Bonnes feuilles de Main basse
sur la langue. Idéologie et interventionnisme linguistique au Québec (Liber, Montréal, 2010, chap. XXI).
Ces bonnes feuilles citent des
exemples présents dans le Grand Dictionnaire terminologique au moment de la rédaction de Main
basse sur la langue,
soit en 2009. Des changements ont pu être apportés depuis, mais cela ne change
en rien les critiques de fond, de nombreux autres exemples pouvant apportés.
Des critères inconséquents
Campus et sponsor
Pourquoi peut-on employer, si l’on
se fie aux recommandations du Grand Dictionnaire terminologique […], les termes aréna et campus, mais non sponsor ? Pourtant, ce sont tous les
trois des mots latins, et le français, c’est bien connu, est une langue latine.
Pourquoi peut-on employer prioriser, mais non sponsoriser ? Pourtant ces deux verbes
ont la même origine latine et la même formation. Pourquoi peut-on employer square ou tee-shirt, mais non week-end ? Pourtant, ce sont tous les
trois des emprunts à l’anglais et tous les trois sont d’emploi courant dans
l’ensemble de la francophonie. Pourquoi, s’il faut employer fin de semaine plutôt que week-end, faut-il employer aréna plutôt que patinoire ? Pourtant, le terme patinoire est bien français et il est
inscrit au fronton des « arénas » de France, de Belgique et de
Suisse... Pourquoi doit-on placer, le long des routes du Québec, des panneaux travaux (et non construction), mais des panneaux détour (et non déviation) ? Pourtant, dans ce
contexte, autant détour que construction sont des anglicismes […]. Pourquoi doit-on dire de la
mozzarella
(féminin), mais du feta (masculin) ? Pourquoi doit-on écrire tofou (et non tofu), mais tsunami, surimi et sushi (et non tsounami, sourimi ou souchi) ? Autant de questions,
parmi bien d’autres, qui viennent à l’esprit quand on consulte ce grand
dictionnaire, véritable navire amiral de l'Office québécois de la langue
française en matière d'intervention linguistique. Cette impression de
contradictions, d’arbitraire et d’inconstance soulève plusieurs questions de
fond. Quels sont les critères linguistiques et terminologiques qui guident les
terminologues de l’Office ? Quel est le protocole de recherche sur
l'origine et l’emploi des termes, préalable à leurs prises de décision ?
Finalement, dans quelle mesure ce dictionnaire est-il fiable ?
Un parti pris d’orientation de
l’usage
En fait, derrière cette impression
brouillonne, se décèle une tendance profonde. Le Grand Dictionnaire
terminologique
n’est pas un ouvrage terminologique neutre. Comme l’indique son Guide
méthodologique :
« L’orientation de l’usage représente la raison d’être de l’Office. La
production et la diffusion du GDT constituent une intervention par un organisme
de l’État sur la composante lexicale de la langue ». Il n’est donc pas un
dictionnaire d’usage, mais d’orientation de l’usage. La nuance est
d’importance. Il n’est pas un dictionnaire consignant objectivement les usages
québécois et internationaux, mais un ouvrage visant à les orienter sur la base
de critères subjectifs, idéologiques. Les consignes données à ses rédacteurs
sont sans équivoque : « Dans les cas où le terme qui prédomine dans
l’usage contrevient à la norme que l’Office promeut, le terminologue doit
tenter de modifier l’usage en proposant un terme qui satisfait au cadre normatif. »
Et pour ajouter à
l'arbitraire et aux contradictions visibles dans les fiches du dictionnaire, le
modèle linguistique, les critères et les documents de travail, qui ont encadré
le travail des terminologues, ont changé dans le temps. Seulement, les usagers
ne sont pas avertis de ces aspects très particuliers du dictionnaire. Ils
cherchent tout simplement des réponses claires, précises et exactes à leurs
interrogations terminologiques. Ils pensent les trouver là, le parrainage de
l’Office leur paraissant un gage de sérieux et de fiabilité. Ce qui,
malheureusement, n’est pas le cas […].
De nombreuses contradictions
Hambourgeois et hamburger
Le Grand Dictionnaire
terminologique
manifeste de graves lacunes dans la gestion de ses fiches […]. Le cas des
termes hamburger
et hambourgeois
est représentatif de ce manque d'uniformisation et de mise à jour. Dans un
premier temps, l’Office avait condamné hamburger, au motif qu'il s'agissait d'un
terme anglais, et recommandé de le remplacer par hambourgeois. Devant la levée de boucliers et
les sarcasmes provoqués par une telle décision, il avait fait marche arrière et
décidé de « réhabiliter » hamburger. Malgré cela, en 2009, si la
fiche générale « hambourgeois » avait disparu du dictionnaire au
profit de la fiche « hamburger », rédigée en 2001, il existait encore
plusieurs fiches spécifiques comme « hambourgeois au bison » (rédigée
en 1981), « hambourgeois ¼ livre » (1982), « hambourgeois sauce
barbecue » (1983), « hambourgeois au fromage » (1984),
« hambourgeois au poulet » (1984), « hambourgeois Caruso »
(1984). Manifestement le travail d'uniformisation et de mise à jour n'avait pas
été fait. Un restaurateur, qui suivrait scrupuleusement les recommandations du Grand
Dictionnaire terminologique, devrait donc proposer sur sa carte des « hambourgeois de
luxe » (fiche de 1982), mais des « hamburgers végétariens »
(fiche de 2004). Subtilité de la variation linguistique à la sauce OQLF… […].
Coquetel et cocktail
Le cas de cocktail aussi est révélateur de ces
contradictions. L'Office a longtemps hésité entre la forme originale anglaise cocktail et une forme francisée, coquetel. Son attitude a changé au cours
du temps, si bien que l'usager a bien du mal à s'y retrouver. Certaines fiches
ne font mention que de la forme cocktail. C'est le cas de « cocktail d'accueil »
(1977), « cocktail d'adieu » (1977), « cocktail aux
fruits » et « cocktail au jus de tomate » (1979),
« cocktail Molotov » (1990). D'autres ne font mention que de
l’adaptation. C'est le cas de « coquetel aux fruits congelé » (1979),
de « coquetel de whisky au citron » (1987), de « coquetel sans
alcool » (1987). Dans d'autres fiches, les terminologues de l'Office se
sont efforcés de mettre un peu d'ordre, sinon de logique, dans cette pagaïe.
D'abord, en décidant de traiter cocktail comme une « variante graphique » de coquetel (en réalité, chronologiquement,
c'est le contraire). Ensuite, en transformant la variante graphique cocktail en… quasi-synonyme, comme à la
fiche « coquetel sans alcool » (1987), dans laquelle cocktail sans
alcool est classé
comme quasi-synonyme, et non comme synonyme, sans qu'on aperçoive une
quelconque nuance de sens entre ces deux formes. Enfin, à partir d'une certaine
époque, en découvrant une distinction sémantique entre les deux formes. Cocktail désignerait la boisson alcoolisée
(fiche « cocktail », 2002); coquetel, un type de réception (fiche
« coquetel », 2002). Cependant, comme les faits, même linguistiques,
sont têtus, nos terminologues durent se résigner à signaler que cocktail (boisson) a une variante
graphique coquetel,
et coquetel
(réception), une variante graphique cocktail… […].
Coconnage et cocooning
Ces formes sans existence réelle
sont souvent des néologismes critiquables, voire ridicules. Coconnage (2004), proposé pour remplacer cocooning, est un exemple des perles
relevées dans le dictionnaire. Sans craindre le ridicule, nos terminologues proposent
aussi le synonyme coucounage, en expliquant que cocon est
« issu lui-même du provençal coucoun qui signifie
"coque d'un œuf". Le synonyme coucounage est un
dérivé de la forme provençale ». Et dire que certains prétendent que le
français manque de créativité ! Fiers de leurs trouvailles, nos terminologues inventifs en
rajoutent une couche. Carcooning fait désordre dans la terminologie française. Pas de
problème, ils créent coconnage automobile (2004), dont le synonyme, vous l'avez deviné, est coucounage
automobile. Pour
continuer dans ce registre réjouissant, le terme designer condom (1993), préservatif orné de
dessins ou de slogans, devient capote militante; derby, match de terroir (1964); party salami (1983), saucisson festival; body piercing, perçage corporel (2003) […]; side-car, nacelle latérale (2005), terme qui lui aussi
« témoigne de la créativité lexicale du français »…
[…].
