26 août 2021

Doit-on dire « frapper un mur » ou « se heurter à un mur » ?

Le gouvernement du Québec a publié une vidéo intitulée : « N’attendez pas de frapper un mur. Faites-vous vacciner. » On y voit une jeune femme dans une boîte de nuit se dirigeant vers un jeune homme, quand soudain elle se heurte à un mur invisible, un mur de verre, qui l’empêche de le rejoindre. Le message est clair : les personnes non vaccinées se privent de vie sociale.

Dans cette vidéo, l'expression « frapper un mur » a été critiquée, particulièrement parce qu’elle est employée par un organisme gouvernemental, qui devrait être un « gardien de la langue ». On reproche à cette expression de ne pas être française, d’être un anglicisme masqué.  De fait, c’est une expression familière très courante au Québec.

Elle n’est un anglicisme qu’indirectement. En anglais « to hit a wall » signifie plutôt « atteindre ses dernières limites ». On le dira, par exemple, d’un athlète qui a atteint le maximum de ce qu’il peut faire. Mais c’est probablement un anglicisme de sens dans la mesure où le verbe « frapper » en français québécois est fortement influencé par le verbe « to hit » anglais.

Ainsi la phrase « L’automobiliste a frappé un piéton » se comprend différemment en français québécois et en français standard international. Dans le premier cas, l’automobiliste a heurté un piéton; dans le second, il lui a donné un coup  de poing ou une claque. C’est assez différent !

Sous l'influence de « to hit », le verbe « frapper » en français québécois couvre les sens de frapper et de heurter en français standard international.

En français standard, le verbe « frapper », employé avec un sujet animé, signifie « donner un coup » (« L’automobiliste a frappé un piéton » : il lui a donné un coup) ; employé avec un sujet inanimé, il signifie « toucher, atteindre » (« La balle a frappé le poteau » : elle l'a touché). Le verbe « heurter » signifie  « entrer en contact (accidentellement, rudement, etc.) avec quelqu’un ou quelque chose » («  L’automobiliste a heurté un piéton, un mur »).

Le mot « mur » a donné lieu en français standard à plusieurs expressions figées : « aller (droit) dans le mur » (aller à un échec certain) ; « se heurter à un mur » (se heurter à un obstacle infranchissable, à un refus total) ; « se cogner la tête contre les murs » (fournir de gros efforts inutilement), etc.

Dans la publicité québécoise, la jeune femme ne « frappe pas un mur », elle « se heurte à un mur », ce qui l'empêche de rejoindre le jeune homme. La seconde formulation est linguistiquement plus correcte mais, en contexte québécois, la première est expressivement bien plus forte…

Mots-clés : français québécois ; anglicisme de sens ; phraséologie ; frapper un mur ; to hit a wall ; se heurter à un mur ; se cogner à un mur.

14 juin 2021

Doit-on dire « tomates sur la vigne » ou « tomates en grappes » ?

Ce genre de fruit (la tomate est un fruit qui se consomme comme un légume…) se vend couramment au Québec sous le nom de « tomates sur la vigne ». C'est évidemment un calque sémantique de l'anglais « tomatoes on vine ». Dans cette langue, le mot vine a deux acceptions: 1) vigne; 2) plante grimpante ou rampante. C'est ce second sens qui a inspiré le calque. On peut certainement le classer parmi les anglicismes les plus absurdes ! En français, on dit « tomates en grappes », expression souvent réduite sur les étiquettes des étals en « tomates grappes ».


Mots-clés : français; français québécois; anglicisme; calque; sémantique; tomatoes on vine; tomates sur la vigne; tomates en grappes; tomates grappes.

07 janvier 2021

Lu ce matin dans Le Journal de Montréal la phrase suivante :

‹‹ En entrevue avec Richard Martineau, le père récemment devenu monoparental a raconté avec plusieurs pointes d'humour comment il "gère" ses enfants seul durant la pandémie. ›› (Le Journal de Montréal, 06/01/2021).

Un père devenu monoparental...

Je ressors un billet sur le sujet écrit en 2014.

L'adjectif « monoparental » signifie « qui a un seul parent ». On ne peut donc pas dire « mère monoparentale ». Cela signifierait « une mère qui a un seul parent »... Idem pour « père monoparental ». C'est absurde et c'est une impropriété.

