L’année 2020, annus horribilis, restera
certainement dans l’histoire comme l’année de la Covid-19. À année
exceptionnelle, vocabulaire particulier. De nombreux termes, naguère limités à
la langue spécialisée de la recherche médicale et de la médecine, ont fait
irruption dans la langue commune, diffusés, expliqués, glosés, interprétés –
parfois mal – par les medias et les invités des plateaux télévisés. Des termes
anciens ont été propulsés sur le devant de la scène ; des termes nouveaux,
créés ; des termes anglais, empruntés intégralement ou traduits
littéralement. Si le virus et la maladie, avec le vocabulaire qu’ils ont mis de
l’avant, ont dominé la scène médiatique et langagière, d’autres domaines ont également
rendu populaires de nouveaux mots ou de nouvelles expressions.
Pour la
définition des termes de la covid-19, voir mon billet :
https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/10/petit-lexique-de-la-covid-19.html.
Le mot de l’année
Le mot de l’année 2020 en France, comme dans d’autres pays du monde, est sans conteste COVID-19.
Ce néologisme est un
acronyme forgé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur l’anglais CoronavIrus
Disease 2019, c’est-à-dire « maladie à coronavirus (de
l’année) 2019 ». En effet cette maladie est apparue dans la ville de Wuhan,
en Chine, en novembre 2019.
Pour le monde anglophone, voir :
https://languages.oup.com/word-of-the-year/2020/.
Pour la Russie :
https://www.dw.com/ru/v-rossii-slovami-goda-stali-obnulenie-i-samoizoljacija/a-55560770.
Le terme présente deux difficultés en français.
Difficulté de genre d’abord. Doit-on dire le ou la
COVID-19 ? Avant la publication officielle de ce terme par l’OMS le 11
février 2020, on employait couramment les termes virus ou coronavirus,
qui sont masculins. Par analogie, le genre masculin a été reporté sur le
nouveau terme à cause d’une confusion entre le virus (le SARS-CoV-2 ou
SRAS-CoV-2) et la maladie qu’il provoque (la COVID-19). En toute logique, on
doit dire la COVID-19 (féminin), puisque que le D de
l’acronyme correspond à l’anglais desease, c’est-à-dire au français maladie
(féminin). Malgré cela, l’usage du masculin s’est solidement implanté en
France, même si les autorités médicales et politiques utilisent le féminin dans
leurs communications officielles. Toutefois il semble que le féminin, quoique
encore minoritaire, fasse des progrès en
France alors qu'il est la règle au Québec.
Voir mon billet :
https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/11/doit-on-dire-le-ou-la-covid.html.
Difficulté d’orthographe ensuite. Faut-il écrire COVID-19
en lettres capitales (majuscules) ou covid-19 en minuscules ? D’une
manière générale, on doit écrire les sigles en lettres capitales. Cependant
quand ces sigles (ou acronymes) deviennent des noms communs, l’usage accepte l’emploi
des minuscules. On peut donc écrire covid-19, le mot étant désormais entré dans
la langue commune.
Enfin le terme abrégé covid a tendance à remplacer
le terme complet covid-19 dans la langue parlée.
Autres mots de l’année liés à la covid-19
Le virus, la pandémie
Il n’est pas étonnant que les mots virus, coronavirus,
et la forme abrégée familière corona, fassent partie des mots de l’année
en France. Leur fréquence est très élevée.
Citation :
« L’école au temps du corona »,
émission de France-Culture (26/03/2020).
Le terme anglais SARS-CoV-2 et son équivalent
français SRAS-CoV-2 (« symptôme respiratoire aigu sévère »),
désignant une maladie infectieuse des poumons due à un coronavirus, ont été
également très fréquemment employés même dans les médias généralistes. Comme je
l’ai dit plus haut, on fait souvent l'amalgame entre le virus (le SRAS-CoV-2)
et la maladie (la COVID-19).
Au début de l’année, on a parlé de l’épidémie (« développement
et propagation rapide d'une maladie contagieuse, le plus souvent d'origine
infectieuse, dans une population ») qui frappait une région de la Chine (la
province du Hubei avec sa capitale, Wuhan). Le 11 mars 2020, l’OMS a déclaré officiellement
qu’on avait affaire à une pandémie (« épidémie étendue à toute la
population d'un continent, voire au monde entier »). Désormais le mot va
être souvent employé.
