19 décembre 2012

Le Grand Dictionnaire terminologique de l'Office québécois de la langue française ou Orientation de l’usage et usagers désorientés.

Bonnes feuilles de Main basse sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Liber, Montréal, 2010, chap. XXI).

Ces bonnes feuilles citent des exemples présents dans le Grand Dictionnaire terminologique au moment de la rédaction de Main basse sur la langue, soit en 2009. Des changements ont pu être apportés depuis, mais cela ne change en rien les critiques de fond, de nombreux autres exemples pouvant apportés.

Des critères inconséquents

Campus et sponsor

Pourquoi peut-on employer, si l’on se fie aux recommandations du Grand Dictionnaire terminologique […], les termes aréna et campus, mais non sponsor ? Pourtant, ce sont tous les trois des mots latins, et le français, c’est bien connu, est une langue latine. Pourquoi peut-on employer prioriser, mais non sponsoriser ? Pourtant ces deux verbes ont la même origine latine et la même formation. Pourquoi peut-on employer square ou tee-shirt, mais non week-end ? Pourtant, ce sont tous les trois des emprunts à l’anglais et tous les trois sont d’emploi courant dans l’ensemble de la francophonie. Pourquoi, s’il faut employer fin de semaine plutôt que week-end, faut-il employer aréna plutôt que patinoire ? Pourtant, le terme patinoire est bien français et il est inscrit au fronton des « arénas » de France, de Belgique et de Suisse... Pourquoi doit-on placer, le long des routes du Québec, des panneaux travaux (et non construction), mais des panneaux détour (et non déviation) ? Pourtant, dans ce contexte, autant détour que construction sont des anglicismes […]. Pourquoi doit-on dire de la mozzarella (féminin), mais du feta (masculin) ? Pourquoi doit-on écrire tofou (et non tofu), mais tsunami, surimi et sushi (et non tsounami, sourimi ou souchi) ? Autant de questions, parmi bien d’autres, qui viennent à l’esprit quand on consulte ce grand dictionnaire, véritable navire amiral de l'Office québécois de la langue française en matière d'intervention linguistique. Cette impression de contradictions, d’arbitraire et d’inconstance soulève plusieurs questions de fond. Quels sont les critères linguistiques et terminologiques qui guident les terminologues de l’Office ? Quel est le protocole de recherche sur l'origine et l’emploi des termes, préalable à leurs prises de décision ? Finalement, dans quelle mesure ce dictionnaire est-il fiable ?

Un parti pris d’orientation de l’usage

En fait, derrière cette impression brouillonne, se décèle une tendance profonde. Le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas un ouvrage terminologique neutre. Comme l’indique son Guide méthodologique : « L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office. La production et la diffusion du GDT constituent une intervention par un organisme de l’État sur la composante lexicale de la langue ». Il n’est donc pas un dictionnaire d’usage, mais d’orientation de l’usage. La nuance est d’importance. Il n’est pas un dictionnaire consignant objectivement les usages québécois et internationaux, mais un ouvrage visant à les orienter sur la base de critères subjectifs, idéologiques. Les consignes données à ses rédacteurs sont sans équivoque : « Dans les cas où le terme qui prédomine dans l’usage contrevient à la norme que l’Office promeut, le terminologue doit tenter de modifier l’usage en proposant un terme qui satisfait au cadre normatif. » Et pour ajouter à l'arbitraire et aux contradictions visibles dans les fiches du dictionnaire, le modèle linguistique, les critères et les documents de travail, qui ont encadré le travail des terminologues, ont changé dans le temps. Seulement, les usagers ne sont pas avertis de ces aspects très particuliers du dictionnaire. Ils cherchent tout simplement des réponses claires, précises et exactes à leurs interrogations terminologiques. Ils pensent les trouver là, le parrainage de l’Office leur paraissant un gage de sérieux et de fiabilité. Ce qui, malheureusement, n’est pas le cas […].