L'étymologie du mot est limpide : mono (= unique) + parent + al (= adjectif). Monoparental = parent unique. On peut donc dire une « famille monoparentale », c'est-à-dire une famille où il y a un seul parent (la mère ou le père), mais on ne peut pas dire « mère monoparentale ». On doit dire « mère célibataire » ou « mère seule » ou encore « mère isolée ».

Dans la presse francophone canadienne, le syntagme fautif « mère monoparentale » représente 56 % des occurrences… le syntagme « mère célibataire », 29 %; le syntagme « mère seule », 14 %; le syntagme « mère isolée » est pratiquement inexistant.

Dans la presse francophone européenne, le syntagme « mère célibataire » représente 65 % des occurrences; le syntagme « mère seule », 20 %; le syntagme « mère isolée », 14 %; le syntagme « mère monoparentale » est pratiquement inexistant.

Mots-clés : français; impropriété; monoparental; mère monoparentale; mère célibataire; mère seule; mère isolée; père monoparental; père célibataire; père seul; père isolé; Le Journal de Montréal.

 

06 janvier 2021

Un néologisme d'actualité : vaccinodrome.

Les scrabbleurs vont être contents. Un nouveau mot va s'ajouter aux noms en -drome. On connaissait déjà aérodrome, autodrome, boulodrome, cosmodrome, hippodrome, palindrome, patinodrome, prodrome, syndrome et vélodrome. Bienvenue au petit dernier, bien d'actualité, vaccinodrome !

Mais qu'est-ce qu'un vaccinodrome ? N'est-ce pas tout simplement un centre de vaccination comme on en connaît déjà ? Pas du tout si l'on en croit cette citation : "Les scientifiques et les élus qui pressent pour des vaccinodromes veulent en réalité que des hypermarchés de la vaccination voient le jour en France. Il en existe en Israël (300) et en Allemagne (440). Ce sont des hangars, halls d’exposition, gymnases, salles des fêtes transformées de manière éphémère pour accueillir massivement et à la chaîne les volontaires à la vaccination contre le Covid-19. Ce qui implique un changement de philosophie : pour que les vaccinodromes fonctionnent, il faudrait que d’autres personnels se joignent aux médecins pour faire l’injection." (Huffpost, 05/01/21).

Mots-clés : français; mots en -drome; néologisme; vaccinodrome.

 

04 janvier 2021

Un curieux emploi du mot éclosion.

Quand on lit la presse québécoise, on est frappé par la fréquence du syntagme éclosion de cas. Il est question, bien sûr, de la covid-19. Si l'on compare avec la presse française, on s'aperçoit que le choix des termes et leurs fréquences relatives sont très différents. Un rapide sondage grâce à Google Recherche avancée concernant les quatre syntagmes suivants : apparition(s) de cas, éclosion(s) de cas, éruption(s) de cas et explosion(s) de cas donne des résultats surprenants (voir tableau ci-dessous). Le terme le plus neutre – apparition(s) de cas - domine largement dans la presse française (80% des occurrences), mais n'arrive qu'en deuxième position dans la presse francophone canadienne (46% d'occurrences). En revanche, le syntagme éclosion(s) de cas, quasi absent de la presse française (2%), occupe la première place dans la presse francophone canadienne.

Une explication possible se trouve dans l'influence du terme anglais outbreak ("An eruption; the sudden appearance of a rashdisease, etc. Any epidemic outbreak causes understandable panic", selon Wiktionary). Cette hypothèse est appuyée par le fait que le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française, à la fiche outbreak, donne un seul équivalent : éclosion… Il y a fort à parier que les agences de presse et les journalistes se sont précipités sur cette fiche (de 2020). Le moins qu'on puisse dire est que choix n'est pas heureux... Au sens propre, le mot éclosion se rapporte à un œuf ou à un bouton de fleur. Au sens figuré, il se rapporte à un phénomène agréable, positif (l'éclosion du jour, du printemps, d'une idée, d'une personnalité, etc.). On ne peut pas dire que ce soit le cas des "éclosions" de covid-19.

 

 

France

ordre

Canada

ordre

apparition(s) de cas

80%

1

30%

2

éclosion(s) de cas

2%

3

46%

1

éruption(s) de cas

1%

4

0%

4

explosion(s) de cas

16%

2

23%

3

Source : Google Recherche avancée (04/01/2021).