La contamination
Remonter la chaîne de transmission
Le 24 janvier, on a signalé les premiers cas de covid-19
en France. On a vite constaté que la covid-19 était une maladie très
contagieuse. On a cherché à savoir quelle était l’origine de l’infection, par
quel(s) chemin(s) se faisait la contagion. Deux emprunts intégraux à l’anglais
sont apparus : tracing et tracking. Les deux termes
étaient déjà utilisés dans la langue spécialisée d’autres domaines (en
logistique), mais la pandémie les a propulsés à l’avant-scène. L’emprunt
intégral contact tracing a deux concurrents, traçage des contacts,
qui est à la fois un calque de forme et un calque de sens, et suivi des
contacts, qui peut avoir un sens différent.
On s’est efforcé de retrouver le patient zéro à
l’origine de la formation de clusters. L’emprunt intégral à l’anglais cluster
est entré en concurrence avec plusieurs syntagmes français comme foyer
de contamination, foyer épidémique, foyer de transmission, foyer
d'infection, foyer de contagion ou foyer tout court. Aucun d’eux n’a réussi à supplanter l’anglicisme et
leurs « scores » cumulés n’équivaut même pas celui de cluster seul… Certains
spécialistes disent qu’il y a une différence entre un « cluster » et
un « foyer ». Seule l’expression cas groupés, utilisée par
Santé publique France, dépasse cluster
en fréquence.
Voir mon billet :
https://carnetdunlinguiste.blogspot.com/2020/09/comment-traduire-cluster-dans-le-domaine-medical. L'ordre de fréquence a pu changer depuis la date de sa rédaction.
Citation :
« L'anglicisme [cluster], un peu barbare à première vue, inusité du grand public,
ne plaît pas à tout le monde. Pas même à "son" ministre de tutelle,
Olivier Véran, qui mardi lâchait sur notre antenne : "On va arrêter de
parler de cluster parce que je crois que les gens ne comprennent
pas quand on parle de cluster. Je comprends parfaitement et en plus
c’est un anglicisme." » (BFM-TV, 04/03/2020).
Autre terme spécialisé ayant fait son entrée dans le
langage de l'actualité : l'abréviation R0,
c'est-à-dire le taux de reproduction
de base, le nombre moyen d'individus qu'une personne infectieuse peut infecter.
D'ailleurs toutes sortes d'autres taux ont été employées, souvent dans la
confusion : taux d'incidence, de
prévalence, de létalité, de mortalité… On a souligné le fait que les
personnes les plus à risques (en
anglais at-risk patients) étaient
surtout celles qui avaient des comorbidités.
On s'est demandé si la meilleure stratégie de lutte contre
la contagion ne serait pas de tout laisser aller jusqu'à ce qu'on atteigne l'immunité collective ou immunité
de groupe, voire l'immunité de… troupeau (calque de l'anglais herd immunity).
Mesures de protection
À défaut de traitement ou de vaccin, le seul moyen
d’enrayer la propagation de l’épidémie est de pratiquer des gestes barrières.
Parmi ces gestes, figure le respect de la distanciation sociale et/ou de la distanciation physique.
Les deux termes, calques de
l’anglais social distancing et physical distancing, sont
souvent employés indifféremment, alors que l’OMS souligne que le plus important
est la distance physique entre
individus, car à l'heure d'Internet la distanciation sociale n'existe
pratiquement plus. L’expression « éloignement sanitaire » ne semble
pas avoir eu de succès.
Le public a fait connaissance avec différentes sortes de masques : masque FFP2, masque
chirurgical, masque barrière, masque alternatif... L'anglais dit curieusement a face mask, ce qui ressemble fort à un
pléonasme. Il ajoute en précision avec l'expression face covering pour désigner tout moyen utilisé pour couvrir son
visage, qu'il s'agisse d'un masque véritable ou d'une simple écharpe. Cette
distinction n'a pas semblé nécessaire en français, sauf au Canada, où l'on a
forgé le calque couvre-visage. Bien
vite sont apparus des anti-masques. Les visières de protection
ont eu aussi un certain succès. On n’a jamais autant entendu parler de gel
hydro(-)alcoolique. On a critiqué la pénurie de protections, de
masques, de gel, de tests, de respirateurs artificiels, communément
appelés ventilateurs (en anglais ventilator) par les
professionnels de la santé.
