09 mars 2017

Doit-on dire des scénarii ou des scénarios ?


On entend et on lit parfois « des scénarii » ou « des scenarii », ce qui est un faux italianisme, puisque dans cette langue le pluriel de scenario est scenariEn voici un exemple : « Les médias, les opinions publiques peut-être, attendent des réponses urgentes […]. Comment faire sans la France ? Quel scénario, ou quel panaché de scénarii, le nouvel occupant de l'Elysée choisira-t-il ? » (Le Monde, 9 mars 2017).
Cette forme du pluriel est-elle acceptable en français ?
Répondre à cette question, c'est aborder le problème de l'adaptation morphologique en nombre (singulier et pluriel) des emprunts à des langues étrangères.
La réponse est simple et pleine de bon sens : les emprunts à des langues étrangères prennent la marque normale du pluriel français.
Réfléchissons un instant. Si ce n'était pas le cas, on devrait jongler avec la morphologie du nombre de chaque langue étrangère. On devrait dire, pour des mots latins, des *campi (des campus !), des *consensi (des consensus !), pour des mots italiens, des *concerti (des concertos !), des *pizze (des pizzas !), pour des mots allemands, des * diktate (des diktats !), des *ersätze (des ersatzs !) (Faudrait-il aussi conserver la majuscule à l'initiale des mots allemands ?), pour les mots russes, des *goulagui (des goulags !, en russe ГУЛАГ'и), des *moujiki (des moujiks !, en russe мужики), des *pogromy (des pogroms !, en russe погpoмы)… On voit bien que c'est impossible, impraticable et inutile…
Remarquons en passant que la force d'assimilation du français fait parfois fi de la logique de la langue d'origine. Ainsi on dit un blini, alors qu'en russe, cette forme (блины) désigne un pluriel, si bien que lorsqu'on dit des blinis, le mot porte deux fois la marque du pluriel, le i dur (ы) du russe et le s du français… Si l'on suivait la logique de un scénario, des scenarii, on devrait dire un bline, des bliny
Il y a le cas du mot lied d'origine allemande. En français, le pluriel allemand lieder domine largement le pluriel français lieds (alors que la forme française scénarios domine largement la forme faussement italienne scenarii). On trouve même la forme des lieders, ce qui rappelle la forme « des blinis ». Peu de mélomanes s'abaisseraient à dire des lieds. Mais, tout comme dans le cas de scénarii, cela ne va pas sans une bonne dose de snobisme…
En conclusion ne disons pas : des scénarii; disons : des scénarios.

Mots-clés : langue française; emprunt; pluriel des noms étrangers; scénario, scénarios, scénarii; lied; lieds; lieder; lieders; blini; blinis.

08 mars 2017

À l'occasion de la Journée internationale des femmes, un glossaire féministe


http://www.lalibre.be/lifestyle/magazine/machisme-sexisme-misogynie-en-cette-journee-pour-les-droits-des-femmes-un-glossaire-pour-s-y-retrouver-56dda3ba35708ea2d359c85a


Mots-clés : Journée internationale des femmes; glossaire; féminisme.

07 mars 2017

Ces mots qui ont marqué l'année 2016

http://www.leparisien.fr/societe/ces-mots-qui-ont-marque-l-annee-30-12-2016-6506538.php



Nuage de mots qui ont marqué l'année 2016 selon Le Parisien

06 mars 2017

« Je ne suis pas autiste », un cas de linguistico-politiquement correct...


« Autistophobie »... En ces jours où, pour un oui ou pour un non, on vous balance au visage des accusations de « phobie », voici qu'est apparue une nouvelle « phobie » condamnable. Hier, 5 mars 2017, François Fillon, candidat à la présidentielle française,  a déclaré à la télé : « Je ne suis pas autiste,  je vois bien les difficultés, j’entends bien les critiques », s'attirant les foudres des associations et d'une ministre.
Dans le Petit Robert, on lit : « autiste : relatif à l'autisme; par exagération : Le ministre est autiste sur ce dossier ». Dans le Trésor de la langue française, on peut lire : « Autisme : par extension Forme de repli sur soi, avec refus de la réalité et de la communication avec autrui ». Le Petit Robert a prévu le coup. Il se protège en disant « par exagération », alors que le TLF s'en tient à la mention neutre « par extension »…
Il va falloir réviser ces articles, scrogneugneu! Expurger les dictionnaires de cette acception supposée véhiculer des stéréotypes. Mais auparavant, les censeurs devront proposer un équivalent linguistico-politiquement correct à ce sens désormais tabou sinon il y aura une lacune dans le lexique français.
Pas facile à trouver… On ne pourra pas dire non plus « Je ne suis pas sourd, j'entends bien les critiques », ni « Je ne suis pas aveugle, je vois bien le trouble des électeurs » ou encore « Je ne suis pas fou, j'ai assez le sens des réalités », sinon on risquerait d'être accusé de véhiculer des stéréotypes sur les sourds, les aveugles ou les malades mentaux... et d'avoir toutes sortes d'associations bien-pensantes sur le dos…