 

Mots-clés : langue française; traduction; variation; Québec; France; covid-19; apparition de cas; éclosion de cas; éruption de cas; explosion de cas; outbreakGrand Dictionnaire terminologique; Office québécois de la langue française.

 

03 janvier 2021

Serais-je glottophobe ? À propos du français fédéral canadien.

De retour au Canada après un séjour à l'étranger (rassurez-vous, je n'étais pas allé me faire bronzer dans le Sud), je suis tenu de rester confiné à la maison pendant 14 jours. Chaque jour, je dois appeler un numéro de téléphone, "pointer" auprès d'un organisme du Gouvernement du Canada et déclarer si j'ai des symptômes liés à la covid-19.

Comme il s'agit d'un organisme fédéral, on vous donne le choix de communiquer en anglais ou en français. La voix (féminine) française qui vous accueille et vous guide présente un curieux mélange d'accent à couper au couteau, très particulier (certainement hors Québec) et archaïsant. Ses "r" roulent comme des battements de tambour. Certaines de ses voyelles internes sont amuïes. Certaines de ses voyelles finales, fortement diphtonguées. Curieux mélange parce que son accentuation et son intonation sont typiquement anglaises. Aucun locuteur natif, quel que soit son accent, ne parlerait comme cela. Et ce n'est pas toujours facile à comprendre. 

De plus, le contenu du message (ce n'est plus "la voix" qui est responsable) comprend plusieurs erreurs. Si vous ne pointez pas quotidiennement, on vous avertit qu'il s'agit d'une "effraction à la loi" (sic), alors qu'il faudrait dire bien évidemment "infraction"...  On vous prévient que vos renseignements personnels pourront être "divulgués" (sic) aux provinces ou territoires", ce qui est une autre impropriété. La version anglaise dit disclose. Soupçonnant une traduction littérale, je vérifie dans le dictionnaire bilingue Robert & Collins. Bingo ! sous disclose, je trouve comme premier équivalent... divulguer. Sauf que le dictionnaire précise bien : divulguer un secret... Il faut donc comprendre que les renseignements fournis seront "communiqués" aux provinces ou territoires, et non pas "divulgués". Si vous vous trompez, la voix vous demande de "garder la ligne", calque de l'anglais "to hold the line"... Elle vous demande de "déclarer tout symptôme potentiel" (on ne parle pas des symptômes réels...). Comme tout le monde, j'imagine que si j'attrapais la covid-19, je pourrais avoir de la fièvre, je pourrais tousser, etc... Est-ce que je dois déclarer tous les jours, pendant 14 jours, ces symptômes "potentiels" ? Parmi ces symptômes "potentiels", on vous demande "si vous avez une toux" plutôt que "de la toux"...

Accentuation et intonation anglaises, impropriétés, calques, ajoutez à cela le fait qu'on vous demande d'entrer sur votre clavier de téléphone vos dates d'arrivée au Canada et votre date de naissance selon le format anglais : mois, jour, année. Autre source de difficulté et d'erreur pour un francophone.

On se demande si les Canadiens anglophones accepteraient que leur gouvernement communique avec eux dans un anglais fortement marqué d'une intonation et d'un accent français et dans une langue véhiculant des calques et des impropriétés. Le choix de cette voix répond certainement à une intention politiquement correcte. Il s'agit de montrer que le français rayonne partout au Canada, peu importe ses accents, même s'ils révèlent malheureusement une forte acculturation à l'anglais.

Les francophones ne méritent-ils pas d'être servis par leur gouvernement dans un français qui corresponde à la norme majoritaire (comme on l'observe, par exemple, à TVA ou à Radio-Canada) ? Est-ce trop demander ? Mais en disant cela, je suis pris d'un doute. Serais-je glottophobe ?

Mots-clés : français; anglais; Gouvernement du Canada; ArrivCAN; qualité de la langue; articulation; amuïssement; diphtongaison; accent; intonation; acculturation; impropriété; calque; effraction vs infraction; divulguer vs communiquer; contrôle; auto-isolement; glottophobie.

 

31 décembre 2020

Les Mots de l’année 2020 en France.

