08 août 2020

La Poste envoie-t-elle des paquets ou des colis ?

La qualité du français de Postes Canada laisse souvent à désirer. Bilinguisme oblige, l’influence de l’anglais se fait souvent sentir et des nuances importantes du français lui échappent parfois. Ainsi sur l’étiquette de certains envois, on peut lire « Small Packet - Air/Petit Paquet - Avion ».
La ressemblance entre la forme de l’anglais packet et celle du français paquet est trompeuse. En fait les acceptions de ces deux mots ne se recouvrent pas exactement. Il existe une nuance en français que l’anglais ignore dans ce cas.
Les dictionnaires français définissent ainsi le terme paquet : « Objet enveloppé, attaché pour être transporté plus aisément ou pour être protégé. Expédition d’un paquet par la poste voir colis ». Quant au terme « colis », voici ce qu’on peut lire : « Objet, produit emballé, destiné à être expédié et remis à qqn. Envoyer, expédier un colis. Colis postal ». On voit que, dans ce contexte, le terme propre est colis, plus précis. L’étiquette de Postes Canada devrait donc se lire : « Small Packet - Air/Petit Colis - Avion ».

Mots-clés : Langue française au Canada, Qualité du français, Traduction, Postes Canada, packet, paquet, colis.

23 juin 2020

Doit-on dire « préposé aux bénéficiaires » ou « préposé aux soins » ?


A l’occasion de l’annonce par le gouvernement du Québec de l’augmentation du salaire de certains personnels des maisons de retraite, l’expression préposé aux bénéficiaires a refait surface dans l’actualité. Pourtant, dans une fiche datant de 2005, l’Office québécois de la langue française déconseillait ce terme. En fait, il le déconseillait… mais pour une mauvaise raison, je cite : « Bien que préposé aux bénéficiaires et préposée aux bénéficiaires soient d’un usage très fréquent au Québec, ces termes sont à éviter, puisqu’ils constituent des impropriétés. Il est en effet inapproprié d’appeler bénéficiaire la personne qui reçoit des services de santé : on l’appellera plutôt patient ou, de façon plus générale, usager ». Relevons au passage les maladresses de formulation de cette fiche de l’OQLF (constituer une impropriété, il est inapproprié d’appeler, recevoir des services de santé, usager…de services de santé…).
La bonne raison pour non seulement déconseiller, mais condamner l’expression préposé aux bénéficiaires réside dans le fait qu’une personne n’est pas préposée à quelqu’un mais à quelque chose. C’est donc une question de combinaison de termes, de syntaxe, et non de propriété, de sémantique. En effet, selon le Trésor de la langue française, on peut être préposé à une fonction, à un service, à une activité, à la garde de quelqu’un, etc. Autrement dit, à quelque chose et non à quelqu'un.
La fiche de 2005 donnait pourtant des pistes intéressantes. En fonction de leur formation ou de la description de leurs tâches, on peut appeler ces personnes soit des aides-soignants, soit des préposés aux soins (des résidents).

Mots-clés : préposé aux bénéficiaires, aide-soignant, préposé aux soins, Office québécois de la langue française.

28 janvier 2020

Devrait-on dire une auteure ou une autrice ?

Dans sa critique de l’article d’Anne-Marie Pilote et d’Arnaud Montreuil consacré à la forme autrice (Le Devoir du 23 janvier 2020), Céline Labrosse adopte un ton condescendant et péremptoire. Mais si l’on analyse son argumentation, on ne manque pas d’y observer plusieurs inexactitudes ou contradictions.
 
Ainsi elle prétend que le suffixe trice est « en voie d’obsolescence ». Elle le compare même au suffixe -esse (ou -eresse) qui, lui, serait devenu totalement obsolète. Certes, elle choisit les bons exemples pour sa défense. Les mots féminins en -esse ou -eresse sont de nos jours confinés aux titres nobiliaires (comtesse, princesse), religieux (abbesse, chanoinesse) ou aux désignations juridiques (défenderesse, demanderesse). Ce suffixe n’est plus productif, sauf dans la langue familière (cheffesse). Cela ne signifie pas que ces formes sont obsolètes. Elles s’emploient normalement dans les domaines précités. D’autres mots de la série sont très vivants comme, par exemple, contremaîtresse, hôtesse (d’accueil, de l’air, de caisse), maîtresse (d’école, de conférence), contremaîtresse. Au Québec, le terme mairesse sert couramment à désigner une femme exerçant les fonctions de maire (la mairesse de Montréal), autre preuve que ce suffixe n’est pas si obsolète que le prétend Céline Labrosse. Certes, ailleurs dans la Francophonie, on a préféré la forme épicène (la maire de Paris), forme qui s’inscrit dans la série des mots épicènes en -aire (un/une notaire, un/une secrétaire, etc.). Il ne faut donc pas confondre productivité et fréquence d’emploi.