Mots-clés : langue française; linguistico-politiquement correct; stéréotype; autiste; autistophobie; aveugle; fou; sourd; François Fillon.

01 mars 2017

Doit-on dire « bannière » ou « enseigne », « bannière » ou « banderole », « bannière » ou « bandeau »?

On observe dans les médias québécois trois emplois du mot « bannière » dans une acception incorrecte sous l'influence de l'anglais banner.
Dans le premier cas, il s'agit de désigner un bandeau publicitaire qui défile sur une page web ou tout autre document numérique. Cet emploi fautif se rencontre aussi en Europe francophone. En voici un exemple québécois :
« Le premier [jeu sur téléphone portable] se nomme Bounce. Il est gratuit avec une bannière publicitaire qui s’affiche au bas de l’écran. » (JM Techno, 26 février 2015). En réalité, il s'agit ici d'un bandeau publicitaire.
Dans le deuxième cas, il s'agit de nommer la raison sociale d'une société commerciale ayant plusieurs établissements, autrement dit, le nom sous lequel elle est connue du public. Par exemple Couche-tard, Jean Coutu, etc. Voici un exemple d'emploi fautif :
« L'opposition à l'Hôtel de ville a présenté ce matin une compilation des variations de taxes de nombreux commerces installés à Montréal. Leurs [sic] chiffres indiquent que plusieurs grandes bannières ont obtenu une baisse de taxes après avoir vu la valeur de leurs bâtiments réévalués à la baisse. » (La Presse, 28 février 2017). En réalité, il fallait dire plusieurs grandes enseignes.
Dans le troisième cas, il s'agit de désigner une bande de tissu portant une inscription (politique, syndicale, commerciale ou autre). Voici un exemple fautif :
« L'Association québécoise des centres de la petite enfance […] dénonce vivement les compressions de 120 millions $ annoncées par le gouvernement. La campagne a été lancée avec le dévoilement de la bannière qui sera installée devant certains CPE. » (Le Peuple, 14 janvier 2017). Dans ce cas, il fallait dire la banderole.
Dans ces trois cas, il y a un point commun : il s'agit de désigner un support (en tissu, en bois, en métal, en plastique) portant une indication (marque personnelle, marque d'une confrérie, d'une paroisse ou d'un commerce). En français, on distingue trois cas.
La bannière de Jeanne d'Arc.
Bannières d'une procession religieuse.
Le mot bannière désigne au sens propre : 1. l'enseigne d'un seigneur à la guerre - La bannière de Jeanne d'Arc 2. l'étendard porté dans une procession religieuse ou par une confrérie - La bannière de la paroisse, de la confrérie; au sens figuré, on dira que les partisans d'un parti ou d'une cause se sont réunis sous la bannière de ce parti ou de cette cause.
Le mot banderole désigne une grande bande de tissu portant une inscription (à caractère commercial, politique, syndical, humanitaire, etc.) – Le propriétaire a placé une banderole pour annoncer l'ouverture prochaine de son magasin. Les manifestants ont déployé des banderoles pour exprimer leurs revendications. Dans ce cas, on dit aussi, mais plus rarement, calicot.
Une banderole.

Le mot enseigne désigne 1. un panneau portant une inscription ou un dessin placé à la devanture d'une boutique pour attirer l'attention des clients - Les boutiques du vieux Québec ont de belles enseignes à l'ancienne 2. la raison sociale d'une entreprise commerciale dont dépendent plusieurs établissements - Alors que les petits commerces restent dans le centre-ville, les grandes enseignes s'installent dans la banlieue.
Une enseigne du vieux Québec.

Exemples de grandes enseignes : Costco, Couche-tard, Jean Coutu, McDonald's, Ikea, Petro-Canada, Starbucks Coffee, Wall-Mart, etc.
 