L’année 2020, annus horribilis, restera certainement dans l’histoire comme l’année de la Covid-19. À année exceptionnelle, vocabulaire particulier. De nombreux termes, naguère limités à la langue spécialisée de la recherche médicale et de la médecine, ont fait irruption dans la langue commune, diffusés, expliqués, glosés, interprétés – parfois mal – par les medias et les invités des plateaux télévisés. Des termes anciens ont été propulsés sur le devant de la scène ; des termes nouveaux, créés ; des termes anglais, empruntés intégralement ou traduits littéralement. Si le virus et la maladie, avec le vocabulaire qu’ils ont mis de l’avant, ont dominé la scène médiatique et langagière, d’autres domaines ont également rendu populaires de nouveaux mots ou de nouvelles expressions.

Pour la définition des termes de la covid-19, voir mon billet : 

https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/10/petit-lexique-de-la-covid-19.html.

Le mot de l’année

Le mot de l’année 2020 en France, comme dans d’autres pays du monde, est sans conteste COVID-19.

Ce néologisme est un acronyme forgé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’anglais CoronavIrus Disease 2019, c’est-à-dire « maladie à coronavirus (de l’année) 2019 ». En effet cette maladie est apparue dans la ville de Wuhan, en Chine, en novembre 2019.

Pour le monde anglophone, voir :

https://languages.oup.com/word-of-the-year/2020/.

Pour la Russie : 

https://www.dw.com/ru/v-rossii-slovami-goda-stali-obnulenie-i-samoizoljacija/a-55560770.

Le terme présente deux difficultés en français.

Difficulté de genre d’abord. Doit-on dire le ou la COVID-19 ? Avant la publication officielle de ce terme par l’OMS le 11 février 2020, on employait couramment les termes virus ou coronavirus, qui sont masculins. Par analogie, le genre masculin a été reporté sur le nouveau terme à cause d’une confusion entre le virus (le SARS-CoV-2 ou SRAS-CoV-2) et la maladie qu’il provoque (la COVID-19). En toute logique, on doit dire la COVID-19 (féminin), puisque que le D de l’acronyme correspond à l’anglais desease, c’est-à-dire au français maladie (féminin). Malgré cela, l’usage du masculin s’est solidement implanté en France, même si les autorités médicales et politiques utilisent le féminin dans leurs communications officielles. Toutefois il semble que le féminin, quoique encore minoritaire,  fasse des progrès en France alors qu'il est la règle au Québec.

Voir mon billet : 

https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/11/doit-on-dire-le-ou-la-covid.html.

Difficulté d’orthographe ensuite. Faut-il écrire COVID-19 en lettres capitales (majuscules) ou covid-19 en minuscules ? D’une manière générale, on doit écrire les sigles en lettres capitales. Cependant quand ces sigles (ou acronymes) deviennent des noms communs, l’usage accepte l’emploi des minuscules. On peut donc écrire covid-19, le mot étant désormais entré dans la langue commune.

Enfin le terme abrégé covid a tendance à remplacer le terme complet covid-19 dans la langue parlée.

Autres mots de l’année liés à la covid-19

Le virus, la pandémie

Il n’est pas étonnant que les mots virus, coronavirus, et la forme abrégée familière corona, fassent partie des mots de l’année en France. Leur fréquence est très élevée.

Citation :

« L’école au temps du corona », émission de France-Culture (26/03/2020).

Le terme anglais SARS-CoV-2 et son équivalent français SRAS-CoV-2 (« symptôme respiratoire aigu sévère »), désignant une maladie infectieuse des poumons due à un coronavirus, ont été également très fréquemment employés même dans les médias généralistes. Comme je l’ai dit plus haut, on fait souvent l'amalgame entre le virus (le SRAS-CoV-2) et la maladie (la COVID-19).

Au début de l’année, on a parlé de l’épidémie (« développement et propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine infectieuse, dans une population ») qui frappait une région de la Chine (la province du Hubei avec sa capitale, Wuhan). Le 11 mars 2020, l’OMS a déclaré officiellement qu’on avait affaire à une pandémie (« épidémie étendue à toute la population d'un continent, voire au monde entier »). Désormais le mot va être souvent employé.