De nombreuses contradictions

Hambourgeois et hamburger

Le Grand Dictionnaire terminologique manifeste de graves lacunes dans la gestion de ses fiches […]. Le cas des termes hamburger et hambourgeois est représentatif de ce manque d'uniformisation et de mise à jour. Dans un premier temps, l’Office avait condamné hamburger, au motif qu'il s'agissait d'un terme anglais, et recommandé de le remplacer par hambourgeois. Devant la levée de boucliers et les sarcasmes provoqués par une telle décision, il avait fait marche arrière et décidé de « réhabiliter » hamburger. Malgré cela, en 2009, si la fiche générale « hambourgeois » avait disparu du dictionnaire au profit de la fiche « hamburger », rédigée en 2001, il existait encore plusieurs fiches spécifiques comme « hambourgeois au bison » (rédigée en 1981), « hambourgeois ¼ livre » (1982), « hambourgeois sauce barbecue » (1983), « hambourgeois au fromage » (1984), « hambourgeois au poulet » (1984), « hambourgeois Caruso » (1984). Manifestement le travail d'uniformisation et de mise à jour n'avait pas été fait. Un restaurateur, qui suivrait scrupuleusement les recommandations du Grand Dictionnaire terminologique, devrait donc proposer sur sa carte des « hambourgeois de luxe » (fiche de 1982), mais des « hamburgers végétariens » (fiche de 2004). Subtilité de la variation linguistique à la sauce OQLF… […].

Coquetel et cocktail

Le cas de cocktail aussi est révélateur de ces contradictions. L'Office a longtemps hésité entre la forme originale anglaise cocktail et une forme francisée, coquetel. Son attitude a changé au cours du temps, si bien que l'usager a bien du mal à s'y retrouver. Certaines fiches ne font mention que de la forme cocktail. C'est le cas de « cocktail d'accueil » (1977), « cocktail d'adieu » (1977), « cocktail aux fruits » et « cocktail au jus de tomate » (1979), « cocktail Molotov » (1990). D'autres ne font mention que de l’adaptation. C'est le cas de « coquetel aux fruits congelé » (1979), de « coquetel de whisky au citron » (1987), de « coquetel sans alcool » (1987). Dans d'autres fiches, les terminologues de l'Office se sont efforcés de mettre un peu d'ordre, sinon de logique, dans cette pagaïe. D'abord, en décidant de traiter cocktail comme une « variante graphique » de coquetel (en réalité, chronologiquement, c'est le contraire). Ensuite, en transformant la variante graphique cocktail en… quasi-synonyme, comme à la fiche « coquetel sans alcool » (1987), dans laquelle cocktail sans alcool est classé comme quasi-synonyme, et non comme synonyme, sans qu'on aperçoive une quelconque nuance de sens entre ces deux formes. Enfin, à partir d'une certaine époque, en découvrant une distinction sémantique entre les deux formes. Cocktail désignerait la boisson alcoolisée (fiche « cocktail », 2002); coquetel, un type de réception (fiche « coquetel », 2002). Cependant, comme les faits, même linguistiques, sont têtus, nos terminologues durent se résigner à signaler que cocktail (boisson) a une variante graphique coquetel, et coquetel (réception), une variante graphique cocktail… […].

Coconnage et cocooning

Ces formes sans existence réelle sont souvent des néologismes critiquables, voire ridicules. Coconnage (2004), proposé pour remplacer cocooning, est un exemple des perles relevées dans le dictionnaire. Sans craindre le ridicule, nos terminologues proposent aussi le synonyme coucounage, en expliquant que cocon est « issu lui-même du provençal coucoun qui signifie "coque d'un œuf". Le synonyme coucounage est un dérivé de la forme provençale ». Et dire que certains prétendent que le français manque de créativité ! Fiers de leurs trouvailles, nos terminologues inventifs en rajoutent une couche. Carcooning fait désordre dans la terminologie française. Pas de problème, ils créent coconnage automobile (2004), dont le synonyme, vous l'avez deviné, est coucounage automobile. Pour continuer dans ce registre réjouissant, le terme designer condom (1993), préservatif orné de dessins ou de slogans, devient capote militante; derby, match de terroir (1964); party salami (1983), saucisson festival; body piercing, perçage corporel (2003) […]; side-car, nacelle latérale (2005), terme qui lui aussi « témoigne de la créativité lexicale du français »… […].