Une grande enseigne américaine, la société Starbucks Coffee.



Le mot bandeau désigne la zone d'une page web où s'affiche un message publicitaire.
Bandeau publicitaire.
Mots-clés : français; français québécois; impropriété; anglicisme; anglicisme sémantique; bannière; bannière publicitaire; enseigne; banderole; calicot; bandeau.

28 février 2017

Doit-on dire « amasser de l'argent » ou « récolter, recueillir, collecter de l'argent » ?


On observe fréquemment dans les médias québécois un emploi impropre du verbe amasser en combinaison avec les noms argent ou fonds. En voici un exemple :
« Lancée à la mi-janvier, la compagne de financement […] a presque doublé son objectif de 2000 $ puisque 3886 $ ont été amassés jusqu'à maintenant […]. C'est d'ailleurs en partie la raison pour laquelle il s'agissait d'un montant modeste à amasser. » (Ici Radio-Canada Gaspésie, 28 février 2017).
Dans un tel contexte, cet emploi d'amasser est une impropriété. En effet, en français, ce verbe signifie « réunir en quantité considérable, par additions successives, accumuler. » Ce qui, visiblement, n'est pas le cas. Voici un exemple d'emploi correct :
« Adapter le plus grand fonds souverain au monde actuel. C'est avec cet objectif en tête que le gouvernement norvégien a proposé des changements dans les règles de gestion de la cagnotte amassée depuis deux décennies, qui compte désormais plus de 840 milliards d'euros. » (Les Échos, 20 février 2017).
On pourrait penser qu'il s'agit d'une influence de l'anglais, mais ce ne semble pas être le cas. En effet, en anglais to amass signifie « to get a large amount of something, especially money or information, by collecting it over a long period. »
Dans cette langue, comme en français, le verbe comporte les sèmes  (ou unités minimales de signification) « grande quantité » et/ou « longue période ».
Quand l'un ou l'autre de ces deux sèmes ou les deux à la fois sont absents du contexte, on dira simplement récolter ou recueillir de l'argent. Si, en plus, le sème « don » ou « donner au profit de quelqu'un » est présent, on dira collecter de l'argent. Voici des exemples d'emplois corrects :
« Il y a tout un mouvement de solidarité qui s'organise à Québec pour aider la communauté musulmane. On s'affaire notamment à recueillir de l'argent pour soutenir financièrement les familles éprouvées. » (TVA Nouvelles, 31 janvier 2017).
« La Fondation Jean Lapointe lance le défi 28 jours sans alcool. Depuis quatre ans, cette activité vise à faire prendre conscience de la façon de consommer des gens. C'est aussi un moyen de récolter de l'argent pour sensibiliser les adolescents au risque de la consommation d'alcool et de drogue. » (Ici Radio Canada Nouvelles, 5 février 2017).

Mots-clés : français; français québécois; impropriété; amasser; to amass; récolter; recueillir, collecter (de l'argent, des fonds).

18 février 2017

Peut-on dire « endosser quelqu'un ou quelque chose » ?


Dans une lettre au journal La Presse, le philosophe Charles Taylor a écrit : « Je vois qu'il est question ces jours-ci d'adopter une des recommandations du rapport Bouchard-Taylor, soit celle qui interdit le port des signes religieux par ceux qui exercent les fonctions dites "coercitives" de l'État, dont les juges et les policiers. J'ai bien signé le rapport où cette recommandation paraît ; mais neuf ans plus tard, je ne l'endosse plus. » (La Presse, 14 février 2017).

Il s'agit là d'un emploi fautif du verbe endosser, un anglicisme de sens ou anglicisme sémantique.

En effet, en anglais to endorse signifie : « to express formal support or approval for someone or something ». Ce qui correspond en français à appuyer, adhérer à, souscrire à.

Tandis qu'en français endosser signifie : « prendre ou accepter la responsabilité de quelque chose, assumer la responsabilité de quelque chose, se charger de quelque chose. »

En réalité, Charles Taylor voulait dire qu'il n'adhérait plus à la recommandation en question, qu'il n'y souscrivait plus, qu'il ne la soutenait plus.

On peut excuser cet anglicisme chez un anglophone, mais ce qui est moins excusable, c'est que pratiquement tous les journalistes francophones qui ont repris la nouvelle, ont repris également l'anglicisme…

Mots-clés : français québécois; anglicisme; anglicisme de sens; to endorse; endosser.