La contamination

Remonter la chaîne de transmission

Le 24 janvier, on a signalé les premiers cas de covid-19 en France. On a vite constaté que la covid-19 était une maladie très contagieuse. On a cherché à savoir quelle était l’origine de l’infection, par quel(s) chemin(s) se faisait la contagion. Deux emprunts intégraux à l’anglais sont apparus :  tracing et tracking. Les deux termes étaient déjà utilisés dans la langue spécialisée d’autres domaines (en logistique), mais la pandémie les a propulsés à l’avant-scène. L’emprunt intégral contact tracing a deux concurrents, traçage des contacts, qui est à la fois un calque de forme et un calque de sens, et suivi des contacts, qui peut avoir un sens différent.

On s’est efforcé de retrouver le patient zéro à l’origine de la formation de clusters. L’emprunt intégral à l’anglais cluster est entré en concurrence avec plusieurs syntagmes français comme foyer de contamination, foyer épidémique, foyer de transmission, foyer d'infection, foyer de contagion ou foyer tout court. Aucun d’eux n’a réussi à supplanter l’anglicisme et leurs « scores » cumulés n’équivaut même pas celui de cluster seul… Certains spécialistes disent qu’il y a une différence entre un « cluster » et un « foyer ». Seule l’expression cas groupés, utilisée par Santé publique France, dépasse cluster en fréquence.

Voir mon billet : 

https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/09/comment-traduire-cluster-dans-le-domaine-medicalL'ordre de fréquence a pu changer depuis la date de sa rédaction.

Citation :

« L'anglicisme [cluster], un peu barbare à première vue, inusité du grand public, ne plaît pas à tout le monde. Pas même à "son" ministre de tutelle, Olivier Véran, qui mardi lâchait sur notre antenne : "On va arrêter de parler de cluster parce que je crois que les gens ne comprennent pas quand on parle de cluster. Je comprends parfaitement et en plus c’est un anglicisme." » (BFM-TV, 04/03/2020).

Autre terme spécialisé ayant fait son entrée dans le langage de l'actualité : l'abréviation R0, c'est-à-dire le taux de reproduction de base, le nombre moyen d'individus qu'une personne infectieuse peut infecter. D'ailleurs toutes sortes d'autres taux ont été employées, souvent dans la confusion : taux d'incidence, de prévalence, de létalité, de mortalité… On a souligné le fait que les personnes les plus à risques (en anglais at-risk patients) étaient surtout celles qui avaient des comorbidités.

On s'est demandé si la meilleure stratégie de lutte contre la contagion ne serait pas de tout laisser aller jusqu'à ce qu'on atteigne l'immunité collective  ou immunité de groupe, voire l'immunité de… troupeau (calque de l'anglais herd immunity).

Mesures de protection

À défaut de traitement ou de vaccin, le seul moyen d’enrayer la propagation de l’épidémie est de pratiquer des gestes barrières. Parmi ces gestes, figure le respect de la distanciation sociale et/ou de la distanciation physique. Les deux termes, calques de l’anglais social distancing et physical distancing, sont souvent employés indifféremment, alors que l’OMS souligne que le plus important est la distance physique entre individus, car à l'heure d'Internet la distanciation sociale n'existe pratiquement plus. L’expression « éloignement sanitaire » ne semble pas avoir eu de succès.

Le public a fait connaissance avec différentes sortes de masques : masque FFP2, masque chirurgical, masque barrière, masque alternatif... L'anglais dit curieusement a face mask, ce qui ressemble fort à un pléonasme. Il ajoute en précision avec l'expression face covering pour désigner tout moyen utilisé pour couvrir son visage, qu'il s'agisse d'un masque véritable ou d'une simple écharpe. Cette distinction n'a pas semblé nécessaire en français, sauf au Canada, où l'on a forgé le calque couvre-visage. Bien vite sont apparus des anti-masques. Les visières de protection ont eu aussi un certain succès. On n’a jamais autant entendu parler de gel hydro(-)alcoolique. On a critiqué la pénurie de protections, de masques, de gel, de tests, de respirateurs artificiels, communément appelés ventilateurs (en anglais ventilator) par les professionnels de la santé.

Ces gestes barrières n’ayant pas été suffisamment efficaces, il a fallu instaurer des quarantaines, réduites en fait à des quatorzaines, puis à des septaines… Ces mesures n'ayant pas été non plus suffisantes, il a fallu décrété un confinement général (en anglais lockdown, shelter-at-home, stay-at-home, en russe локдаун, режим самоизoляции) et imposer des attestations de déplacement. Après la pluie, le beau temps. Après le confinement est arrivé le déconfinement… avant peut-être malheureusement un reconfinement en janvier 2021…

Le dépistage

Un des mots les plus employés cette année a certainement été test. Dès le début, l'OMS affirmait : Testez, testez, testez. On a tout dit sur les différentes sortes de tests : test PCR, test antigénique, teste sérologique… Et l'on a même déploré la pénurie d'écouvillons... Pour faciliter l'accessibilité aux tests, on a mis en place des drives de dépistage.

Les traitements et les vaccins

Ils ont été sources de polémiques. Le grand public a découvert que les chercheurs et les médecins pouvaient avoir de profonds désaccords. Tout le monde a eu un avis sur la question, si bien qu'on a assisté parmi les piliers de plateaux télévisés à un festival d'ultracrépidarianisme… Une des plus grandes polémiques a tourné autour de l'usage de la chloroquine, ardemment défendu par le professeur Didier Raoult, mais accueilli avec beaucoup de scepticisme par la majorité des chercheurs et des organismes publics, critiquant l'absence d'études randomisées pour prouver l'efficacité réelle du traitement. Une polémique typiquement franco-française, ayant déclenché une véritable Raoult mania (surtout à Marseille) contrée par un fort Raoult bashing (surtout à Paris)…

Ultracrépidarianisme, mot compliqué et un peu pédant, mais pas inutile : 

https://www.brut.media/fr/news/l-ultracrepidarianisme-l-art-de-parler-de-ce-qu-on-ne-connait-pas-df0c0552-6eb9-46eb-9406-f7bfe38ccf44.

Si la chloroquine a trouvé ses défenseurs et ses critiques, il en est de même des vaccins. Il y a le pro et les anti-vaccins (ou antivax). Toute une partie de l'opinion, très vaccino-sceptique, participe au vaccin-bashing. Beaucoup se sont inquiétés du complotisme ambiant, qui explique les causes ou l'origine de la pandémie par une vaste conspiration impliquant tantôt les Chinois, tantôt le gouvernement ou les élites, tantôt Big Pharma ou Bill Gates ou bien encore George Soros… La désinformation sur la pandémie a été source de nombreuses infodémies, mot-valise formé sur information et épidémie.

Nouvelles habitudes

La pandémie et les mesures prises par les autorités ont eu pour effet des changements importants dans le travail et la vie sociale. Les mots composés en télé ont été très fréquents : télétravail, télé-enseignement, téléconsultation. Le présentiel a souvent cédé la place au distanciel.

III. Mots de l’année dans d’autres domaines.

En politique intérieure française, l'actualité a aussi mis de l'avant les expressions violences policières, auxquelles on a opposé violences contre la police.

Autres mots fréquemment utilisés : terrorisme islamiste, la France ayant été victime cette année encore de plusieurs actes de terrorisme commis par cette mouvance; séparatisme, mot employé par le président de la République pour désigner l'attitude d'une partie des populations immigrées ou issues de l'immigration qui refuse de s'intégrer à la société française et à adhérer à ses valeurs; laïcité comme rappel d'un des fondements du contrat social français et comme réponse aux exigences islamistes; islamo-gauchiste, pour désigner la frange de l'extrême gauche qui fait alliance avec les mouvements islamistes.

Mais après déclin, et dans la même ligne, c'est le mot déclassement qui est apparu au printemps pour désigner la situation de la France par rapport aux autres pays.

Un mot jusque-là confiné au cercle étroit des sociolinguistes, glottophobie (ou discrimination linguistique), a été mis de l'avant lorsque que Jean Castex, qui a un fort accent du Midi, a été nommé premier ministre. A cette occasion, on a relevé que peu de personnalités politiques avaient un accent autre que celui de la norme du français standard. Et certains y ont vu une forme de discrimination.

Voir dans Wikipédia :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Glottophobie#:~:text=La%20glottophobie%20(%C3%A9galement%20appel%C3%A9e%20discrimination,discrimination%20fond%C3%A9e%20sur%20la%20langue.

Covid-19, pandémie, comorbidité, surmortalité, masque, gestes barrières, confinement, couvre-feu…. ont accompagné cette année 2020. Espérons que les mots de l'année 2021 concerneront des événements plus réjouissants…

Mots-clés : mots de l'année; France; 2020.