Des définitions erronées

Éditique et publication assistée par ordinateur

On s'attend à trouver dans un dictionnaire terminologique des fiches avec des termes exacts, des concepts bien définis, des formulations limpides. Malheureusement, avec le Grand Dictionnaire terminologique, on a beaucoup de mal à s'y retrouver […]. Parfois, les rédacteurs eux-mêmes reconnaissent qu'ils ne sont pas toujours sûrs de comprendre la signification des termes qu'ils traitent. C'est le cas avec éditique et publication assistée par ordinateur. Ils affirment qu'« il existe une grande confusion entre les notions de "publication assistée par ordinateur" et d'"éditique". Ainsi, il serait possible d'avancer que la publication assistée par ordinateur sert à réaliser des ouvrages d'envergure (journaux, livres) dans des entreprises dont c'est la vocation première, et que l'éditique est utilisée par quiconque possède le matériel et le logiciel nécessaires et veut préparer des documents (lettres d'information, dépliants, documents internes d'une entreprise, etc.), selon des critères de qualité professionnels » (« éditique », 2001). Cette grande confusion existe surtout dans l'esprit des terminologues du dictionnaire, pas dans la réalité. Il suffit de consulter Wikipédia pour que la grande confusion se dissipe instantanément. On y apprend que la publication assistée par ordinateur est « l'ensemble des procédés informatiques (micro-ordinateur, logiciels, périphériques d’acquisition, d’écriture) permettant de fabriquer des documents destinés à l'impression »; que le terme éditique est « utilisé surtout à propos de la production en masse de documents d'entreprise ayant une structure générale fixe (publipostage, contrats, factures, relevés de compte) et des parties variables en fonction du destinataire (adresses, chiffres, messages publicitaires) ». Voilà qui est limpide. Loin des explications alambiquées de notre dictionnaire. Entre les deux termes, il ne s'agit pas d'une différence entre des « entreprises » et des « particuliers », mais d'une spécialisation du sens d'éditique. Une rapide vérification sur la Toile apporte la preuve que cette différence est bien nette […]. Dans ce cas comme dans d’autres, le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas capable de nous fournir des renseignements que quelques clics sur le Net peuvent nous procurer. Cela nous oblige à nous interroger sur l’intérêt réel de ce dictionnaire […].

Des fautes de français

On pourrait s’attendre à ce que la langue de ce grand dictionnaire, ouvrage dont le but déclaré est d’« orienter l’usage » des Québécois (et autres francophones), soit rigoureuse, irréprochable. D'ailleurs, le Guide méthodologique le dit bien : « Le GDT doit être exempt d’erreurs orthotypographiques et grammaticales ». Hélas, c’est loin d’être le cas ! Ainsi, à la fiche « convecteur à ventilation » (1987), on relève cette faute étonnante : « Appareil qui, à la fois, chauffe l'air et la fait circuler en la poussant dans un système de ventilation » ! Dire que, depuis vingt et un ans, cette faute grossière est là, sans que personne ne l'aie remarquée, ni corrigée… […].

En conclusion

À la question de savoir si ce dictionnaire est fiable, la réponse est bien évidemment négative. Ce dictionnaire avait peut-être sa raison d'être il y a deux ou trois décennies. De nos jours, on doit se demander s'il convient d'investir tant d'argent dans une base qui n'apporte rien à ce qu'on peut trouver ailleurs. Donne-t-il à ses usagers québécois une image exacte du français contemporain ? Peut-il aider à résoudre les problèmes terminologiques de ses usagers québécois ? Est-il d'une quelconque utilité pour des usagers non québécois ? À ces trois questions, la réponse est négative.

Mots-clés : aménagement linguistique, français, Québec, Office québécois de la langue française, Grand Dictionnaire terminologique, Language Planning, French Language, Quebec French.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire