la « non-intégration » n'a aucun fondement linguistique sérieux.

Pour remplacer l'anglicisme, le GDT propose « vélo à pneus surdimensionnés », sans se rendre compte que cette dénomination est impropre et n'a aucune chance de s'imposer, étant de surcroît très maladroite. En effet que nous dit le Petit Robert au sujet de « surdimensionné » ?  Si on ne le sait pas, il nous apprend que ce mot signifie « dont les dimensions sont plus grandes qu'il n'est nécessaire, trop importantes ». C'est un terme négatif. Autrement dit, c'est exactement le contraire de l'objectif du fatbike. Si ce vélo a des pneus plus gros que ceux des vélos ordinaires, plus gros même que ceux des vélos tout-terrain (VTT), il n'a pas des pneus surdimensionnés, mais des pneus adaptés à sa destination, à savoir la capacité de rouler sur la neige, sur le sable ou dans la boue.

Si effectivement le syntagme critiquable « vélo aux pneus surdimensionnés » se rencontre parfois dans la presse, c'est plus pour expliquer de quoi il s'agit que pour désigner ce nouveau type de vélo. On rencontre aussi des syntagmes plus simples - et plus justes - comme « vélo à pneus larges », « vélo (à) grosses roues », « vélo (à) gros pneus » et « vélo (à) gros boudins » (ce dernier terme relevant du vocabulaire familier des amateurs de la petite reine).

En fait, un « grosses-roues » ou un « gros-pneus » seraient les meilleurs équivalents. Mais, de toute façon, il semble qu'il soit déjà trop tard pour qu'un terme français s'impose face à l'emprunt à l'anglais… Cependant les termes proposés pourront servir de variantes libres ou de variantes liées en fonction du contexte situationnel.

Mots-clés : langue française, anglicisme, fatbike, vélo à pneus surdimensionnés, vélo à pneus larges, vélo à grosses roues, vélo à gros pneus, vélo grosse pointure, vélo à gros boudins, grosses-roues, gros-pneus, gros-boudins, Office québécois de la langue française, Comité de terminologie de Radio-Canada, Grand Dictionnaire terminologique, surdimensionné, impropriété.


16 mars 2016

« Fin de semaine » ou « week-end » ? Usito est encore à côté de la plaque.

Dans sa lettre d'information du 10 février 2016, Usito, sous le titre « Le week-end français devient-il québécois ? », essaie de nous expliquer pourquoi on dit « week-end » en France et « fin de semaine » au Québec. Pour cela, il propose une explication alambiquée, qui passe à côté de la question :

« Pour les Français, la semaine normale comptait plutôt le dimanche de congé pour tous, le mercredi pour les enfants et le samedi après-midi pour certains. Quand on regroupait deux ou trois jours pour partir à la campagne ou ailleurs, on partait en week-end. Les mœurs ont changé, le mot est resté. » (Infolettre Usito
https://www.usito.com/nouvelles/#!/articles/2016-02-10_LeWeekEndFrançaisDevientIlQuébécois).

Visiblement Usito n'a pas compris pourquoi « week-end » a été choisi plutôt que « fin de semaine », mettant en avant des raisons socio-culturelles, alors qu'une explication strictement linguistique s'impose à l'évidence. Un peu d'observation et de réflexion permet de le comprendre aisément.

Comme souvent, il s'appuie sur les dictionnaires grand public français pour développer son explication. Cependant il ne semble pas avoir remarqué un élément très important noté par ces mêmes dictionnaires. En français de référence, le mot « semaine » a deux sens, un sens large et un sens étroit. Au sens large, il désigne une période de 7 jours allant du lundi au dimanche inclusivement. Au sens étroit, il désigne, par opposition au dimanche, traditionnellement férié dans les sociétés de culture chrétienne (pas seulement en France), la période couvrant les jours ouvrables, c'est-à-dire du lundi au samedi inclusivement. Cette semaine au sens étroit, qui comprend les jours ouvrables par opposition au jour férié, se subdivise en « début de semaine » (lundi et mardi), « milieu de semaine » (mercredi et jeudi) et « fin de semaine » (vendredi et samedi).

« Braderies et bonnes affaires au programme de la fin de semaine. Ça commencera vendredi matin, avec la braderie de fin d'hiver du Secours populaire. Puis, samedi matin, ce sera au tour des Amis du Grand Toukou avec leur traditionnelle braderie de printemps […]. Braderie du Secours populaire, vendredi et samedi, de 9 h 30 à 17 h 30. Braderie des Amis du Grand Toukou, samedi, de 8 à 18 heures. » (Le Progrès de Lyon, 16 mars 2016).

« Londres, 14 mars 2016 (AFP) - La Bourse de Londres a terminé lundi en hausse de 0,57 %, poursuivant sur l'élan impulsé en fin de semaine dernière par les mesures d'assouplissement monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). » [La Bourse de Londres est ouverte tous les jours de la semaine, du lundi au vendredi].

Quand est apparue une nouvelle organisation du travail, venue de Grande-Bretagne, la « semaine anglaise », il a bien fallu nommer cette nouvelle partie de la semaine, partie fériée, couvrant le samedi et le dimanche. Le syntagme « fin de semaine » était déjà utilisé pour désigner la période de la semaine couvrant le vendredi et le samedi. Il n'était donc pas possible de l'utiliser dans un sens nouveau. Ce qui explique l'emprunt de « week-end », qui venait combler une lacune.