Des
définitions erronées
Éditique et publication
assistée par ordinateur
On s'attend à
trouver dans un dictionnaire terminologique des fiches avec des termes exacts,
des concepts bien définis, des formulations limpides. Malheureusement, avec le Grand
Dictionnaire terminologique, on a beaucoup de mal à s'y
retrouver […]. Parfois, les rédacteurs eux-mêmes reconnaissent qu'ils ne sont
pas toujours sûrs de comprendre la signification des termes qu'ils traitent.
C'est le cas avec éditique et publication assistée par
ordinateur. Ils affirment qu'« il existe une grande confusion
entre les notions de "publication assistée par ordinateur" et
d'"éditique". Ainsi, il serait possible d'avancer que la publication
assistée par ordinateur sert à réaliser des ouvrages d'envergure (journaux,
livres) dans des entreprises dont c'est la vocation première, et que l'éditique
est utilisée par quiconque possède le matériel et le logiciel nécessaires et
veut préparer des documents (lettres d'information, dépliants, documents
internes d'une entreprise, etc.), selon des critères de qualité
professionnels » (« éditique », 2001). Cette grande confusion
existe surtout dans l'esprit des terminologues du dictionnaire, pas dans la
réalité. Il suffit de consulter Wikipédia pour que la
grande confusion se dissipe instantanément. On y apprend que la publication
assistée par ordinateur est « l'ensemble des procédés informatiques
(micro-ordinateur, logiciels, périphériques d’acquisition, d’écriture)
permettant de fabriquer des documents destinés à l'impression »;
que le terme éditique est « utilisé surtout à propos
de la production en masse de documents d'entreprise ayant une structure
générale fixe (publipostage, contrats, factures, relevés de compte) et des
parties variables en fonction du destinataire (adresses, chiffres, messages publicitaires) ».
Voilà qui est limpide. Loin des explications alambiquées de notre dictionnaire.
Entre les deux termes, il ne s'agit pas d'une différence entre des
« entreprises » et des « particuliers », mais d'une
spécialisation du sens d'éditique. Une rapide vérification sur la Toile apporte
la preuve que cette différence est bien nette […]. Dans ce cas comme dans
d’autres, le Grand Dictionnaire terminologique n’est pas
capable de nous fournir des renseignements que quelques clics sur le Net
peuvent nous procurer. Cela nous oblige à nous interroger sur l’intérêt réel de
ce dictionnaire […].
Des fautes de
français
On pourrait s’attendre à ce que la
langue de ce grand dictionnaire, ouvrage dont le but déclaré est
d’« orienter l’usage » des Québécois (et autres francophones), soit
rigoureuse, irréprochable. D'ailleurs, le Guide méthodologique le dit bien : « Le GDT
doit être exempt d’erreurs orthotypographiques et grammaticales ». Hélas,
c’est loin d’être le cas ! Ainsi, à la fiche « convecteur à
ventilation » (1987), on relève cette faute étonnante :
« Appareil qui, à la fois, chauffe l'air et la fait circuler en la poussant dans un système de
ventilation » ! Dire que, depuis vingt et un ans, cette faute grossière
est là, sans que personne ne l'aie remarquée, ni corrigée… […].
En conclusion
À la question de savoir si ce
dictionnaire est fiable, la réponse est bien évidemment négative. Ce
dictionnaire avait peut-être sa raison d'être il y a deux ou trois décennies.
De nos jours, on doit se demander s'il convient d'investir tant d'argent dans
une base qui n'apporte rien à ce qu'on peut trouver ailleurs. Donne-t-il à ses
usagers québécois une image exacte du français contemporain ? Peut-il
aider à résoudre les problèmes terminologiques de ses usagers québécois ? Est-il
d'une quelconque utilité pour des usagers non québécois ? À ces trois
questions, la réponse est négative.
Mots-clés : aménagement linguistique, français, Québec, Office québécois de la langue française, Grand Dictionnaire terminologique, Language Planning, French Language, Quebec French.
Mots-clés : aménagement linguistique, français, Québec, Office québécois de la langue française, Grand Dictionnaire terminologique, Language Planning, French Language, Quebec French.
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