Ces gestes barrières n’ayant pas été suffisamment efficaces,
il a fallu instaurer des quarantaines,
réduites en fait à des quatorzaines,
puis à des septaines… Ces mesures
n'ayant pas été non plus suffisantes, il a fallu décrété un confinement général (en anglais lockdown, shelter-at-home, stay-at-home,
en russe локдаун, режим самоизoляции) et imposer des attestations
de déplacement. Après la pluie, le beau temps. Après le confinement est
arrivé le déconfinement… avant peut-être malheureusement un reconfinement en janvier 2021…
Le dépistage
Un des mots les plus employés cette année a certainement été
test. Dès le début, l'OMS affirmait
: Testez, testez, testez. On a tout
dit sur les différentes sortes de tests : test
PCR, test antigénique, teste sérologique… Et l'on a même déploré la pénurie
d'écouvillons... Pour faciliter
l'accessibilité aux tests, on a mis en place des drives de dépistage.
Les traitements et les vaccins
Ils ont été sources de polémiques. Le grand public a
découvert que les chercheurs et les médecins pouvaient avoir de profonds
désaccords. Tout le monde a eu un avis sur la question, si bien qu'on a assisté
parmi les piliers de plateaux télévisés à un festival d'ultracrépidarianisme… Une des plus grandes polémiques a tourné autour
de l'usage de la chloroquine, ardemment
défendu par le professeur Didier Raoult, mais accueilli avec beaucoup de scepticisme
par la majorité des chercheurs et des organismes publics, critiquant l'absence
d'études randomisées pour prouver l'efficacité
réelle du traitement. Une polémique typiquement franco-française, ayant
déclenché une véritable Raoult mania
(surtout à Marseille) contrée par un fort Raoult
bashing (surtout à Paris)…
Ultracrépidarianisme, mot
compliqué et un peu pédant, mais pas inutile :
https://www.brut.media/fr/news/l-ultracrepidarianisme-l-art-de-parler-de-ce-qu-on-ne-connait-pas-df0c0552-6eb9-46eb-9406-f7bfe38ccf44.
Si la chloroquine a trouvé ses défenseurs et ses critiques,
il en est de même des vaccins. Il y
a le pro et les anti-vaccins (ou antivax). Toute
une partie de l'opinion, très vaccino-sceptique,
participe au vaccin-bashing.
Beaucoup se sont inquiétés du complotisme
ambiant, qui explique les causes ou l'origine de la pandémie par une vaste
conspiration impliquant tantôt les Chinois, tantôt le gouvernement ou les
élites, tantôt Big Pharma ou Bill
Gates ou bien encore George Soros… La désinformation sur la pandémie a été
source de nombreuses infodémies,
mot-valise formé sur information et épidémie.
Nouvelles habitudes
La pandémie et les mesures prises par les autorités ont eu
pour effet des changements importants dans le travail et la vie sociale. Les
mots composés en télé ont été très
fréquents : télétravail,
télé-enseignement, téléconsultation. Le présentiel a souvent cédé la place au distanciel.
III. Mots de l’année dans d’autres domaines.
En politique intérieure française, l'actualité a aussi mis
de l'avant les expressions violences
policières, auxquelles on a opposé violences
contre la police.
Autres mots fréquemment utilisés : terrorisme islamiste, la France ayant été victime cette année
encore de plusieurs actes de terrorisme commis par cette mouvance; séparatisme,
mot employé par le président de la République pour désigner l'attitude d'une
partie des populations immigrées ou issues de l'immigration qui refuse de
s'intégrer à la société française et à adhérer à ses valeurs; laïcité comme rappel d'un des fondements du contrat social français et comme réponse aux exigences islamistes; islamo-gauchiste,
pour désigner la frange de l'extrême gauche qui fait alliance avec les
mouvements islamistes.
Mais après déclin, et dans la même ligne, c'est le mot déclassement qui est apparu au printemps pour désigner la situation de la France par rapport aux autres pays.
Un mot jusque-là confiné au cercle étroit des
sociolinguistes, glottophobie (ou
discrimination linguistique), a été mis de l'avant lorsque que Jean Castex, qui a un fort accent du Midi, a été nommé premier ministre. A cette occasion, on a relevé que peu
de personnalités politiques avaient un accent autre que celui de la
norme du français standard. Et certains y ont vu une forme de discrimination.
Voir dans Wikipédia
:
https://fr.wikipedia.org/wiki/Glottophobie#:~:text=La%20glottophobie%20(%C3%A9galement%20appel%C3%A9e%20discrimination,discrimination%20fond%C3%A9e%20sur%20la%20langue.
Covid-19, pandémie, comorbidité, surmortalité, masque,
gestes barrières, confinement, couvre-feu…. ont accompagné cette année 2020. Espérons
que les mots de l'année 2021 concerneront des événements plus réjouissants…
Mots-clés : mots de l'année; France; 2020.