Elle affirme même : « force est de constater la défection manifeste de ce suffixe [-trice] auprès des titulaires de titres ou fonctions plus récentes ». On se demande sur quelle étude se base cette affirmation. La productivité de ce suffixe s’observe non seulement dans la sphère des mots « ancrés de longue date » dans la langue (directrice, inspectrice, institutrice, etc.) - ce n'est pas une question de temps, mais de règle morphologique -, mais aussi dans de nombreux adjectifs substantivés (une novatrice, etc.) et dans des mots désignant des fonctions ou des professions auxquelles les femmes ont eu accès plus récemment. En voici quelques exemples : une amatrice (d’art), une apparitrice, une aviatrice, une compositrice, une conceptrice (de spectacle), une conductrice (de travaux), une conservatrice (de musée), une constructrice (de route), une dessinatrice (de bandes dessinées, de mode), une éditrice (de magazine), une enquêtrice (de police), une correctrice (d’épreuves), une décoratrice (d’intérieur, de théâtre), une exploratrice, une exportatrice (de produits agro-alimentaires), une factrice, une maricultrice, une modératrice (de communauté), une négociatrice (immobilière), une navigatrice, une observatrice (de l’ONU), une opératrice (de saisie), une préparatrice (de laboratoire), une productrice (de cinéma), une programmatrice (de spectacle), une promotrice (de vente), une réalisatrice (de cinéma), une rectrice (d’université), une rédactrice (en chef), une scrutatrice, une souscriptrice (de contrats), une supportrice, une utilisatrice, etc. L’Université Laval a eu autrefois une vice-recteure. De nos jours, elle a une rectrice. Un livre récent de Diane Ducret est intitulé La Dictatrice… Aurait-elle dû lui préférer La Dictateure ? Au total, ces formes « en voie d’obsolescence » et victimes de « défection manifeste » comptent pas moins de 700 unités.

Céline Labrosse condamne autrice au motif que cette forme n’a « jamais été popularisée [sic] dans le passé ». On peut dire exactement la même chose de la forme auteure. Mais cette règle ne semble pas s’appliquer à sa forme favorite… En effet la forme auteure n’a pas plus été « popularisée » dans le passé. Les formes relevées sont rares et ce sont toujours les mêmes qu’on cite.

Elles sont rares parce, contrairement à autrice, elles ne sont pas régulières morphologiquement. Elles s’expliquent par un transfert de la morphologie des adjectifs comparatifs (inférieure, supérieure, meilleure) sur la morphologie de noms de titres et de fonctions. Curieusement les partisan(e)s des formes en -eure ne semblent pas avoir remarqué que le suffixe -eur est aussi un suffixe féminin. On écrit bien une candeur, une faveur, une grandeur. C’est pour cela que certain(e)s écrivent une auteur ou une professeur. Personne n’aurait l’idée d’écrire une candeure, une faveure ou une grandeure

La forme autrice, quant à elle, dérive directement de latin auctrix. Elle est irréprochable du point de vue morphologique, ce qui n’est pas le cas de la forme auteure, encore moins de la forme chercheure. Chercheur et chercheuse entrent dans la série des noms d’agent dérivés d’un verbe transitif direct. Personne n’aurait l’idée de dire une vendeure, alors pourquoi dire une chercheure, sinon pour créer une hiérarchie ridicule entre les professions ?

En choisissant autrice ou chercheuse au lieu d’auteure ou de chercheure, les locuteurs et les locutrices (encore un mot en -trice !) décident d’observer la règle normale de la morphologie française plutôt qu’une règle créée de toutes pièces à des fins idéologiques. Céline Labrosse le reconnaît implicitement quand elle dit : « Les titres féminins ont pris ancrage au Québec dans les années 1970 par la base, à savoir les groupes communautaires, féministes et syndicaux, pour se répandre ensuite doucement à l’échelle de la société ». A ses yeux, ces groupes étaient légitimes, tandis que ceux ou celles qui prônent autrice ne le sont pas. On se demande pourquoi. Curieuse conception de la démocratie. La langue est un bien collectif. Elle n’appartient à personne, pas même aux « groupes communautaires ». Si tout le monde en est possesseur, personne n’en est propriétaire.

On ne peut qu’être d’accord avec elle quand elle affirme (assez curieusement) « le caractère foncièrement évolutoire [sic] de toutes les langues du monde ». Effectivement toutes les langues évoluent, mais elle dit cela pour condamner la forme autrice, sans se douter qu’on peut également l’appliquer à la forme auteure. D’ailleurs elle oublie le caractère « évolutoire » de la langue quand elle critique le plaidoyer des partisans d’autrice au motif qu’il reposerait « sur des considérations et doléances passéistes pourtant réglées depuis nombre d’années ». Dans la langue, rien n’est « réglé », rien n’acquis définitivement, tout peut changer, comme tout peut changer dans la société. Qui peut prédire qu’auteure ne sera pas supplantée un jour par autrice ?

Il est étonnant qu’une féministe s’insurge contre la montée en puissance d’une forme féminine comme autrice. Celle-ci répond mieux qu’auteure aux objectifs légitimes des femmes qui veulent que leur participation à la société soit pleinement reconnue. 

La forme auteure est critiquable grammaticalement. A l’oral, elle ne se distingue pas du masculin auteur. A l’écrit, il lui faut l’artifice d’un -e adventice pour se distinguer du masculin… 

La forme autrice, dérivée directement du latin auctrix, où elle formait un couple avec le masculin auctor, est grammaticalement irréprochable. Comme actrice (faudrait-il dire une acteure ?), elle entre dans une série de noms de titres, de fonctions, de professions et de qualités très ancienne, nombreuse et productive. Elle se distingue du masculin et à l’oral et à l’écrit. Mieux qu’auteure, elle répond donc au double objectif de visibilité et d’audibilité (C’est là certainement la cause de son succès actuel).

Cette attitude critique vis-à-vis d’autrice dénote le désir de certain(e)s non seulement de féminiser les noms de titres et de professions – ce avec quoi tout le monde (ou presque) est d’accord, d’autant plus que cette distinction est inscrite dans la langue –, mais encore de les féminiser à leur manière, à imposer à tout le monde leur conception de la féminisation. C’est une attitude idéologique profondément sectaire et antidémocratique.

PS1 Sur son blog (linguistiquement-correct.blogspot.com), Jacques Maurais s’est exprimé également sur le sujet.
PS2 Dans un article du Devoir publié le 10 février (après à ce billet), Michaël Lessard développe une argumentation similaire à la mienne : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/572583/langue-francaise-le-feminin-merite-t-il-d-etre-entendu

Mots-clés : langue française, féminisation, auteure, autrice, Céline Labrosse, Anne-Marie Pilote, Arnaud Montreuil.

24 janvier 2020

Observe-t-on une "défection" vis-à-vis du suffixe -trice ?

Dans Le Devoir du 23 janvier 2020, en réponse à Anne-Marie Pilote et à Arnaud Montreuil, Céline Labrosse critique la forme autrice et se fait la défenseuse de la forme auteure. Celle-ci aurait une sorte de droit acquis par rapport à celle-là. Dans sa défense, elle affirme : « La finale –trice ... est exemplifiée dans l’article susmentionné par des féminins ancrés de longue date. Or, force est de constater la défection manifeste de ce suffixe auprès des titulaires de titres ou fonctions plus récentes : appariteure, constructeure de décors, programmateure, promoteure, scrutateure, souscripteure, etc. » 
Une telle affirmation est inexacte. Au contraire, ce suffixe est très vivant, tout simplement parce qu’il observe une règle de base de la morphologie du français. Et il s’applique aussi bien à des formes nouvelles qu’aux formes « ancrées de longue date ». Ainsi on dit couramment : une accusatrice, une amatrice (d’art), une apparitrice, une aviatrice, une compositrice, une conceptrice (de spectacle), une consommatrice, une conductrice (de travaux), une constructrice (de routes), une correctrice (d’épreuves), une décoratrice (de théâtre), une directrice (d’école), une dessinatrice (de bandes dessinées), une éditrice (de magazine), une éducatrice, une enquêtrice (de police), une exploratrice, une exportatrice (de produits alimentaires), une lectrice (de français), une maricultrice, une modératrice (de communauté), une monitrice, une négociatrice (immobilière), une narratrice, une navigatrice, une novatrice, une observatrice (de l’ONU), une opératrice (de saisie), une préparatrice (de laboratoire), une programmatrice (de spectacle), une promotrice (de vente), une réalisatrice (de cinéma), une rectrice (d’université), une rédactrice (en chef), une scrutatrice, une sénatrice, une souscriptrice (de contrats), etc. Un livre récent de Diane Ducret est intitulé La Dictatrice… 
On a la preuve que le suffixe féminin -trice, loin d’être désuet, est au contraire très vivant et productif.

Mots-clés : langue française, féminisation, auteure, autrice, suffixe -trice, productivité, Céline Labrosse, Anne-Marie Pilote, Arnaud Montreuil.

11 janvier 2020

L'odonyme rue Principale est-il un calque de l'anglais Main Street?


Au Québec, l'odonyme rue Principale est très courant. Si l'on interroge la base de la Commission de la toponymie du Québec, on apprend qu'il en existe 584 dans la province. Si l'on interroge la base pour savoir si l'odonyme Grande Rue est également présent, on constate son absence totale : 0 occurrence.

Si l'on compare avec la situation française, on note une grande différence. L'odonyme rue Principale est également présent en France, mais il est moins fréquent que l'odonyme Grande Rue (ou sa variante archaïsante Grand'Rue). On relève 3943 occurrences de Grande Rue et 2452, de rue Principale, c'est-à-dire que, si l'on compare la fréquence relative des deux membres du couple Grande Rue/rue Principale, Grande Rue apparaît dans 61 % des cas, rue Principale, dans 38 %.

Cela montre que le simple fait qu'il y a parallélisme entre la forme québécoise rue Principale et la forme anglaise Main Street n'est pas suffisant pour prouver qu'on a affaire à un anglicisme. Où alors il faudrait considérer que tous les odonymes rue Principale de France sont aussi des anglicismes. Ce qui est peu probable.

Mais il est aussi un autre facteur à prendre en considération. C'est celui de la fréquence. L'absence totale de l'odonyme Grande Rue au Québec (du moins dans la langue officielle), associée à la seule présence de l'odonyme rue Principale, pourrait indiquer qu'on a affaire non pas à un calque de forme de l'anglais mais plutôt à un anglicisme de fréquence.

Tableau : Emplois de Grande Rue et de rue Principale en France et au Québec.


France1

Québec2


nombre de cas
pourcentage
nombre de cas
pourcentage
Grande Rue
3943
61
0
0
rue Principale
2452
38
584
100
1 source : La Poste. 2 source Commission de toponymie du Québec.

Mots-clés : langue française; anglicisme; odonyme; rue Principale; Grande Rue; Grand'Rue; Main Street; Québec; France.

10 janvier 2020

Autrice (suite)


La position de l'Académie française sur la forme autrice, telle qu'elle est énoncée dans son Rapport sur la féminisation des noms de métier et de fonction (2019). C'est moi qui souligne.


« Un cas épineux est celui de la forme féminine du substantif "auteur". Il existe ou il a existé des formes concurrentes, telles que "authoresse" ou "autoresse", "autrice" (assez faiblement usité) et plus souvent aujourd’hui "auteure". On observera que l’on parle couramment de "créatrice" et de "réalisatrice" : or la notion d’"auteur" n’est pas moins abstraite que celle de  "créateur" ou de "réalisateur". "Autrice", dont la formation est plus satisfaisante, n’est pas complètement sorti de l’usage, et semble même connaître une certaine faveur, notamment dans le monde universitaire, assez rétif à adopter la forme "auteure". Mais dans ce cas, le caractère tout à fait spécifique de la notion, qui enveloppe une grande part d’abstraction, peut justifier le maintien de la forme masculine, comme c’est le cas pour "poète" voire pour "médecin". L’étude de ce cas illustre l’ancrage dans la langue des formes anciennes en "-trice", ce mode de féminisation ayant toujours la faveur de l’usage.»

Mots-clés : langue française; féminisation des noms de métier et de fonction; Académie française; auteur; auteure, autrice.