Usito se trompe donc quand il affirme que « week-end concurrence inutilement fin de semaine ». En français de référence, une « fin de semaine » (vendredi et samedi) et un « week-end » (samedi et dimanche), ce n'est pas la même chose. Gérard Dagenais, à la fin des années 1960, l'avait déjà signalé. Les deux termes ont leur propre signification et permettent d'éviter une confusion gênante. Faites bien attention, si un ami vous dit : « On se voit en fin de semaine ». Vous risquez de vous tromper de jours… Pour un francophone non québécois, ce sera un vendredi ou un samedi, pour un Québécois, un samedi ou un dimanche…

Maintenant si, pour désigner le samedi et le dimanche, les Français utilisent pratiquement toujours « week-end » et pratiquement jamais « fin de semaine », les Québécois, quant à eux, utilisent les deux mots. Un sondage fait en mars 2016 dans une base de textes regroupant pratiquement tous les journaux et magazines québécois (plus de 13 000 000 d'articles) indique que les Québécois utilisent « fin de semaine » (tous sens confondus) dans 53 % des cas et « week-end », dans 47 %. La concurrence (inutile?) est donc très serrée. Arrêtons d'affirmer que les Français disent « week-end » et les Québécois, « fin de semaine ». Il est plus juste de dire que les Français (et les autres francophones) disent « week-end »; les Québécois, « fin de semaine » ou « week-end », dans une proportion à peu près  égale.

sens
1
2
3
4
5
6
7
semaine 1
(sens large)
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
samedi
dimanche
semaine 2
(sens étroit)
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
samedi

subdivision de semaine 2
début de semaine
milieu de semaine
fin de semaine

semaine anglaise
lundi
mardi
mercredi
jeudi
vendredi
week-end

Tableau : La semaine et ses subdivisions.

Mots-clés : langue française, dictionnaire, France, Québec, emprunt, anglicisme, fin de semaine, week-end, Usito.


13 mars 2016

Le dictionnaire Usito est-il fiable ? L'exemple de raquetteur.

Si l'on se fie à la lettre d'information publiée en mars 2016 par Usito, le mot raquetteur aurait deux sens : « le premier, panfrancophone, désigne une personne qui se déplace sur la neige en raquettes; le second, propre au Québec et absent des dictionnaires français, désigne un adepte de la raquette en tant que sport d’hiver. »

Effectivement, si l'on consulte le Nouveau Petit Robert et le Petit Larousse illustré, on constate que, selon ces dictionnaires, le mot raquetteur désigne une « personne qui se déplace sur la neige en (NPR) / avec des (PLI) raquettes ».  Le second sens est bien absent de ces dictionnaires courants.

Mais la consultation de dictionnaires courants est-elle suffisante pour qu'Usito puisse décréter qu'il existe un « sens propre au Québec », celui qui désigne « un adepte de la raquette en tant que sport » ?

Absolument pas. Usito, et ce n'est pas le seul cas, a commis là une faute de débutants. Comme si la langue française se limitait à ce qui est consigné dans les dictionnaires courants !

Un simple petit effort supplémentaire lui aurait permis d'éviter cette bévue. En effet, que lit-on dans le Grand Robert de la langue française, plus développé que le Nouveau Petit Robert ? On y lit ceci : « Raquetteur : personne qui se déplace en raquettes, qui fait de la raquette ». On voit que le sens d'« adepte de la raquette » n'est pas totalement absent de tous les dictionnaires français.

Surtout, si l'on se donne la peine de vérifier l'usage réel, et pas seulement de celui décrit par les dictionnaires, si l'on se donne la peine, par exemple, d'aller sur les sites français consacrés au sport de la raquette à neige (de nos jours, pas besoin d'être un lexicographe professionnel, tout le monde peut le faire grâce à Internet…), on constate du premier coup d'œil que cet emploi supposément « propre au français québécois » est courant… en France.

En voici trois exemples parmi une foule d'autres :

« Cependant, la neige demande un effort physique accru, complique l’orientation, et rend plus pointues les questions de sécurité, notamment face au risque d’avalanche. Le raquetteur (ou raquettiste) doit donc être en bonne condition physique, et s’attacher à acquérir les connaissances et les pratiques liées à la sécurité. » (Club alpin français : https://www.clubalpin-idf.com/raquettes/).

« En complément à la course et la randonnée, des ateliers organisés par la FFME, s'adressent au "raquetteur" débutant ou confirmé. » (Fédération française de la montagne et de l'escalade : http://www.ffme.fr/raquette-a-neige/article/juraquette-2011.html).

« Samedi. Entre le haut du col de Vars et le refuge Napoléon, splash, splash, 9 raquetteurs et, sissch, sissch, 9 skieurs s'élancent à l'assaut de la Tête de Paneyron 2787 m, 750 m de dénivelé, une paille, mais il est 13 h et le soleil tape dur. » (Club alpin français - Aix-en-Provence : http://caf-aix-en-provence.ffcam.fr/index.php?&alias=carnets_de_route&moid=88&function=display&insidefile=pcCarnetDetail.html&tplentry=cr&oid=T032:4y9ahm8v9f1o).

Dernière remarque : le terme raquettiste, absent des dictionnaires courants, est beaucoup plus rare que raquetteur, mais il existe quand même…

Usito devrait supprimer de son article raquetteur la marque topolectale QC (Québec), car le sens ainsi marqué est courant non seulement  au Québec, mais aussi en France. Plus généralement, il devrait s'attacher à être plus rigoureux dans ses recherches plutôt que décerner cette marque à de faux québécismes. Usito est-il une source lexicographique fiable ? On voit bien que non.


Mots-clés : langue française, langue française au Québec, dictionnaire, Usito, québécisme, faux québécisme, raquetteur.